Police de la pensée : en 2015, nous sommes en 1984

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Photo AFP/Eric Feferberg

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«Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas de moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir.

(…)

Y avait-il toujours eu ces perspectives de maisons du XIXe siècle en ruine, ces murs étayés par des poutres, ce carton aux fenêtres pour remplacer les vitres, ces toits plâtrés de tôle ondulée, ces clôtures de jardin délabrées et penchées dans tous les sens ? Y avait-il eu toujours ces emplacements bombardés où la poussière de plâtre tourbillonnait, où l’épilobe grimpait sur des monceaux de décombres ? Et ces endroits où les bombes avaient dégagé un espace plus large et où avaient jailli de sordides colonies d’habitacles en bois semblables à des cabanes à lapins ?

(…)

 Le ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue – frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était une gigantesque construction pyramidale d béton d’un blanc éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du parti.

LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE »

Georges Orwell, 1984

« La tour de la Sorbonne se perdait dans la brume, la nuit, la désolation. Ses murs étaient aussi longs que ceux de la Santé, la prison proche aussi du boulevard Gabriel, chez moi. L’ancien Collège de France, prestigieuse institution qui avait accueilli les plus grands noms de toutes les disciplines du savoir, hébergeait maintenant les bureaux de la P.S., Police Spéciale, dont les méthodes étaient directement inspirées des dérives occultes pratiquées par Sad, du temps où il fut ministre de l’Intérieur.

(…)

Espionnage, chantage, torture mentale, mensonge, manipulation, élimination de preuves… Il ne faut pas être trop scrupuleux avec sa conscience quand on occupe ce genre de poste, n’est-ce pas ?

(…)

La pelouse avait laissé place à une dalle de béton, dont les projecteurs braqués autour du bâtiment faisaient ressortir les larges fissures occasionnées par le gel, grosses comme une merde de chien au milieu d’un tapis. Dans ce froid sinistre, sous les lumières blafardes, je crus voir là couchée par terre la maison Usher d’Edgar Poe, prête à se relever avec sa faille obscène. »

Alina Reyes, Forêt profonde, 2007