Ce que signifie la Une du dernier Charlie Hebdo

Dans l’atmosphère de malheur qui endeuille en ce moment la France, après la mort tragique de vingt personnes, dont trois assassins, et avec ce qui s’ensuit : la négation de la pensée organisée par les pouvoirs publics, il est plus que jamais nécessaire de ne pas se taire. Et en ce jour de sortie d’un Charlie Hebdo des survivants, tiré à trois millions d’exemplaires, si rien ne nous oblige à acheter ledit numéro, il ne faut pas pour autant, comme le font trop de responsables (institutionnels ou intellectuels) musulmans, détourner le regard de la Une dont la vision est imposée à tous les Français et même au-delà de la France, par la grande majorité des médias. Il faut, plus que jamais, exercer notre intelligence et notre courage, et faire l’exégèse de ce qui nous est donné à voir.

Que nous dit cette Une, et les dessinateurs de Charlie qui l’ont choisie ? Que Charlie Hebdo, bien malgré lui, sous la pression médiatique qui l’a transformé en parangon de la liberté d’expression, a renoncé à ce qui le faisait jouir, à savoir le ressassement raciste dans la représentation sexuelle du Prophète, et à travers lui des musulmans. Je vais pour expliquer ce qu’elle dit sans paroles employer des mots grossiers, c’est nécessaire pour traduire un dessin grossier. Le Prophète y est donc représenté en « tête de bite ». Un petit peu discrètement parce que l’heure l’impose, mais visiblement quand même – comme l’ont noté plusieurs médias. Et que dit l’équipe survivante de Charlie à propos de cette Une ? Qu’elle a été « dure à chier » (en ajoutant encore quelques détails scatologiques). Cela veut dire tout simplement qu’ils se faisaient jouir par sodomie (mentale) avec la tête du Prophète (et des musulmans) dont ils se payaient (c’était même leur gagne-pain). Voilà ce qu’ils ont fait pendant des années, de façon beaucoup plus ordurière qu’ils ne peuvent se le permettre aujourd’hui. Aujourd’hui ils ont « chié » cela dont ils se délectaient, ils ont dû y renoncer, même si cela a été « dur ». (Voyez mon livre Poupée, anale nationale).

Voilà, il fallait le dire, c’est fait. Ils l’ont fait longtemps à l’abri des regards, c’est-à-dire sous le regard de leurs seuls complices (leurs lecteurs) dans cette jouissance malsaine partagée à la façon d’un viol en réunion, mais aujourd’hui où tous les regards convergent sur eux, il leur faut mettre la pédale douce. Ils le font avec beaucoup d’hypocrisie, mais ils le font. En affichant « tout est pardonné » ils prennent une pose christique, référence subliminale au Christ mourant sur la croix en demandant le pardon pour ceux qui l’ont condamné sans savoir ce qu’ils faisaient – à moins qu’ils ne veuillent dire, masochistement, que la tuerie a effacé leur péché. Pose et rien que pose, puisque dans le même temps ils perdurent dans leur désir d’offense aux musulmans, l’affichant en Une de façon voilée. Cependant, si cette Une est une sorte de « chant du cygne » du corbeau, elle nous permet d’espérer, malgré la nuit actuelle, prochainement un jour nouveau, un jour où la France se sera enfin débarrassée des restes de son racisme colonial et de son antisémitisme séculaire.

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alinareyes