Franchise

Saint argent de la sainte mafia, saints abus sexuels, sainte hypocrisie… qu’est-ce qui ne pourrait être déclaré saint quand il s’agit d’intérêts ?

La mélodie d’une chanson, si belle soit-elle, ne justifie pas pour autant les paroles. Prétendre regarder le soleil, c’est se faire aveugle.

Je me suis mise à écouter en boucle un jeune homme franc jouer Chopin.

Le monde goûte peu la franchise, mais seule la vérité l’emporte, sur tout. Et donne joie totale, paix, certitude. Je suis allée voir ce film magnifique, Nostalgie de la lumière, où des hommes et des femmes cherchent, les uns dans les profondeurs du ciel, les autres dans la terre du désert. L’homme cherche à éclairer le passé pour pouvoir être ce qu’il est. Certains ne font que l’embrouiller, pour éviter de révéler ce qu’ils font. Mais comme il est dit dans le film, les étoiles, la nuit, nous regardent.

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Des Roms, des Égyptiennes, et des moines tibétains

Aujourd’hui j’ai vu L., une Rom que je connais depuis pas mal de temps, en train de manger joyeusement sur un banc avec son mari et leur fils. Une autre fois aussi je l’ai vue, plus loin, en famille et avec d’autres Roms, ils prenaient le soleil dans un endroit tranquille à l’heure du déjeuner, paisibles et joyeux. Nous nous disons toujours bonjour, avec deux ou trois mots car elle ne parle pas français (mais ça commence à venir) et de grands sourires. Je ne lui donne jamais beaucoup d’argent, ni systématiquement, car je l’aime beaucoup, je veux qu’elle continue à me considérer comme une personne, je sais qu’elle l’a compris, cela m’importe beaucoup, pour elle et pour moi. Quelque chose de particulier me préoccupe dans son histoire, mais je ne peux pas le lui demander et c’est ainsi, chacun a sa vie. Que la police fasse son travail, qu’elle s’occupe des mafias, et qu’on laisse les mendiants paisibles en paix.

Le matin je suis allée à L’Escurial voir Les femmes du bus 678, un film poignant sur la condition des femmes égyptiennes harcelées. La conversation qui a suivi avec une représentante d’Amnesty n’a pas été consolante. Depuis le tournage du film, en 2009, il semble que les choses aient empiré, même si désormais la loi condamne le harcèlement. On sait en tout cas qu’il a été très utilisé, et même le viol, pour dissuader les femmes de manifester. C’est un phénomène qui touche toutes les classes sociales et tous les âges, du côté des harceleurs ou violeurs autant que du côté des victimes. Des femmes ont créé des associations pour lutter contre cette maladie de la société.

L’après-midi je suis allée à La Clef voir Miroir du vide, un documentaire d’une réalisatrice chinoise sur un monastère bouddhiste tibétain situé à 4500 mètres d’altitude. Dans la conversation qui a suivi, avec un Tibétain et une spécialiste du Tibet, j’ai appris qu’eux aussi étaient menacés par la chute des vocations, car la Chine ne leur permet plus de faire entrer les enfants au monastère comme ils le faisaient traditionnellement à partir de l’âge de six ans. Ils ne peuvent maintenant devenir moines avant l’âge de dix-huit ans. À part cela, un monastère est un monastère, comme un port est un port, une ville une ville, n’importe où dans le monde et dans n’importe quelle culture. Physiquement, leur prière est proche de la prière islamique. Ils ont des chapelets, comme aussi les musulmans et les moines chrétiens. Comme dans tous les monastères chrétiens, ils se lèvent très tôt, commencent par la prière commune, puis la journée est rythmée par les temps de prière et d’étude des textes sacrés. Ce qui est plus particulier, ce sont leurs joutes oratoires de l’après-midi, très vives, où ils s’exercent à des questions de dialectique et de dogme – par exemple à partir de la question : un vase est-il impermanent ? Laquelle amène : et une chèvre ?… et toi ?…

Ma Li a filmé pour la première fois, paraît-il, une cérémonie de funérailles célestes. Selon le bouddhisme tibétain, offrir son corps aux vautours après sa mort est un grand acte de don. L’officiant doit d’abord plier le cadavre dans un sac de toile, puis il l’apporte avec quatre personnes dans un lieu élevé à l’écart, où il le sort du sac et le dépose par terre dans la montagne. Il souffle dans un tibia troué pour ce seul usage, afin d’émettre un son qui appelle les vautours. Ils arrivent très vite, ce sont des vautours fauves, comme dans mes montagnes. Pendant que l’officiant récite les prières, ils se tiennent debout par terre à quelques mètres du corps, assistant sagement à la cérémonie comme les quatre hommes assis entre eux et le cadavre – qu’ils ne leur cache pas. L’officiant découpe le cadavre. Quand les prières sont terminées, les hommes se lèvent et les vautours vont faire à leur tour leur office.

Les moines ne travaillent pas, la Chine leur donne un modeste salaire, et les familles et les pèlerins les entretiennent. Il y a parmi eux des ermites. J’ai pensé aussi au vieux moine du Grand silence. Leur croyance en la réincarnation est intéressante, si on ne la prend pas à la lettre. Tous les problèmes avec les religions viennent de ce qu’on les prend trop à la lettre. Quand j’étais jeune adolescente, je disais avoir vécu il y a près de trois mille ans en Crète, où j’étais une prêtresse, comme on en voit bondir au-dessus des taureaux sur les fresques – celle qu’on appelle La Parisienne. La Crète est déjà l’Asie. L’histoire de la mort et des vautours je la comprends très bien aussi, je l’ai vécue, dans mes montagnes (j’en parle dans Forêt profonde et dans Voyage). Les choses ne sont pas ce qu’on croit qu’elles sont. Il faut continuer à faire la lumière. Tout est si splendide. Le révéler, donner la clé, c’est encore ce que je veux faire, en écrivant le prochain livre que j’écris.

À la Butte aux Cailles

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Quelques mois plus tard, l’inscription « The Blood Sucking Hadopi », faisant partie de l’oeuvre du street artist finlandais Sampsa, était effacée par les services municipaux

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cet après-midi à Paris, quartier de la Butte aux Cailles et fête de la Commune, photos Alina Reyes

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Montagnards


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Je jette les premières phrases et bases de mon prochain livre. Je vais de l’avant, il me conduit, tout est merveilleux et limpide.

Je viens d’aller voir au cinéma L’Escurial (Paris 13e) une avant-première du documentaire Tibet, au-delà de la peur, suivie d’un débat. Je suis heureuse que la couleur de l’habit des Pèlerins d’Amour soit proche de celle de ces moines et moniales. Nous serons avec les bouddhistes, aussi, ensemble.

La dette

Au cinéma La Clef une projection d’Afrique 50, le très beau film de René Vautier, suivie d’une présentation du film dans son contexte par Alain Ruscio ; puis projection de De sable et de sang, autre court-métrage, sur Vautier cette fois, de Michel Le Thomas, suivie encore d’un débat avec Damien Millet, du CADTM, Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde.

Afrique 50 est un chef-d’œuvre tourné à l’âge de vingt-et-un ans et monté par Vautier avec ce qu’il put récupérer des bobines qui lui avaient été confisquées par la police. En 1949, fraîchement sorti de l’IDHEC, le jeune homme, ancien résistant, avait été envoyé faire un film sur les bienfaits de la colonisation quant à l’éducation. Mais une fois sur place, la vérité lui commanda un tout autre ouvrage. L’administration coloniale se rendit compte qu’il ne filmait pas ce qu’il fallait. Un commissaire de police fut envoyé fouiller sa chambre pour lui prendre ses bobines. S’ensuivit une bagarre au cours de laquelle Vautier jeta par la fenêtre le policier, qui se cassa le bras. Après quoi, le cinéaste poursuivit son film en fuyant à travers l’Afrique de l’Ouest, un temps hébergé par le fondateur du Rassemblement démocratique africain, Félix Houphouët-Boigny (avant que ce dernier ne soit « retourné », dit Alain Ruscio, par le ministre de la France d’outre-mer de l’époque, François Mitterrand).

Afrique 50 sort la même année que le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire. Mais l’opinion publique, convaincue que la colonisation est nécessaire au niveau de vie des Français et apporte aux peuples colonisés la civilisation, reste très éloignée de toute contestation du fait colonial. Afrique 50 est le premier film anti-colonialiste, alors que, rappelle Alain Ruscio, le cinéma existe depuis cinquante ans. À l’exception de l’Humanité et des revues anarchistes, toute la presse de l’époque (en particulier Le Figaro et Le Pèlerin, distribué dans la France profonde), de même que le cinéma de l’époque (de Pépé le Moko à Princesse Tam-Tam en passant par Le Bled), véhicule les mêmes schémas racistes et colonialistes. Et les socialistes votent les crédits pour la guerre en Indochine jusqu’en 1953. Dans ce contexte la spécificité du film de Vautier est d’autant plus remarquable.

Un jour, ajoute Michel Le Thomas, René Vautier fut blessé par une remarque que lui fit Jean Rouch, dont les films ethnographiques étaient très prisés et largement portés par les distributeurs. Mais l’optique de Vautier fut toujours de chercher à montrer, non pas ce qui sépare les hommes, mais ce qu’ils ont en commun, par-delà les cultures. Ce qui lui valut une vie marquée par une multitude d’empêchements, dont un an d’emprisonnement et la censure d’Afrique 50 pendant plus de quarante ans. Aujourd’hui encore son œuvre est méconnue, même si le nom de Vautier a fini par faire son apparition dans le Dictionnaire du cinéma de Larousse, où d’abord il ne figurait pas, au motif qu’il n’était « pas cinéaste, mais militant ». Tel est le prix, pour qui dérange – un tout autre prix que ceux que les festivals décernent.

Dans De sable et de sang, Michel Le Thomas raconte un épisode dans la vie de René Vautier. Ce dernier s’était rendu il y a vingt ans à Akjoujt, en Mauritanie, sur un site minier abandonné. Avant de repartir, il avait laissé sa caméra à un jeune homme, qui lui envoyait en France des images du quotidien de ces gens qui, avec la mine, avaient perdu leurs pâturages et leur ancien mode de vie, et après la mine, tout le reste. Un jour on informa Jean Vautier que sa caméra, marquée à son nom, avait été retrouvée, échouée sur une côte marocaine où avait fait naufrage un boat people. C’est ainsi qu’il apprit la mort de ce jeune homme, noyé comme tant d’autres sur le chemin du dernier espoir. (Bien sûr j’ai pensé à Mohammed, qui quelques années après mon livre Moha m’aime partit sur un boat people lui aussi, qui heureusement ne coula pas. Et à la bêtise et l’absence de cœur de ces germanopratins qui sur France Culture taxèrent ce livre de néo-colonialisme, tant leur est insupportable un témoignage d’amitié vraie avec les pauvres, et plus encore avec des Arabes pauvres). Le débat qui suivit, sur la demande d’abolition de la dette des pays du Tiers Monde, tombait à point. Qui doit quelque chose à qui, dans ces affaires ?

Un dimanche chez Bernard

lesmutins.org – Par une belle journée de Juin, les Mutins sont invités chez Môssieur Bernard Gainier himself, la star de Bernard ni Dieu ni Chaussettes, histoire de réunir toute la famille du film et pour fêter en musique le centenaire de la disparition du poète Gaston Couté. Au menu : merguez, fromage de chèvre, Gris-meunier de Reynald (le jeune vigneron bio du film) et la poésie toujours… avec le P’tit Crème, Languillaume, Bernard bien sûr et l’un des trois grands de la chanson: « Après Ferré, Brassens … Mérillon » qui, pour faire écolo, a décidé de repeindre tous les cons en vert. Il va y avoir du boulot !

Une autre politique

En parlant de « ces populations », les Roms, qui « ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres » et ont en conséquence « vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie », Manuel Valls, soutenu par le chef de l’État, cache sous le mot population le mot race – puisque la misère est dénoncée comme mode de vie irrémédiablement enracinée dans leur être – et sous leur prétendue vocation du retour à leur terre d’origine, l’idéologie barrésienne de l’enracinement des hommes dans la terre où ils sont nés. « La psychologie de la race domine celle de l’individu », écrivait Vacher de Lapouge en 1899 dans L’Aryen.

Tandis que Valeurs actuelles continue à enchaîner les couvertures nauséabondes sur les Roms et les musulmans, et tandis que le gouvernement socialiste ne sait, en guise de politique intérieure, qu’exhiber son idéologie sociétale, semblant vouloir promouvoir un artificiel « homme nouveau », laquelle idéologie engendre en retour des mouvements réactionnaires également nauséabonds… et tandis que cet État ne sait en guise de politique extérieure qu’exhiber ses prétentions guerrières… comment ne pas constater que toutes ces valeurs actuelles – la race, la terre ; l’homme nouveau, la guerre – sont celles du bric-à-brac de la « pensée » pré-, péri- ou post-fasciste, qui poursuit son travail de gangrène dans notre société ?

Une autre politique est possible : une politique généreuse, inventive, audacieuse, une politique dotée d’une vision et d’un vrai courage, une politique de l’intelligence et de l’humanité, une politique qui ne se berce ni ne berce les autres de mots et d’idéologies. Une politique qui agit, qui ne se débarrasse pas par l’exclusion de ses devoirs à l’égard des hommes, qui ne renonce ni à lutter contre le crime, la délinquance et les manquements aux devoirs à tous les niveaux de la société, ni à œuvrer pour respecter, garantir et promouvoir les droits de tous.