Sur la vie des lycéens au lycée

Je dois rendre cette semaine un rapport à l’Espé, l’organisme de formation des profs, sur quelques lieux du lycée que j’ai observés. Autant le partager avec ceux que cela pourrait intéresser, le voici donc :

jardin des plantes

Semaine du 18 au 22 septembre 2017

à la Vie scolaire

Deux personnes travaillent dans ce bureau à la porte toujours ouverte, par où vont et viennent les lycéens. La plupart viennent faire signer leur carnet de correspondance pour des absences ou des retards. D’autres font tamponner leur dossier RATP pour le tarif réduit du Pass Navigo (beaucoup habitent loin et doivent prendre les tranports en commun). D’autres sont réorientés vers l’infirmerie. Une prof (moi) passe demander les manuels de ses classes, qu’elle n’avait pas encore pris. L’accueil est calme et respectueux.

 

à l’Infirmerie

Une lycéenne est à demi-allongée dans un fauteuil. L’infirmière, qui vient de lui donner un cachet, lui dit qu’elle peut appeler son parent elle-même si elle pense qu’il y a ainsi plus de chances pour qu’il prenne l’appel, afin qu’il vienne la chercher. Dans son bureau, l’infirmière me raconte le quotidien des élèves qui passent à l’infirmerie. Quand ils arrivent trop près de l’heure du prochain cours alors qu’ils auraient pu venir bien avant, étant libres pendant l’heure précédente, elle n’accepte pas de les garder – du moment qu’ils n’ont visiblement rien de sérieux. En ce moment des « mal au ventre », elle ne croit pas que ce soit déjà une épidémie de gastro, plutôt le résultat du stress de la rentrée dans ce grand lycée. Il est rare que le professeur doive lui envoyer un ou une lycéenne pendant le cours, en général on attend la fin de l’heure, mais si cela arrive l’élève qui va mal est accompagné par un autre élève « de confiance ». Je lui parle d’une de mes élèves qui est venue me voir après un cours en difficulté psychologique, si le problème persistait je pourrais l’accompagner jusqu’à l’infirmerie, ce que je m’apprêtais d’ailleurs à faire avant qu’elle n’y renonce – ne pas essayer de gérer moi-même un tel problème, ce n’est pas le rôle du professeur.

 

dans un cours de Première ST2S, l’une de mes classes en demi-groupe avec leur prof principal

Je découvre cette matière, Sciences et techniques de la santé et du social. Les tables sont disposées en U. Les élèves sont attentifs et de bonne volonté, la professeure, d’allure sportive, très calme et bienveillante. Elle appelle chaque élève par son prénom, ce que je ne suis pas encore capable de faire pour tous – et me dira ensuite qu’elle a un trombinoscope sur sa table, qu’elle révise discrètement pendant le cours (j’en aurai bientôt un aussi).

Elle commence par interroger les élèves sur le cours précédent. Leur distribue, sur une demi-feuille, une « proposition de correction » de leur dernier TD. Des élèves se relaient pour la lire à haute voix. Elle leur fait repérer les connecteurs logiques du texte en leur rappelant qu’on attend d’eux une réponse structurée.

Au bout de vingt minutes, on passe à un diaporama récapitulant des modes d’interventions de l’État dans le domaine de la santé publique ; la plupart des élèves le recopient d’eux-mêmes dans leur cahier, pendant qu’elle continue à les commenter et à les inciter à intervenir – ce qu’ils font. Dix minutes après, nouveau diaporama, en rapport avec un document qu’ont les élèves, et sur lequel la professeure les invite à surligner certains mots-clés (des verbes sur le rôle de l’OMS). Tandis que presque tous les élèves, là aussi, recopient le texte du diaporama, elle annonce que tel point sera détaillé dans un prochain cours. Puis elle élargit la question, toujours en interrogeant les élèves pour qu’ils trouvent eux-mêmes des exemples. Elle reprend calmement une élève qui fait des bulles avec son chewing-gum – toujours avec bienveillance : « (Prénom de l’élève), déjà le chewing gum je n’aime pas trop, mais les bulles, là, c’est pas possible ». Rien de plus, l’élève a compris.

Dix minutes avant la fin du cours elle demande s’il y a des questions. Certains élèves sont tentés de commencer à ranger discrètement leurs affaires, elle leur rappelle que ce n’est pas fini. Nouveau diaporama, la professeure le lit, les élèves notent. Elle les invite à aller en voir plus sur la question sur Internet. Encore un diaporama, la professeure, debout toujours, se déplace peu au cours de l’heure, seulement entre l’écran et sa table.

Une fois les élèves partis, je la complimente pour son calme et celui de sa classe. C’est plus facile en demi-groupe, me dit-elle. C’est ce que j’ai constaté aussi dans mes cours. Je lui raconte que la dernière fois où je les ai eus à 35 pendant deux heures, ils ont été très calmes pendant la première heure, puis très bavards pendant la deuxième heure. Elle me dit que les choses se passent aussi de cette façon avec elle. Cela ne semble pas la préoccuper énormément, s’est-elle fait une raison ou contrôle-t-elle mieux le problème que je ne le fais ? J’irai dans d’autres cours voir ce qu’il en est (mais les profs n’ont pas tous envie d’accueillir un stagiaire dans leur classe, ce que je comprends), et je continuerai à essayer de régler aussi ce problème de mon mieux, consciente que c’est un problème à peu près général en France, alors qu’il est quasiment inexistant, voire inconcevable, dans d’autres pays (je connais des exemples concrets, de proches scolarisés en Finlande et en Angleterre, deux pays qui ont pourtant des systèmes très différents l’un de l’autre, le premier presque communiste, l’autre ultralibéral). Il me semble que les élèves français ne sont pas assez responsabilisés, et qu’ils se livrent donc à l’irresponsabilité et à l’incivisme. Mes collègues profs me répètent que ce sont des « petits », et j’ai du mal à faire comprendre à ma tutrice que je ne veux pas les traiter en petits en leur mâchant le travail, leur donnant des consignes précises pour la tenue du classeur etc. J’essaie ma propre pédagogie, j’ai vu les élèves eux-mêmes y résister et protester avec force, puis finalement être ravis du résultat, qu’ils n’auraient pas imaginé. Je sais qu’il faut du temps et qu’on ne change pas le formatage des esprits si facilement, mais je continue à travailler à essayer de les libérer de ce paternalisme ou de ce maternalisme qui annule quasiment les apprentissages et entrave le développement psychique et intellectuel.

 

seinehier samedi à Paris, photos Alina Reyes

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alinareyes