Edgar Poe
Jean Ricardou, « L’Histoire dans l’Histoire » (et la chute de la maison Usher)
sur mon bureau, à l’instant, photo Alina Reyes
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L’esthétique de Poe détermine un absolutisme : celui du dénouement. C’est au final qu’est entièrement subordonné le plan de l’œuvre, et cet édifice lui-même exerce à son tour une coercition absolue sur le « porte-plume ». En quelque point du texte qu’il opère, et quelque intention que lui propose à tout instant le mot à mot, le porte-plume travaille dans un parfait état de soumission aux préalables du récit.
Tel principe a produit maints chefs-d’œuvre chez Poe, et chez quelques autres. (…) [Mais] puisque l’histoire, dans ses linéaments essentiels, est connue avant que la plume n’attaque le papier, n’est-il pas tentant d’injecter en un quelconque point de son cours certain passage qui en offrirait une sorte de résumé ? C’est par elle-même que l’histoire serait contestée. Tel enrichissement narratif remonte à très loin et Edgar Poe, nous l’étudierons plus bas, l’a lui-même utilisé. Mais nul en tout cas, semble-t-il, ne l’a mieux évoqué qu’André Gide. On connaît le passage du Journal de 1893 :
J’aime assez qu’en une œuvre d’art, on retrouve ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre. Rien ne l’éclaire et n’établit plus sûrement les proportions de l’ensemble. Ainsi, dans tels tableaux de Memling ou de Quentin Metsys, un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l’intérieur de la scène où se joue la scène peinte. Ainsi, dans le tableau des Ménines de Velasquez (mais un peu différemment). Enfin, en littérature, dans Hamlet, la scène de la comédie ; et ailleurs dans bien d’autres pièces. Dans Whilhelm Meister, les scènes de marionnettes ou de fête au château. Dans La chute de la Maison Usher, la lecture que l’on fait à Roderick, etc.
Notant ensuite l’analogie de cette enclave avec l’inclusion, en héraldique, d’un blason dans un autre, on se souvient que Gide propose de la nommer une « mise en abyme » (…)
[Ricardou dit ensuite que le premier phénomène à la fin de la nouvelle de Poe se trouve dans] le passage d’un sens figuré à un sens propre. Avec la conjointe mort de lady Madeline et de Roderick s’éteint la famille des Usher : c’est, au sens figuré, la Chute de la Maison Usher (…) il est possible d’imaginer le proche écroulement de la demeure, la Chute de la Maison Usher, au sens propre cette fois.
Le second phénomène relève de la mise en abyme. Si le narrateur s’enfuit précipitamment du manoir, c’est qu’il connaît déjà la fin de l’histoire (…) [du fait d’une histoire dans l’histoire, qu’il a lue à Roderick]
C’est par le microscopique dévoilement du récit global, donc, que la mise en abyme conteste l’ordonnance préalable de l’histoire. Prophétie, elle perturbe l’avenir en le découvrant avant terme, par anticipation.
Jean Ricardou, L’Histoire dans l’Histoire, Le Seuil, 1967
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Ma traduction de La chute de la maison Usher est ici en pdf gratuit. Pour d’autres éléments autour de ce texte, cliquer sur le mot-clé éponyme.
La chute de la maison Usher de Debussy mise en film par Latosch
Une curiosité, ce court-métrage de 2010 sur des extraits d’un opéra inachevé de Debussy d’après la nouvelle de Poe et du Concert champêtre de Poulenc. Peu de moyens mais de l’intelligence pour résumer l’histoire, et un bon accompagnement pour aborder ces deux pièces de musique.
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Pour voir d’autres éléments, notamment le film de Corman et ma traduction du texte en pdf, cliquer sur le mot clé « La chute de la maison Usher » (en attendant la suite)
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Edgar Poe, « La chute de la maison Usher » (texte intégral en pdf, traduction Alina Reyes)
Voici ma traduction (au début commentée par quelques notes) de la nouvelle de Poe. À lire gratuitement en pdf.
, traduit de l’américain
Bonne lecture !
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Ce que j’ai fait avec cinq de mes proches
Homère : il m’a donné sa tête à manger (en rêve), et je l’ai mangée. Elle était pleine de fils multicolores, c’était un peu comme manger des spaghetti, mais avec un goût d’ambroisie.
Rimbaud : il est venu chez moi (en rêve), je lui ai donné un lit pour la nuit. Je suis aussi allée sur sa tombe à Charleville-Mézières (en réalité), où il m’a effleuré l’épaule.
Kafka : je l’ai regardé à travers une porte (en rêve).
Poe : j’ai traduit plusieurs de ses nouvelles, quand j’avais dans les vingt-sept ans – mais je n’ai pas gardé les traductions, elles ont disparu dans l’un de mes déménagements.
Lautréamont : j’ai passé quelques jours à Tarbes avec lui, notamment dans le parc. Je suis aussi allée chercher sa tombe au cimetière de Montmartre. C’était une belle journée d’automne, j’ai longtemps marché dans les allées, avec un corbeau qui marchait à côté de moi et à qui je parlais. Il n’y avait personne. Je n’ai pas trouvé sa tombe alors je suis allée me renseigner au bureau du cimetière. Les personnes qui étaient là ne savaient pas qui il était, j’ai expliqué que c’était un grand poète à l’existence mystérieuse. J’ai donné son nom d’état-civil, Ducasse. Nous avons cherché ensemble dans les registres de 1870, remplis de noms écrits à la plume. Finalement il s’est avéré que ses ossements avaient été déplacés deux fois, et qu’on ne sait pas aujourd’hui où ils se trouvent. Avoir vécu cela, seule dans le cimetière avec le corbeau, puis plongée avec un employé dans l’encre du grand registre des morts, était aussi beau que de le lire.