Luxe, calme et volupté

Tout en admirant son œuvre, depuis l’adolescence j’ai toujours considéré Baudelaire comme un poète un peu trop adulte. Je veux dire, « mes » poètes, c’étaient Rimbaud, Nerval, des êtres imprégnés de l’esprit d’enfance. Aujourd’hui, et notamment depuis que j’ai écrit sur Jeanne Duval, je le vois plus comme un frère certes différent de moi mais aussi amusant que moi, avec son dandysme et ses excès parfois risibles. Ses moments cyniques ou sexistes me déplaisent, mais ce sont des poses, en profondeur c’est un homme honnête et c’est ce qui m’importe plus que tout. D’ailleurs un poète qui ne serait pas en profondeur honnête ne vaudrait rien. Luxe, calme et volupté font ma joie comme ils font son rêve. Et par luxe je n’entends bien sûr pas la version vulgaire de la chose, le luxe obtenu par le fric, mais le luxe suprême, le luxe gratuit. Celui de l’esprit. Celui de la liberté. Celui de l’amour et de la volupté. Celui de respirer, de marcher, de contempler, d’écouter, de sentir, de goûter. Celui de vivre en paix malgré toutes les difficultés. Celui de mon enfance sauvage à l’océan. De ma jeunesse dévoreuse de livres, chanteuse, danseuse, voyageuse. Celui d’accueillir avec bonheur l’enfant qui s’annonce sans avoir été prévu, alors qu’on n’a pas vingt ans et qu’on vit seule et joyeuse dans une maison isolée. Celui de partir à l’aventure avec compagnon et enfants. Celui de vivre en ermite en altitude, dans la neige au long de longs hivers et dans les autres splendides saisons, avec les pierres, les arbres, les herbes et les animaux. Celui de redevenir étudiante longtemps après et de pédaler dans la côte pour aller à la Sorbonne. Celui de vivre avec les poètes, avec les musiciens, avec les hommes vrais quel que soit leur art ou leur métier. Il y a deux façons d’écrire : d’après ce que « je » suis, ou d’après ce que le verbe dicte au sujet vidé de son « je ». Et une troisième, qui vient après avoir vécu absolument les deux, celle où le je et le verbe sont mêmes, ou unis, un seul être.

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