Mon joug est facile et mon fardeau léger

cet après-midi au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Pour pouvoir renoncer au péché, il faut se savoir capable de ne pas succomber aux tentations. Voilà ce qu’enseigne, par la pratique, le jeûne de Ramadan. Et quiconque est correctement disposé envers ce jeûne, c’est-à-dire s’y dispose sans a-priori, se rend compte qu’il est très facile. Il est très facile de renoncer à boire et à manger, même pendant dix-huit heures de jour et par temps chaud comme en ce moment. Certes la fatigue se fait sentir, augmentée par la perturbation du sommeil, mais à moins de se trouver en situation de danger (insolation ou autre), nous sommes tout à fait équipés physiologiquement pour affronter le jeûne. Et ce n’est pas une bien grande épreuve que de renoncer à manger, boire, avoir des relations sexuelles, pendant quelque temps. C’est seulement une épreuve de patience, et tous les pauvres en esprit connaissent la patience. Les femmes enceintes. Les parents qu’un nouveau-né empêche, des mois durant, de dormir commodément, et qui s’en accomodent avec grâce. Les marcheurs. Les humbles, tous ceux qui ne croient pas que tout leur est acquis, ou qu’ils peuvent tout diriger, mais qui savent que tout vient à son heure, et souvent sous une forme inattendue.

L’ascèse met en évidence les limites de l’homme (la soif, la faim…) et en même temps la facilité qu’il y a à dépasser ces limites. Une fois que par l’ascèse l’homme a compris qu’il lui est aisé de renoncer au péché, il lui faut accomplir un bien plus grand renoncement : il lui faut renoncer à sa condition de pécheur. Le péché est le divertissement de l’homme, et l’homme a peur, et plus que peur, l’homme est épouvanté à l’idée de se retrouver sans divertissement, face à sa propre nudité, qu’il prend pour un mortel néant. Compliquer les relations avec autrui, chroniquement et parfois jusqu’au pire, lui paraît un enfer préférable à ce saut dans le vide que lui semble être la pureté d’être et de relation. L’homme a peur de la lumière, de la simplicité de l’amour, de la grâce, de la joie profonde. Ce royaume, quand il le rencontre, l’attire, mais il ne veut pas y croire. De toutes ses forces de terrorisé, il lui faut en douter. Il lui faut se couvrir comme d’une armure de son péché, afin de n’en être pas réduit à néant. Et oui, en effet, ce royaume réduit à néant tout le vieux système, la machinerie maline par lesquels l’homme croit se protéger du néant. Mais ce royaume est celui de la vie éternelle, où nous n’avons plus jamais faim ni soif, comme dit l’Apocalypse.

Nous entrons dans la deuxième décade de Ramadan, celle du pardon de Dieu. (La première est celle de sa bénédiction, la dernière celle du salut – l’arrachement à l’enfer). Un jour l’homme saura qu’au-delà de l’homme, il est un lieu où le pardon n’est plus une question, où il se vit plus aisément et sans y penser que nous ne respirons, et où il n’a pour ainsi dire plus lieu d’être, tout arrivant et se produisant dans la douce perfection de la grâce.

 

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