La stratégie du choc, par Naomi Klein (11) Pologne, Chine : le « traitement de choc » en terres communistes

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Nous continuons d’avancer dans ce livre qui dresse un panorama de ce que l’auteur appelle « la montée d’un capitalisme du désastre » dans le monde au cours des dernières décennies. Voici quelques extraits significatifs du chapitre 9.

« Tout comme le FMI avait réussi à introduire en douce la privatisation et le « libre-échange » en Amérique latine et en Afrique sous le couvert de programmes de « stabilisation » d’urgence, Fukuyama essayait d’introduire le même programme fortement contesté à la vague de démocratisation qui déferlait de Varsovie à Manille. Fukuyama avait raison d’affirmer que le droit de tous les citoyens de s’autogouverner de façon démocratique faisait l’objet d’un consensus de plus en plus fort et irrépressible, mais il n’y avait que dans les rêves les plus fous du secrétariat d’État que les citoyens en question réclamaient à grands cris un système économique qui les dépouillerait de leur sécurité d’emploi et entraînerait des licenciements massifs.

S’il y avait un véritable consensus, c’était celui-ci : pour quiconque avait échappé aux dictatures de gauche comme de droite, la démocratie signifiait une participation aux grandes décisions, et non l’application unilatérale et forcée de l’idéologie d’autrui. En d’autres termes, le principe universel que Fukuyama appelait le « droit souverain du peuple » comprenait le droit souverain d’établir les modalités de la distribution de la richesse au sein de son pays, depuis l’avenir des sociétés d’État jusqu’au financement des écoles et des hôpitaux. Un peu partout dans le monde, des citoyens étaient prêts à exercer leur droit démocratique (arraché de haute lutte), à être enfin les auteurs de leur destinée collective. » (pp 225-226)

« Pour Deng et le reste du Politburo, les possibilités offertes par le libre marché étaient désormais illimitées. De la même façon que la terreur à la Pinochet avait ouvert la voie au changement révolutionnaire, la place Tiananmen rendait possible une métamorphose radicale, sans risque de rébellion. Si la vie des ouvriers et des paysans devenait plus difficile, deux choix s’offraient à eux : l’accepter tranquillement ou faire face à la furie de l’armée et de la police secrète. (…) En d’autres termes, c’est le choc du massacre qui rendit possible la thérapie de choc.

Dans les trois années suivant le bain de sang, la Chine ouvrit toutes grandes ses portes aux investissements étrangers, notamment par le truchement de zones économiques spéciales créées aux quatre coins du pays. En annonçant ces initiatives, Deng rappela au pays qu’ « au besoin, on prendra tous les moyens pour étouffer les bouleversements, dès les premiers signes d’agitation, au moyen de la loi martiale et même d’autres méthodes plus rigoureuses ».

C’est cette vague de réformes qui fit de la Chine l’  « atelier de misère » du monde, l’emplacement privilégié des usines de sous-traitance d’à peu près toutes les multinationales de la planète. Aucun pays n’offrait des conditions plus lucratives que la Chine : des impôts et des tarifs douaniers peu élevés, des fonctionnaires faciles à soudoyer et, par-dessus tout, une multitude de travailleurs bon marché qui, par peur des représailles, ne risquaient pas de réclamer de sitôt des salaires décents ou les protections les plus élémentaires. » (pp 232-233)

« Reflet fidèle de l’État corporatiste dont Pinochet fut le précurseur au Chili : un chassé-croisé en vertu duquel le milieu des affaires et les élites politiques unissent leurs pouvoirs pour éliminer les travailleurs en tant que force politique organisée. Aujourd’hui, on observe la même collaboration : en effet, les sociétés technologiques et les grandes entreprises de presse internationales aident l’État chinois à espionner ses citoyens et s’arrangent pour que les étudiants qui effectuent des recherches sur le Web – en tapant par exemple « massacre de la place Tiananmen » ou même «  démocratie » – fassent chou blanc. » (p.234)

En Pologne, la thérapie de choc, loin d’entraîner de simples « bouleversements provisoires » comme Sachs l’avait prédit, provoqua une dépression caractérisée : deux ans après l’introduction des premières mesures, la production industrielle avait diminué de 30 %. En raison des compressions gouvernementales et des produits importés bon marché qui inondaient le pays, le chômage monta en flèche. (…) La thérapie de choc, qui eut pour effet d’amoindrir la sécurité d’emploi et d’augmenter considérablement le coût de la vie, n’était donc pas la route que la Pologne aurait dû emprunter pour devenir un des pays « normaux » de l’Europe (où les lois du travail sont strictes et les avantages sociaux généreux). Elle débouchait au contraire sur des inégalités criantes, comme dans tous les pays où la contre-révolution avait triomphé, du Chili à la Chine. » (p. 235)

à suivre

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