La stratégie du choc, par Naomi Klein (15) Au nom de la peur, du fric et de l’empire

surveillance1*

« En joignant les rangs de l’équipe de George W. Bush en 2001, Rumsfeld avait une mission : réinventer l’art de la guerre au XXIe siècle pour en faire une manifestation plus psychologique que physique, un spectacle plutôt qu’une lutte. Et surtout, un exercice beaucoup plus rentable que jamais auparavant. » (p. 342)

« C’est en 1997, au moment où il fut nommé président du conseil de l’entreprise de biotechnologie Gilead Sciences, que Rumsfeld s’affirma en tant que protocapitaliste du désastre. La société fit breveter le Tamiflu, prescrit contre de multiples formes de grippe et médicament privilégié pour le traitement de la grippe aviaire. En cas d’épidémie du virus fortement contagieux (ou d’une simple menace en ce sens), les gouvernements seraient tenus d’acheter à Gilead Sciences pour plusieurs milliards de dollars du produit » [produit par ailleurs fortement controversé à cause de la possibilité de terribles effets secondaires, précise l’auteur en note]. (p. 349)

« Les héros incontestés du 11 septembre étaient les cols blancs arrivés en premier sur les lieux – les policiers, les pompiers et les secouristes, dont 403 perdirent la vie en tentant de faire évacuer les tours et de venir en aide aux victimes. Soudain, l’Amérique était éprise des hommes et des femmes en uniforme. Les politiciens – qui se vissèrent sur le crâne en toute hâte des casquettes de base-ball à l’effigie du NYPD et du FDNY – avaient du mal à suivre. Lorsque, le 14 septembre, Bush visita « Ground Zero » (…), il rendit hommage aux fonctionnaires syndiqués, ceux-là même que le gouvernement conservateur moderne s’était juré d’éliminer. » (p.358)

« Avec le recul, on le voit bien : au cours de la période de désorientation collective qui suivit les attentats, on assista ni plus ni moins à une forme de thérapie de choc économique. L’équipe Bush, friedmanienne jusqu’à la moelle, profita de l’état de choc dans lequel la nation était plongée pour imposer sa vision d’un gouvernement « coquille vide » au sein duquel tout – de la guerre jusqu’aux interventions en cas de catastrophes – relevait de l’entreprise à but lucratif. » (p. 359)

« Comme la bulle informatique avant elle, la bulle du désastre se gonfle de façon imprévisible et chaotique. Les caméras assurèrent à l’industrie de la sécurité intérieure l’un de ses premiers booms ; on en installa 4,2 millions en Grande-Bretagne, une pour quatorze habitants, et 30 millions aux États-Unis. (…) En raison de toutes ces activités d’espionnage – registres d’appels, relevés d’écoutes téléphoniques, dossiers financiers, courrier, caméras de surveillance, navigation sur le Web -, le gouvernement croule sous les informations, ce qui a donné naissance à un autre vaste marché, celui de la gestion et de l’exploitation des données, de même qu’à un logiciel qui serait capable de « tirer du sens » de ce déluge de mots et de chiffres et de signaler les activités suspectes. » (pp 363-364)

« Pour obtenir de tels contrats lucratifs, les interrogateurs à la pige ont tout intérêt à savoir arracher aux prisonniers le genre d’ « informations exploitables » que recherchent leurs employeurs de Washington (…) de puissants intérêts incitent les entrepreneurs à recourir à toutes les méthodes jugées nécessaires pour obtenir les renseignements convoités, quelle que soit leur fiabilité. (…) Il ne faut pas oublier non plus la version low-tech de ce genre de « solutions » privées dans le contexte de la guerre contre le terrorisme – à savoir payer de petites fortunes à n’importe qui ou presque pour le moindre renseignement sur de présumés terroristes. (…) Les cellules de Bagram et de Guantanamo en vinrent bientôt à déborder de bergers, de chauffeurs de taxi, de cuisiniers et de commerçants – qui, selon les hommes qui les avaient dénoncés pour toucher la récompense promise, représentaient tous un danger mortel. » (pp 367-368)

« … la définition même du corporatisme : la grande entreprise et le gouvernement tout-puissant combinant leurs formidables puissances respectives pour mieux contrôler les citoyens. » (p. 370)

« Évidemment, les faucons de Washington tiennent à ce que les États-Unis jouent un rôle impérial dans le monde et qu’Israël fasse de même au Moyen-Orient. Impossible, toutefois, de détacher ce projet militaire – guerre sans fin à l’étranger et État sécuritaire chez soi – des intérêts du complexe du capitalisme du désastre, qui a bâti sur ces prémisses une industrie multimilliardaire. » (p. 388)

à suivre

toute la lecture depuis le début : ici

alinareyes