Spirales de peintres et vérité de l’être

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Vincent Van Gogh, Nuit étoilée

Uccello Saint Georges et le dragon

Paolo Uccello, Saint Georges et le dragon

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Rembrandt, Philosophe en méditation

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Léon Spilliaert, Vertige

Hokusai, Hotei

Katsushika Hokusai, Hotei (dieu du bonheur et de la joie)

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Toute la philosophie dérivée d’Heidegger conduit à l’erreur fatale de placer son identité dans son existence. Votre identité est dans votre être. Le reste n’est que néant.

Placer son être et son identité dans son existence, c’est se trouver dépourvu quand survient un changement d’existence. Plus grave encore, c’est fonder sa vie sur de fausses croyances, la croyance en la construction de son être par son existence, la croyance en la réussite et en l’échec – choses qui n’ont pas d’être, seulement une existence relative et superficielle -, la croyance en l’accomplissement par les œuvres – alors que ce ne sont pas les œuvres qui accomplissent l’être, mais l’être qui accomplit les œuvres, gratuitement, sans velléité ni calcul, de même que la rose fleurit non pour être rose mais parce qu’elle est rose.

Vincent

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le typhon sur les Philippines vu de la navette spatiale (AP/NASA)

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« Un jour, j’ai vu un beau tableau ; c’était un paysage au crépuscule. Dans le lointain, sur le côté droit, une rangée de collines, bleues dans la brume du soir. Au-dessus de ces collines, la gloire du coucher de soleil, les nuages gris bordés d’argent et d’or et de pourpre. Le paysage est une plaine ou une lande, couverte d’herbe et de ses pailles jaunes, car c’était l’automne. À travers le paysage, une route conduit vers une haute montagne, loin, très loin ; au sommet de cette montagne, une ville, éclairée par les rayons brillants du soleil couchant. Sur la route avance un pèlerin, un bâton à la main. Il est en route depuis déjà très longtemps, et il est très fatigué. Et c’est alors qu’il rencontre une femme ou une silhouette vêtue de noir qui fait penser à la parole de Saint Paul : triste, mais en tout temps joyeux. Cet ange du Seigneur a été placé là pour encourager les pèlerins et répondre à leurs questions. Et le pèlerin demande : ‘La route continue-t-elle toujours à monter ?’ Et la réponse est : ‘Certainement, jusqu’au bout, fais attention.’ Et il demande à nouveau : ‘Et le voyage durera-t-il toute la journée ?’ Et la réponse est : ‘Du matin, ami, jusqu’à la nuit.’ Et le pèlerin continue son chemin, triste, mais en tout temps joyeux.’ »

Je trouve cet extrait d’un prêche de Vincent Van Gogh, datant de la fin octobre 1876, dans son Oeuvre complet, par Ingo F. Walther et Rainer Metzger, aux éditions Taschen. Le texte de ce sermon a été adjoint à ses Lettres, mais malheureusement il ne figure pas dans leur édition par Gallimard, qui m’a été offerte par O à plusieurs reprises au cours des années. Je suis très proche de Vincent, qui m’accompagne nuit (avec sa nuit étoilée) et jour (avec son champ de blé) depuis ma prime adolescence, à bien des égards. La familiarité avec les langues et la communion avec la vérité nous venant d’être venus d’ailleurs, de l’au-delà de la mort. Lui né un an après son frère mort-né, et ayant reçu son prénom, moi née avec un jumeau, frère ou sœur resté à l’état d’embryon.

Nous sommes les pinceaux et les couleurs de Dieu. Ceux qui font le monde d’ici-bas sont aveugles. Ceux qui y voient doivent être des yeux pour les hommes, quoiqu’il en coûte de par leur incompréhension radicale.

Traverser

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Vincent Van Gogh, Paysage nocturne au lever de la lune, 1889

*

Je suis avec toi Vincent

Ce fleuve de terre crue à traverser

tout détale

tout vit même la mort

à l’assaut des vagues figées les troupeaux d’herbe sèche

tâchant de dépasser leurs ombres

à sinistre rampent

dans l’autre sens sur l’autre rive

empêtrées contre elles-mêmes les collines filent

Elle se lève

le ciel de feuille d’or tremble

Quelqu’un, replié dans nos chairs, déplié dans nos doigts,

répand son encre bleue contre son cœur de feu

Vite, ouvre une porte dans cette petite maison là-bas

là-haut

*

 

Action et contemplation vs puissances cyniques et séculières

Photo Alina Reyes

 

« Il n’y a pas contradiction entre action et contemplation, quand l’activité apostolique chrétienne s’élève au niveau de la pure charité. À ce niveau, l’amour de Dieu et l’amour de notre frère dans le Christ font qu’action et contemplation ne sont plus qu’une seule et même réalité. Mais le problème est que, si la prière elle-même n’est pas profonde, forte, pure, et pleine à tout moment de l’esprit de contemplation, l’activité chrétienne ne peut jamais parvenir effectivement à ce haut niveau.

Si notre culte tout entier n’est pas pénétré de l’esprit de contemplation – c’est-à-dire d’adoration et d’amour de Dieu par-dessus tout pour lui-même parce qu’il est Dieu – la liturgie ne nourrira pas un apostolat réellement chrétien fondé sur l’amour du Christ et exercé dans la puissance du Pneuma.

Le besoin le plus grand du monde chrétien d’aujourd’hui est celui de cette vérité intérieure, nourrie par un tel Esprit de contemplation : la louange et l’amour de Dieu, l’attente fervente de la venue du Christ, la soif de la manifestation de la gloire de Dieu, de sa vérité, de sa justice, de son Royaume dans le monde. Ce sont là toutes les aspirations typiquement « contemplatives » et eschatologiques du coeur chrétien et elles constituent l’essence même de la prière monastique. Sans elles notre apostolat est bien plus au service de notre gloire personnelle qu’au service de la gloire de Dieu.

Sans cette orientation contemplative, les églises que nous construisons ne sont pas pour louer Dieu, mais pour consolider les structures sociales, les valeurs et les avantages dont nous jouissons actuellement. Sans cette base contemplative à notre prédication, notre apostolat n’est pas du tout un apostolat ; il n’est qu’un pur prosélytisme en vue d’amener l’univers entier à se conformer à notre façon de vivre nationale.

Sans contemplation ni prière intérieure, l’Église ne peut pas accomplir sa mission de transformer et de sauver l’humanité. Sans contemplation, elle sera réduite à n’être que la servante de puissances cyniques et séculières, alors même que ses fidèles proclameront très haut qu’ils combattent pour le Royaume de Dieu.

Sans aspirations vraiment et profondément contemplatives, sans amour total de Dieu et sans une soif intransigeante de sa vérité, la religion risque de n’être, en fin de compte, qu’un narcotique. »

Thomas Merton, Les voies de la vraie prière, éditions du Cerf, pp 145-147

 

« Et ce monde n’est pas malpropre parce qu’il vit seulement mal en façade, mais parce que souterrainement et occultement il cultive et maintient le mal.
Le mauvais esprit est une goule aussi matérielle et aussi sûre que les méduses de la mer. »

Antonin Artaud, Textes écrits en 1947, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p.1541

« Car ce n’est pas à force de chercher l’infini que Van Gogh est mort,
qu’il s’est vu contraint d’étouffer de misère et d’asphyxie,
c’est à force de se le voir refuser par la tourbe de tous ceux qui, de son vivant même, croyaient détenir l’infini contre lui ;
et Van Gogh aurait pu trouver assez d’infini pour vivre pendant toute sa vie si la conscience bestiale de la masse n’avait voulu se l’approprier pour nourrir ses partouses à elle, qui n’ont jamais rien eu à voir avec la peinture ou avec la poésie. »

Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p. 1462

 

« Un beau geste m’a touché, profondément touché. Écoute. J’avais dit à mon modèle de ne pas venir aujourd’hui – sans lui avouer pourquoi. La pauvre femme s’est amenée quand même et, comme j’ai protesté : « Oui mais », m’a-t-elle répondu, « je ne viens pas poser, je viens voir si vous avez quelque chose à manger. » Elle m’avait apporté une portion de haricots verts et de pommes de terre. Il y a tout de même des choses admirables dans la vie. »

Vincent Van Gogh, lettre non datée in Lettres à son frère Théo, L’Imaginaire Gallimard, pp 169-170