Être vivant

Arriver à l’automne de ma vie toujours vivante, voilà pour moi une grande victoire, et qui augure un bel hiver, plein comme une femme enceinte d’un printemps – que je meure dans quarante ans ou dans quarante minutes. Ce n’était pas gagné d’avance, ça ne l’est pour personne, j’en avais pleinement conscience adolescente, voyant ce qu’acceptaient tant d’adultes et que je refuserais : ce refus pouvait me faire mourir physiquement. Or je n’ai pas trahi – quelle plus profonde joie peut-on connaître, après la traversée périlleuse de l’âge adulte ? Je suis arrivée indemne et à bon port, rien ne pourra plus m’enlever cela. Bien sûr j’ai fait des erreurs, j’ai commis des fautes. Mais je ne m’y suis pas résignée. Nous faisons tous des erreurs et des fautes, mais il y a d’une part une distinction fondamentale entre les fautes commises en connaissance de cause, délibérément (le plus souvent au prétexte de quelque « bonne cause », dans la philosophie fausse qui justifie les moyens par la fin), et celles que nous commettons par ignorance, par imprudence, par légèreté, sans volonté de blesser, dominer ou détruire autrui. Mais même les erreurs et les fautes involontaires peuvent faire beaucoup de mal, et je ne suis pas de ceux qui disent à propos de tout ce qu’ils ont fait : si c’était à refaire, je le referais. Non, surtout pas ! Ce que j’aurais dû ne pas faire, je ne le referais surtout pas ! C’est justement la conscience que ce n’était pas nécessaire, le refus d’une fatalité du mal, qui permet d’être toujours vivant, très vivant.

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alinareyes