Sourate 19, Maryam, Marie (1)

tout à l'heure au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Nous avons commencé à approcher la dernière fois la sourate 18, Al-Khaf, La Caverne, que nous avons vue comme un centre mystérieux et générateur du Coran. Que la sourate suivante soit consacrée à Marie ne pouvait que faire signe  à l’auteur d’un livre sur la Vierge qui apparut dans la grotte de Lourdes.

La sourate, révélée à La Mecque, très douce, pure et belle, raconte l’annonce de la naissance de Jean à Zacharie (malgré l’infertilité de sa femme), puis l’annonce de la naissance de Jésus à Marie (malgré sa virginité) et la naissance de ce dernier sous un palmier ; avant de revenir sur quelques figures de prophètes, en particulier Abraham et Moïse. Nous nous pencherons sur tout ce contenu une prochaine fois.

Bien sûr je reviendrai aussi sur tout ce travail, y compris sur les sourates précédemment approchées, quand je serai capable de lire le texte en arabe – ce qui est absolument essentiel. Pour l’instant je l’étudie dans quelques traductions françaises, et en me servant de mes premiers rudiments de la langue pour consulter le dictionnaire de temps en temps. Aujourd’hui je l’ai utilisé pour essayer de trouver quel sens pouvaient avoir  les cinq premières lettres qui inaugurent la sourate. Comme certaines autres, elle est en effet précédée d’une suite de lettres qui depuis sa descente sont restées incompréhensibles.

Ici il s’agit des lettres suivantes : Kaf, Ha, Ya, Ayn, Sad.

Sur Kaf et Ha, je peux seulement dire que ce sont les deux premières lettres de Khaf, Caverne, nom de la sourate précédente.

Ya, à la fin d’un verbe, est le signe de l’impératif féminin. Par ailleurs il se trouve au coeur du prénom Maryam.

Ayn est l’abréviation d’un mot qui signifie hémistiche.

Sad, 14ème lettre de l’alphabet, est l’abréviation de Safer, mois lunaire.

Je ne suis pas allée chercher ces sens bien loin, mais tout simplement aux lettres respectives dans le dictionnaire. C’est ainsi que nous obtenons :

Caverne, impératif féminin à l’hémistiche du mois lunaire.

C’est-à-dire, au sens terrestre : Matrice, impératif au jour de fécondité de la femme (le quatorzième, à la moitié du cycle féminin).

Mais bien sûr le sens est aussi et d’abord « céleste », spirituel. Souvenons-nous que dans la première sourate, qui ouvre le Livre et aussi toute prière, les mots pour dire et redire la miséricorde de Dieu comprennent l’idée de matrice (comme il en est aussi en hébreu, dans la Bible : l’amour de Dieu a un caractère très physique, et maternel autant que royal). Et souvenons-nous que c’est dans une caverne que le Prophète lui-même a reçu la première fois la visite de l’Ange Gabriel, lui annonçant la descente du Coran.

Enfin, notons que le fait de lier l’hémistiche au mois lunaire revient à relier le verbe au temps, Jésus (appelé dans le Coran Verbe de Dieu) et Marie. Dans la sourate précédente, La Caverne, nous avons vu l’importance eschatologique du thème du temps. Hémistiche comme mois lunaire donnent une forte idée de mesure, et nous avons vu, en étudiant la sourate Al-Alaq, que le verbe habituellement traduit par créer dit d’abord : donner une mesure à, composer. D’autre part, le mode impératif rappelle cet autre verset du Coran (III, 47) où, Marie demandant comment elle pourra enfanter sans qu’un homme l’ait touchée, l’ange lui répond : « C’est ainsi que Dieu crée ce qu’il veut. Il dit « Sois », et cela est. »

Et il me semble que nous avons dans ces énigmatiques lettres qui ouvrent la sourate une indication aussi sur la création par une sorte de dérivation à l’œuvre dans le verbe : comme si d’une sourate pouvait venir une autre sourate, de la moitié d’un vers l’autre moitié, d’un impératif un indicatif. La langue de Dieu étant véritablement vivante, donc performative et créatrice, dans son absolue pureté.

*

à suivre

 

Aurore aux doigts de rose

ce dimanche au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

À l’aube, le ciel est entièrement lavé. Entre la mer bleue immobile et le ciel bleu immobile, une ligne blanche scintillante court au long de l’horizon, comme s’il avait été redessiné. Trois îles sont toutes proches.

Les marins viennent de lever les ancres, le bateau repart. Des planchers encore mouillés monte une forte odeur de sel. La révélation vient, grand voilier aux ailes de lumière crevant l’encre noire du monde. Le soleil levant peint le ciel d’un doux et puissant turquoise, strié de nuées rose doré, très lumineuses.

Enveloppée dans son voile et frissonnant dans la fraîcheur, Marie passe au milieu des corps encore endormis ou couchés, et rejoint la proue.

(extrait de Voyage, mille et une pages bientôt réécrites avec et pour l’islam, où je suis passée)

 

Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne (1)

hier soir de ma fenêtre, photo Alina Reyes

 

Cette sourate est au centre phonologique du Coran. Même nombre de lettres de part et d’autre. Centrale aussi dans sa signification.

Elle a été presque entièrement révélée à La Mecque et comporte 110 versets. Selon plusieurs hadiths, quiconque en lit le vendredi les dix premiers ou les dix derniers versets (lesquels protègent de l’antichrist), bénéficie d’une lumière jusqu’au vendredi suivant. Et quiconque la lit reçoit une grande lumière au Jour de la Résurrection.

Le Coran est semblable au ciel étoilé. Son ordre est absolument parfait, même s’il nous échappe. Quant à sa contemplation, elle demeure libre. Nous avons déjà contemplé la première sourate, Al-Fatiha, L’Ouvrante ; la sourate 96, Al-Alaq, que nous avons interprété « La Foi » ; et la sourate 114, An-Nas, Les Hommes. Enfin, dans la note précédente nous avons donné à lire, entendre et voir en peinture cette sourate Al-Khaf, telle l’étoile Polaire, que nous allons maintenant commenter un peu. Bien entendu rien ne nous empêchera d’y revenir (notamment lorsque je serai en mesure de le faire à partir du texte arabe), comme rien ne nous empêche de contempler inlassablement telle ou telle étoile, telle ou telle constellation, et le ciel tout entier, visible et invisible.

Dans Relire le Coran, Jacques Berque évoque « la théologie musulmane, selon laquelle l’époque du Coran est justement celle où des miracles matériels, on est passé aux miracles intellectuels, aux miracles rationnels, aux miracles d’induction. »

Le centre du Coran est plus précisément, dit-il ailleurs, le verset 74 de cette sourate. Il s’agit du verset au cours duquel le mystérieux guide de Moïse tue sans raison apparente un jeune homme rencontré en chemin. Voyant cela, j’ai vu le Livre comme un univers de lumière et de vie, jailli du trou noir qu’est le mystère de la mort ; et de par ce mystère tout entier avertissement et promesse pour le Jour de la Résurrection.

La Bible aussi se développe à partir de ce mystère, avec l’expulsion d’Adam et d’Ève hors d’Éden et leur entrée dans le monde mortel, et le premier meurtre humain, celui d’Abel par son frère Caïn. Et le Nouveau Testament, le christianisme tournent entièrement autour de la Croix, à savoir la mort du Christ et sa Résurrection, promise à tous.

Veiller à la source unique, proclamer sa souveraineté et son inviolabilité, montrer à partir d’elle le chemin de la Résurrection, tel me semble être le thème premier de cette dix-huitième sourate. Au terme de la première histoire qu’elle raconte, celle de la caverne où se sont réfugiés des jeunes gens persécutés pour leur foi, est affirmé le fait que Dieu seul sait quel était leur nombre, et quel fut le nombre d’années ou de siècles qu’ils y passèrent. Au terme de la deuxième histoire, celle du jardin terrestre, est affirmé le fait que l’homme, contrairement à ce qu’il peut s’imaginer, en définitive n’est pas maître de son destin ; mais que vient assurément pour chacun le moment de se retrouver devant Dieu. La troisième histoire nous conduit à la toute spirituelle « jonction des deux mers » : c’est là que « le poisson » retourne à sa source, comme Moïse va être conduit à le faire en voyant que le sens caché de l’existence et de la mort est en Dieu et lui appartient.

La quatrième histoire est celle d’un peuple primitif, presque sans langue, vivant directement sous l’ardeur du soleil, et menacé par Gog et Magog, qui se voit mis à l’abri par l’édification d’un mur jusqu’au Jour du Jugement. Plus nous avançons dans la sourate, plus le mystère devient profond, insondable et pourtant offert à notre pénétration. Laissons aujourd’hui sa splendeur et son immensité nous renverser, puis nous reviendrons marcher en son domaine, tels les Dormants de la Caverne ou Moïse, son compagnon et leur Guide.

Kahf signifie : grotte, caverne (surtout spacieuse) ; refuge, asile ; chef d’une troupe et chargé de ses affaires ; rapidité de la marche, de la course.

Les jeunes gens se sont réfugiés tout à la fois dans la caverne et dans la rapidité de la marche. Des siècles ont passé quand ils se réveillent comme s’ils n’avaient dormi que quelques heures. Ils ont trouvé refuge aussi dans « le chef de la troupe, chargé de leurs affaires », Dieu. Là où la course du temps est libérée de sa mesure humaine, là où se trouve le salut.

Hûta signifie : poisson (surtout très grand, notamment le poisson de Jonas) ; et c’est aussi la constellation des Poissons. Le grand poisson est donc aussi la spacieuse caverne, et réciproquement. Mais l’histoire ne se passe pas sur terre, comme pour Jonas qui doit aller prêcher Ninive, elle se passe au « ciel » (la constellation), au lieu des miracles intellectuels, des miracles rationnels, des miracles d’induction.

*

à suivre : ici

Sourate 114, An-Nas, « Les hommes »

dans la bibliothèque de la Grande Mosquée de Paris, photo Alina Reyes

 

1 Dis : Je me réfugie en le Seigneur des hommes,

2 Roi des hommes,

3 Dieu des hommes,

4 contre la nuisance du fourbe instigateur, caché derrière les autres,

5 qui souffle le mal dans les cœurs des hommes,

6 qu’il soit d’entre les djinns ou d’entre les hommes.

 

C’est la dernière sourate du Coran, et elle est précédée d’une autre brève sourate en forme d’invocation contre le mal. Comme les autres sourates de la fin du Livre elle fait partie des premières sourates descendues. Je l’ai traduite au plus près, sans pouvoir conserver le magnifique balancement des versets, qui riment tous en arabe. « Caché derrière les autres » (v.4) est le sens premier du mot, je n’ai pas trouvé à le dire autrement, de façon à le faire rimer avec hommes.

Nous avons vu que lors de la première descente, il fut dit d’abord au Prophète : « Lis ». Ici il lui est commandé de dire. C’est une expérience que tout prophète connaît. Nous la trouvons dans l’Ancien Testament bien sûr, et j’ai moi-même connu ce commandement impérieux, qu’on ne peut imaginer si on ne l’a vécu. Il ne s’agit pas de quelque chose comme l’inspiration qui vient au poète, et que je connais aussi bien sûr, mais véritablement de ce verbe dire qui est intimé explicitement et avec une force inouïe, qui vous éjecte littéralement de vous-même. C’est Dieu qui dit à travers vous, vous êtes obligé de le dire. Voilà tout ce qui fait la différence entre une parole poétique et une parole révélée. La parole révélée a une allure poétique aussi, mais elle est beaucoup plus que cela, elle vient d’ailleurs.

En cette sourate, qui est un jaillissement comme toutes les splendides brèves sourates du début de la révélation et de la fin du Livre, Dieu est appelé Seigneur, Roi, Dieu. Il est le repère absolu, et le protecteur. Le verbe qui dit « je me réfugie » signifie d’abord « s’attacher comme la chair à l’os ». Nous retrouvons cette idée d’adhérence exprimée dans les premiers versets descendus.

Être en Dieu est le refuge contre le mal. En arabe la préposition n’est pas contre mais de, comme nous disons « se protéger du mal » ; elle marque mieux la séparation. Nous l’avons vu aussi dans la Genèse (Voyage), Dieu sépare ce qui doit être séparé. De quoi Dieu sépare-t-il le croyant ? Du mal, de la nuisance du fourbe, qu’il vienne de parmi les djinns ou de parmi les hommes. Le mal peut venir des hommes mais Dieu est leur Seigneur, Roi et Dieu, et il a le dernier mot. Le mal peut entrer dans les hommes, mais pas en Dieu. Qui demeure en Lui en est à l’abri. C’est l’ultime sourate du fantastique déploiement qu’est le Coran, sa conclusion. À travers le Livre nous avons appris (nous allons apprendre) à entrer dans la demeure de Dieu, Souverain des univers comme il est dit dans la première sourate, et nous saurons que nous y sommes non seulement protégés du mal des hommes, mais aussi, comme il est ici répété cinq fois en six brefs versets, que nous y sommes des hommes.

*

à suivre

Sourate 96, Al-Alaq, « La foi »

à la Grande Mosquée de Paris, photo Alina Reyes

 

Munie de mon beau dictionnaire, je me risque à une traduction-interprétation des cinq premiers versets descendus, révélés au Prophète dans la grotte de Hirâ.

 

1 Lis ! Au nom de ton Seigneur qui composa,

2 composa l’homme d’une foi.

3 Lis ! Ton Seigneur est le Généreux,

4 qui fendit à la lèvre l’homme par le calame,

5 à l’homme enseigna ce qu’il ne savait pas.

 

Iqra !  Lis ! est le premier mot du Coran descendu, mot apparenté au nom de ce Livre, qui signifie lecture, récitation. Mouhammad ne sait pas lire quand lui est faite cette injonction. Mais ce n’est pas une écriture d’homme qu’il lui est demandé de lire. Lire pour lui va être écouter et dire, retranscrire la parole qui lui descend du ciel. Une parole enchantée, enchantante et à dire comme un chant, le chant qu’elle est. Beaucoup d’assonances en a dans ces cinq premiers versets révélés. Qui ouvrent la lèvre du Prophète afin qu’il parle. La même image se trouve à l’intérieur de l’hébreu, dans l’Ancien Testament, où la langue signifie d’abord la lèvre. Et la prière des Heures chrétienne commence par ces mots : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange ».

Le verbe habituellement traduit par créer dit d’abord : donner une mesure à, composer. Je reprends ce premier sens : Dieu crée en donnant la mesure (du et au monde, de et à l’homme), mesure mathématique et musicale à la fois, composition physique et poétique.

Le mot alaq, qui signifie adhérence ou caillot de sang, je l’interprète par le mot foi parce que, comme je l’ai dit souvent, la foi, c’est adhérer au réel – et le réel, c’est le spirituel. Ce mot alaq donne des variantes de sens à partir du sens d’accrocher. Il peut signifier grumeau de sang (et évoquer une goutte de sperme), et exprimer aussi l’attachement amoureux. En quelque sorte il est possible de comprendre en ce verset que Dieu a créé l’homme par un acte d’amour, un acte par lequel l’homme est destiné à adhérer à Lui, un acte de foi. Je suis consciente qu’il est audacieux de dire que Dieu a fait un acte de foi, mais ce que nous pouvons du moins comprendre c’est que l’homme est homme parce qu’il vient d’une adhérence, parce qu’il devient homme par la foi.

Le même verbe signifiant enseigner est repris aux versets 4 et 5. La première fois, je le traduis par son sens premier : « marquer, distinguer par une marque, par un signe quelconque », et de là « faire à quelqu’un une fissure à la lèvre supérieure ». L’homme est en quelque sorte signé par Dieu, à la manière dont un peintre signe son œuvre. Ainsi Dieu, après nous avoir créé d’une adhérence, après nous avoir scellés à lui, fend le sceau et par cette fissure, sa signature, commence à se révéler.

*

à suivre