De quelques subtilités de l’emploi de « seul » adverbial (un peu de philosophie par le style)

 

En consultant hier les sujets du bac philo et du bac de français, songeant à mes élèves de l’année dernière qui passent l’un ou l’autre cette année, j’ai été heurtée par la façon dont a été rédigé le premier sujet de l’épreuve de philosophie pour la section Technologique : « Seul ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? » Mes recherches en ligne sur l’usage de « seul » dans une interrogative de ce type n’ayant rien donné, je livre quelques remarques personnelles sur la question.

L’intention de ce sujet est de demander si ce qui est peut avoir une valeur autre qu’une valeur d’échange. Mais la formulation incertaine de la question risque d’entraîner une confusion de la pensée dans les réponses qui peuvent y être données, comme nous le voyons dans le « corrigé » de Vincent Cespedes proposé dans les médias, qui commence (je n’ai écouté que le début) en portant sur une autre question, qui pourrait être ainsi formulée : « ce qui peut s’échanger a-t-il forcément de la valeur ? »

« Seul » est ici adjectif adverbial antéposé au sujet « ce qui peut s’échanger ». La construction « Seul ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? » sonne aussi mal que « Uniquement ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? » Car « seul » adverbial ne s’emploie pas indifféremment en fonction d’apposition dans une affirmative ou dans une interrogative.

De même que l’on peut dire
« Seule reste cette belle plante » (pour « Il reste seulement cette belle plante »)
et non « Seule reste-t-il cette belle plante ? »
mais « Reste-t-il seulement cette belle plante ? » « Ne reste-t-il plus que cette belle plante ? »

 

ou que l’on peut dire
« Dieu seul le sait » (pour « Il n’y a que Dieu qui le sache », « C’est seulement Dieu qui le sait »)
et non « Dieu seul le sait-il ? »
mais « Qui le sait, sinon Dieu ? » ou « Dieu lui-même le sait-il ? »

 

on peut dire
« Seul ce qui peut s’échanger a de la valeur » (pour « C’est seulement ce qui peut s’échanger qui a de la valeur »)
et non « Seul ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? »
mais « Est-ce seulement ce qui peut s’échanger qui a de la valeur ? » ou, plus élégamment « Ce qui peut s’échanger a-t-il seul de la valeur ? » ou  encore « N’y a-t-il que ce qui peut s’échanger qui ait de la valeur ? »

Par ailleurs, si « seul » était employé non comme adverbe mais comme adjectif apposé, c’est-à-dire suivi d’une virgule : « Seul, ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? », la question porterait sur la valeur de ce qui peut s’échanger quand il n’y a pas de possibilité de l’échanger.

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alinareyes