Étendre le domaine

Mon dessin du Fujiyama, recolorié ces jours-ci

Mon dessin du Fujiyama, recolorié (au feutre) ces jours-ci

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Décidément je suis comme le champion de jeûne de Kafka avec la littérature contemporaine. Si j’avais trouvé quelque chose à mon goût, crois-moi, je l’aurais mangé, dit-il. J’ai espéré trouver à mon goût le livre de la dernière prix Nobel qu’on nous présente comme son chef-d’œuvre, mais après quelque deux cents pages lues, l’ennui s’accumule trop, je vais sans doute renoncer. Après tout c’est une occasion de faire jouer mes muscles, et pas dans la cage.

Ces derniers jours quand je suis à la cuisine j’écoute de temps en temps France Culture, comme je le faisais quand je vivais seule à la Grange. Saisi quelques morceaux des « Chemins de la philosophie » consacrés cette semaine à la spiritualité – je vais écouter l’ensemble en podcast : une émission sur Bergson, une sur l’Inde, une sur le chamanisme et une sur le soufisme, cette dernière entendue en partie ce matin. L’animatrice n’est pas mauvaise, mais elle a un sacré mur dans la tête qui la borne beaucoup. La raison est nécessaire mais elle n’est pas la seule voie de connaissance, loin s’en faut. L’indispensable, c’est l’expérience. Faites l’expérience de ce que vous aimez, ne vous contentez pas d’en parler ou d’en entendre parler. Seule l’expérience donne la profondeur de la connaissance, qui peut ensuite se déployer par la pensée.

Je suis allée à la BnF à pied comme d’habitude en tirant mon barda – ordi, gros cahier, etc. – mais parce que ce sont les vacances toutes les salles et tous les couloirs étaient bondés, impossible de s’asseoir. J’ai voulu en profiter pour aller voir l’exposition sur Tolkien : une heure et demie de file d’attente pour les gens munis d’un billet, une demi-heure pour ceux qui comme moi ont une carte de la bibliothèque. J’attendrai la semaine prochaine pour visiter cela plus tranquillement et aller travailler, en faisant certainement étendre ma carte à l’accès au Haut-de-jardin, aux salles des chercheurs.

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Politique du voilement : ces musulmans qui font du saint Paul

L'autre jour à la Butte aux cailles, photo Alina Reyes

L’autre jour à la Butte aux cailles, photo Alina Reyes

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Entendu ce midi sur France Culture un membre du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) déclarer que le voile est une prescription religieuse qui figure dans le Coran. C’est faux. Pas une seule fois le mot « cheveux » ne se trouve dans le Coran, qui prescrit seulement aux femmes de rabattre leur manteau sur leur poitrine quand elles sont dehors (ce qui permettait de les distinguer des prostituées). La vérité est que le voile est une tradition, non une prescription religieuse, du moins dans l’islam. Le voile est une prescription religieuse dans le christianisme, selon saint Paul qui voulait restreindre drastiquement les droits des femmes et les soumettre étroitement à leurs maris. Pas dans l’islam. Pas dans le Coran, en tout cas. Et je suis en colère que des musulmans fassent mentir le Coran et le déshonorent en lui prêtant de basses intentions, qui ne sont que celles des sociétés patriarcales du pourtour méditerranéen.

Que des femmes se voilent si elles le veulent, mais en connaissance de cause, et non parce qu’on leur aura asséné que le Coran, la parole de Dieu, l’exige. L’islam est moins sexiste que saint Paul. Et voici que les hommes en font, contre son essence même, une des religions les plus discriminatoires à l’encontre des femmes. Les grands textes s’échinent à élever et libérer l’homme, les hommes s’échinent à le rabaisser, le mortifier, le soumettre.

Sans perdre mon esprit d’enquêtrice, tout en adhérant sincèrement au meilleur du catholicisme puis de l’islam j’ai pu approcher les fidèles de l’une et l’autre religion et comprendre comment ils vivaient leur religion. Malheureusement ce que j’ai trop rencontré chez les uns et les autres c’est l’obsession sexuelle malsaine, la fermeture, le déni, le mensonge, le mal-être voire une détresse souvent prête à se changer en violence. La violence politique du christianisme a fait des ravages immenses et énormes depuis des siècles. La violence politique de l’islam, dite islamisme, est aussi une conséquence des violences subies par les fidèles, soit au sein de leur communauté ou de leur famille, soit de la part d’une autre communauté ou d’autres nations, comme ce fut le cas pendant la colonisation et comme cela le reste avec les guerres capitalistes menées au Moyen Orient.

On n’avancera pas dans ce problème en le prenant par le petit bout du voile, mais en distinguant clairement dans ce tissu ce qui est tissé de tradition voire de religiosité et ce qui est tissé de politique, de guerre. On se trompe en faisant porter le débat sur la laïcité. La laïcité doit s’accommoder de toutes les religions et de tous les signes religieux. Sous le générique « voile », il faut distinguer ce qui est quasiment une simple superstition, comme le port d’une croix pour les chrétiens, et ce qui n’est plus un signe religieux mais l’étendard d’une politique : niqabs, burqas et autres abayas sombres à la saoudienne. Ces étendards-là ne sont plus du tout de la religion, que les femmes qui les portent en soient conscientes ou non. Ils adressent un message destructeur à l’intérieur d’une société, d’autant plus que cette dernière subit régulièrement les attentats de cet islamisme. C’est sur ces signes-là, et non sur le simple hijab, foulard ou turban, qu’il faudrait s’interroger d’un point de vue citoyen. Toute activité publique, a fortiori tout accompagnement ou garde d’enfants, ne devraient-ils pas être préservés de ce genre de propagande ambulante, comme l’enseignement, par exemple, doit être gardé indemne de la publicité ? Le meilleur argument contre ce genre d’uniforme reste celui du nécessaire respect réciproque entre les différentes composantes de la société, du moins quand elles se retrouvent dans une activité publique. Aux non-musulmans d’accepter les traditions des musulmans dans la mesure où elles n’ont rien de plus agressif qu’une croix, qu’une kippa, qu’un turban sikh, etc. ; et aux musulmans d’accepter de ne pas s’imposer, du moins dans ces circonstances d’activités publiques, en tenues islamistes, de ne pas se poser en étendard de valeurs contraires à la démocratie, à la république et à son principe d’égalité entre hommes et femmes.

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Street Art à la Butte aux cailles en 50 images

De grands noms du Street Art se retrouvent à la Butte aux cailles. Les semaines passent et les œuvres changent.  Raison pour laquelle je vais régulièrement faire un tour dans ce quartier charmant du sud de Paris. Comme d’habitude j’ai photographié surtout les œuvres nouvelles, qui n’y étaient pas lors de mon dernier passage.

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street art butte aux cailles etc. 50-minCes jours-ci à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Léonard de Vinci : l’enfance de l’art

Léonard de Vinci, L'Adoration des mages (inachevé)

Léonard de Vinci, L’Adoration des mages (inachevé)

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Picasso disait qu’il lui avait fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. À mon sens, malgré son génie, il n’y est pas arrivé. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas su trouver assez d’innocence en lui pour pouvoir poser les questions que peuvent poser les enfants. Léonard de Vinci, lui, a eu de cette innocence à foison. Et il a peint comme un enfant. Non pas avec des traits ou des couleurs rappelant les peintures d’enfant, mais en peignant le genre de questions étranges et déroutantes que posent beaucoup d’enfants, ou en posant sans mots le genre d’affirmations étranges que font certains très jeunes enfants, comme s’ils possédaient une connaissance oubliée des adultes.

« Il y a dans la nature une vaste circulation de l’eau à partir de l’océan comparable à la diffusion du sang à partir du cœur, etc. Jusque dans la croissance des métaux, la nature se comporte comme un vivant gigantesque », a-t-il écrit, entre autres affirmations (Anatomie B, fo 28). Ce genre d’affirmations n’est pas le seul fait d’une recherche scientifique, quoique la recherche scientifique soit aussi une impulsion née de l’esprit d’enfance, de sa fraîcheur et de son ouverture. Il faut y songer devant ses peintures de Jésus enfant, plutôt qu’adulte.

Le chemin de l’eau est celui de l’enfance de la vie. Dans les copies de son tableau perdu Léda et le cygne, les enfants sortent d’un œuf au bord de l’eau. C’est un chemin d’eau qui s’en va entre les pierres levées dont nous avons parlé pour la Vierge aux rochers. C’est un lac d’altitude qui s’étend à l’arrière-plan de la Joconde. Nous l’avons remarqué, cette eau dans ses œuvres est une image du temps qui coule ; ou chute (comme la descendance à partir de sa Sainte Anne) ; ou tourbillonne, comme les boucles de cheveux de son Saint Jean, qu’il compare lui-même aux mouvements de l’eau ; ou remonte comme le sang dans la sève, avec l’arbre prenant racine dans la tête du Christ dans la Sainte Anne et dans L’Adoration des mages – où la Vierge, elle, se prolonge en palmier, comme dans le Coran – hasard ? Dans la Joconde, avec ce lac très haut dans les montagnes, elle atteint la paix parfaite, aboutissement de toute quête spirituelle. La Joconde et son sourire témoignent de cet accomplissement ou de cette plénitude chargée de promesse ; et son joug est aussi léger que les couches imperceptibles de peinture dans la technique unique de Léonard, qui, traduisant son âme, donne tant de vie à son œuvre.

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Cette note fait suite à mes précédentes notes sur les œuvres citées, cf mot-clé Léonard de Vinci

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Léonard de Vinci : pierres levées de la Vierge aux rochers et autres pensées

 

« Enter Time ». Shakespeare, The Winter’s Tale, IV, 1

Leonardo_Da_Vinci_-_Vergine_delle_Rocce_(Louvre)

À l’avant du tableau, la « scène du néant », comme l’écrit Shakespeare (sonnet 15) un siècle après que Léonard l’a peinte.1 Au bord de laquelle se tient l’enfant Jésus, et toute la scène. Léonard de Vinci a étudié obstinément l’eau, ses mouvements, ses tourbillons. Voici un autre tableau, après ceux que nous avons vus hier et avant-hier, qui donne à saint Jean une importance ici clairement et étrangement appuyée par le doigt de l’ange qui le désigne, lui le Baptiste, plutôt que le Christ – contre toute orthodoxie. Pourquoi ? J’y ai songé une bonne partie de la nuit. Pourquoi ce geste si insistant de l’ange, avec cette main démesurée pour renforcer l’indication ? Autant que je sache, depuis cinq cents ans, c’est une question, capitale, à laquelle nul n’a répondu. Mais ma « contemplation » m’a fait « faire temple » avec Léonard, pénétrer dans son temple, sa pensée, et le paysage s’est éclairci au fil de mon chemin.

On a souvent noté la sauvagerie inhabituelle en son temps des paysages des derniers tableaux de Léonard, la Joconde bien sûr et aussi la Sainte Anne (paysage dont il ne reste rien dans le Saint Jean). La Vierge aux rochers, peinte quelques années avant ces deux derniers, présente un plein cadre d’univers minéral. Léonard a écrit une belle page sur l’attraction de l’abîme, de la grotte. On distingue un pont à l’arrière-plan de la Joconde : seul témoin d’une humanité ou symbole métaphysique ? Le fait est que le peintre dans ces œuvres lie l’humanité et même la divinité à une nature immémoriale et immaculée. Dans ces espaces évoquant l’abîme du temps, sur ces scènes du néant, il peint l’humain dans son caractère éphémère et pourtant perpétué grâce à la génération et aux générations (explicitement figurées dans la Sainte Anne avec sa descendance) qui, par la grâce du Christ, arbre vert, remontent de la mort, de la « terre », au « ciel » (et nous avons vu le rapport de la Joconde et du Saint Jean avec cette Sainte Anne).

Revenons à notre question : pourquoi saint Jean ? Pourquoi est-ce lui qui nous est désigné par l’ange ? J’ai d’abord songé qu’il pouvait représenter le pont, la transition, celui qui prépare et ouvre le chemin. Il s’agenouille devant le Christ qui va emprunter ce chemin ouvert par lui, en faire l’épreuve, sauver ainsi l’humanité du gouffre au bord de laquelle elle se tient. Le Christ en retour le bénit, lui qui a ouvert cette voie qu’il va emprunter. Mais soudain le sens en moi a fait un bond en avant. « Enter Time ». La didascalie de Shakespeare s’est présentée à mon esprit. Saint Jean, le Baptiste, n’est-il pas la figure du Temps, qui coule et transforme toute chose, comme l’eau dans la vision d’Héraclite et de Léonard ? N’est-ce pas le Temps qui coule en cascade dans la Sainte Anne, dans le même mouvement que celui du Saint Jean ? Et n’est-ce pas, au bout de la remontée, comme l’eau remonte au ciel en nuées, ce que Rimbaud appellera « l’Éternité retrouvée » ?

Au fond de la Vierge aux rochers, se dresse sur la droite, au même endroit que le doigt dans le Saint Jean et que l’arbre dans la Sainte Anne, un grand monolithe pointé vers le ciel. À gauche, dans une autre trouée, s’amorce un chemin étrangement bordé de pierres levées, semblables à celles que des hommes dressèrent en des temps préhistoriques et que le peintre, certainement, ne connaissait pas. Mais l’Esprit, allié au Temps, le traverse et en fait un instant, éternellement présent.

1 Shakespeare dans le sonnet 15 parlait de « la vaste scène du néant ». Antonin Artaud, lui, affirme que « la scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on le remplisse, et qu’on lui fasse parler son langage concret. » N’est-ce pas ce que firent les hommes dans l’espace des grottes ? N’est-ce pas cette « poésie dans l’espace » dont parle Artaud et qu’il veut retrouver lorsqu’il dit chercher « un théâtre qui (…) raconte l’extraordinaire, mette en scène des conflits naturels, des forces naturelles et subtiles, et qui se présente comme une force exceptionnelle de dérivation » (extrait de ma thèse)

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à suivre