L’étrange voyage de la vie

photos du jour, Alina Reyes

 

Dans la nuit j’ai très peu dormi. Une fois ensommeillée, un peu avant l’aube et l’heure de nous lever, j’ai vu en rêve que de mon front se dressait un signe qui était à la fois un phallus et une corne de licorne.

Nous avons chargé les bagages dans la minuscule voiture de location aux vitres givrées, nous nous sommes insérés dans l’espace restant, nous sommes partis. Une première visite à Bordeaux, puis nous sommes repartis. La longue route droite qui traverse les vignes et finit par plonger en plein désert de marais jaunes, le pays de mon enfance et de ma jeunesse. La deuxième visite. J’ai photographié la photo de lui dans le buffet, tout jeune et beau et sensuel dans son habit de soldat, pendant son service en Algérie. C’était avant la guerre, il ne l’a pas faite, mais a toujours critiqué amèrement les exactions françaises là-bas. Je ne lui ai parlé que de vieux souvenirs, ce sont les seuls qui lui sont restés, un peu. Nous sommes repartis, nous avons pris le bac pour traverser l’estuaire. Il va plus vite que du temps où je le prenais tout le temps, l’embarquement et le débarquement sont bien mieux sécurisés. Il pleuvait et pleuvait sur Royan, et encore bien après. J’ai pensé que la vie est bien faite : quand on est jeune, on est assez solide pour pouvoir se confronter au manque de confort en tout genre, et quand on n’est plus jeune, on peut le faire aussi sans problème parce qu’on a connu un temps où tout était bien moins confortable.

De toute façon, le confort, c’est la mort. Seigneur, bénis les tout-petits, qu’ils en soient au début ou à la fin. S’ils ne venaient et redevenaient si petits, ils ne pourraient venir de Toi ni retourner à Toi.

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alinareyes