Entrer dans l’harmonie

 

Quand Marie part chez Élisabeth, ce n’est pas elle qui l’a décidé. Elle ne fait qu’obéir à ce que le ciel veut. Elle n’invente pas plus de partir qu’Abraham ne l’a inventé, elle ne décide pas plus que Jésus ne décide d’être ce qu’il est. Seules peuvent comprendre cela les personnes qui sont pleinement en Dieu, les personnes soumises entièrement au ciel, « musulmanes » comme on dit en islam. Cela n’enlève rien à leur liberté, au contraire c’est cela, la liberté. Connaître cette liberté, la liberté de Dieu qui passe à travers soi, c’est savoir combien est dérisoire toute autre « liberté ». Toute autre liberté n’est qu’illusion de liberté. Tout autre libre arbitre que celui qui suit la volonté de Dieu est un faux libre arbitre, est barreau sur barreau de la prison de l’homme.

La vraie liberté est comme un instinct. Elle sait exactement. Nous savons exactement respirer et faire circuler le sang en nous, mais nous n’en décidons pas, cela ne nous appartient pas, et c’est pourquoi cela nous rend libres, libres de vivre. Alors que si nous avions à décider de toutes les opérations physiologiques complexes qui nous maintiennent en vie, nous vivrions un enfer, nous serions toujours affairés, toujours dans le désir apeuré de ne pas nous tromper, toujours dans le désir angoissé de maîtriser la situation et tous les éléments qui entrent en jeu.

Eh bien c’est ainsi que vivent beaucoup d’hommes. Faisant du bruit et de l’agitation avec toutes leurs entreprises angoissées, et appelant cela être libre. Les personnes qui se contraignent ainsi elles-mêmes, plus elles se contraignent, plus elles éprouvent la tentation ou le besoin de contraindre aussi les autres, pour tenter d’alléger l’énorme poids dont elles se sont affligées. Cela se répercute sur leur conjoint(e), leurs enfants, leurs proches, leur entourage, cela trouve résonance avec le mal-être et les malfaisances d’autres enfermés, cela enfle parmi l’humanité, et la mort rôde. Le salut, c’est d’aider les hommes non pas à faire de beaux discours, d’efficaces communications, de judicieux enseignements – tout cela n’est rien si l’être lui-même n’est pas apaisé, libéré. De même qu’il ne sert à rien de donner une « bonne éducation » à des enfants si l’on n’est pas soi-même l’incarnation de ce qu’on veut leur apprendre. Le salut, c’est d’aider les hommes à accepter de s’abandonner. Au ciel, qui sait infiniment mieux.

 

Voyage est vivant

aujourd'hui à Paris, photos Alina Reyes

 

Arpentant la ville près de quatre heures durant, avec mon caddy et les livres dedans, comme en d’autres temps avec la poussette et les bébés dedans. Un monsieur m’a affirmé, à plusieurs reprises, qu’il connaissait cette couverture. Or il ne va jamais sur internet. Et le livre n’est encore publiquement visible nulle part ailleurs. Il n’arrivait pas à le croire, il m’a même demandé deux fois si je ne le lui avais pas déjà montré, quelques semaines plus tôt peut-être. Or nous ne nous étions jamais rencontrés, et le livre est tout récent. Mais puisque, d’une façon ou d’une autre, il l’avait vu, je le lui ai donné.

J’ai vu une mouette attraper un poisson dans la Seine, c’était la première fois que je voyais cela.

Une jeune femme m’a demandé son chemin pour la rue de la Clef, je le lui ai indiqué.

À la fin j’ai cherché dans le dédale de la Pitié-Salpêtrière la bibliothèque des patients et des soignants. Une dame à l’accueil de la cardiologie m’a renseignée. J’y suis allée, elle était fermée depuis près de deux heures. J’ai arraché une page dans mon carnet, j’ai écrit un mot que j’ai mis avec le livre, en le faisant tenir avec une ficelle trouvée par terre. J’allais le glisser dans la boîte, quand j’ai entendu une voix derrière la porte fermée. Une dame qui finissait de téléphoner l’a ouverte, et s’est trouvée nez à nez avec moi. Très gentiment elle a pris le livre, en disant qu’il était très beau.

 

Pérégrination du jour

Un jeune homme m’a demandé son chemin pour la rue de l’Espérance. Je le lui ai indiqué, elle précède juste la rue de la Providence, où se trouve une école dans laquelle chaque semaine, il y a quelques années, j’allais répéter dans un choeur, le Requiem de Verdi et le Magnificat de Bach, et aussi la Messe du Couronnement.


à Paris aujourd’hui, photos Alina Reyes

 

Joie intense de marcher sous la pluie, la capuche sur la tête ou tête nue, s’arrêter çà et là, présenter Voyage, le donner à qui le veut. Les gens le trouvent beau, et ils sont extrêmement gentils, ceux qui ne peuvent le prendre essaient de m’aider, me donnent des conseils. Je ne peux rien faire seule, c’est pourquoi l’Ange est avec moi, et leur donne une joie dont ils ne savent pas d’où elle vient.

 

Y être

 

Échec et réussite sont des concepts humains, des concepts d’humains limités. Vouloir réussir, voilà ce qui conduit à l’échec. L’échec n’existe que dans la perspective de la réussite. Je l’ai déjà dit dans Voyage mais il faut le répéter, en Dieu il n’est ni échec ni réussite. Dieu crée et procède, et ce « procès » est tout à la fois jugement, application du jugement, et renouvellement de la création.

Qui est en Dieu ne connaît pas l’échec. Qui est en Dieu avance, sûr du but, quel que soit le chemin qu’il faut suivre. Qui est en Dieu aime le chemin, qui est lui-même Dieu en train d’être.

Ayez confiance, ayez foi, ne cherchez pas à maîtriser ce qui ne peut être maîtrisé, ne cherchez pas à contester ceci ou cela de ce qui ne peut être contesté, ne faites pas tout cela qui ne fait que vous retarder ou vous faire tomber sur les bas-côtés, soyez soumis à la Voie, tout à la fois en vous y laissant porter et en suivant son mouvement. Alors vous Y serez.

 

Puis je repars pérégriner

photo Alina Reyes

 

Le juge de l’affaire Tapie mis en examen pour escroquerie en bande organisée. Le juge de l’affaire Bettencourt mis en cause pour son lien avec l’expert qu’il avait désigné. Moi aussi, j’eus plus que des soupçons, quand j’eus à recevoir un jugement entaché de choses étranges. De petites compromissions en grandes corruptions, notre pays est lentement dévoré par un cancer. Et les trompeurs sont toujours, ou reviennent toujours aux affaires. Heureusement, il est encore des cas où la justice parvient à dénoncer les errements de la justice et de la politique. Mais pour les sans-défense comme moi, c’est peine perdue. Reste le Jugement supérieur, celui-ci rien ne peut le tromper.

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Frigide Barjot dit ne plus pouvoir payer son loyer, ayant laissé beaucoup de plumes dans la Manif pour tous, dont elle est désormais exclue. Peut-être ceux pour qui elle a œuvré pourraient-ils à leur tour l’aider un peu ? Histoire qu’on n’ait pas l’impression qu’il y a dans l’Église, d’une part un clergé toujours à l’abri (grâce aux laïcs qui le paient), d’autre part des laïcs qui s’engagent et peuvent être jetés ensuite sans que personne ne se soucie de leur situation.

Quant à la Manif pour tous, c’était une affaire mal partie d’emblée. Il n’était pas bon du tout de copier la symbolique des gays avec ces couleurs et ces airs de festivité que Frigide Barjot connaissait bien, mais qui ne pouvaient qu’augmenter le trouble des participants et les jeter dans une hantise quasi délirante de l’homosexualité.

Et tout ça pour quoi ? Pour un gâchis, comme chaque fois qu’on joue sur l’ambiguïté. Si le problème est vraiment celui des enfants, il faut se battre sur ce terrain-là, et autrement. Non pas en ciblant les couples homosexuels, qui de toutes façons existent, mais en faisant un travail d’information et d’éducation, en alertant sur le trafic des embryons et des enfants, en plaidant leur cause dans toute la société et auprès de tous les couples stériles, qu’ils soient homo ou hétérosexuels.

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Aujourd’hui est l’anniversaire de la mort de Jeanne d’Arc, tuée sur un bûcher par la Chrétienté. On dira que l’Islam est porteur de violence, tiens. Islam signifie Paix, Christ signifie Paix, Jérusalem signifie Paix, et nous les Pèlerins sortis de Voyage nous serons de ceux qui la feront. À lire ici un texte d’Éric Geoffroy sur la valeur spirituelle en islam de la pérégrination et du voyage.

Bonne journée, bon chemin à vous !

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Sacre du Printemps

Matisse, La Danse

 

Aujourd’hui, centenaire du Sacre du Printemps de Stravinsky. Extraordinaire œuvre, bondissement, plus actuel que jamais. Le paganisme absolu couché comme un fauve transpercé de flèches et vivant au pied de la Porte du ciel, entrouverte et qui attend que les peuples, auxquels le fauve fait somptueux tapis, entrent et passent de l’autre côté, dans la lumière pure.

L’Église a un beau-papa. Bien sympa et tout, mais c’est pas ça. Dévoué, faisant tout pour se faire accepter, y parvenant très bien, et d’autant mieux qu’il vient combler la peur du vide. N’empêche, on n’avait jamais entendu dire qu’après la disparition de Joseph, Marie avait pris un autre époux. Malachie n’était pas sans prophétie. Allez, tout cela sera transformé pour le mieux.

Les personnes qui n’aiment pas « les curés », ce ne sont pas les curés qu’elles n’aiment pas, mais les faux-culs, ceux qui disent et ne font pas, ceux qui pensent par derrière comme disait Nijinsky. Loin de moi la pensée que tous les prêtres le sont, mais une grande lessive de printemps ferait le plus grand bien à leur linge et leurs habits.

Craignons le Seigneur et n’ayons pas peur, le Jour avance.

 

À la source

Des « Antigone » manifestent contre les « Femen ». Je ne sais quel sens elles donnent précisément au nom qu’elles se sont choisi, mais quand elles parlent de loi naturelle, je voudrais rappeler qu’Antigone n’a pas suivi la loi naturelle, mais la loi divine. Ou bien c’est que le divin (accomplir les rites funéraires en l’occurrence) est la loi naturelle de l’homme. Tandis que le politique politicien (la règle édictée par le chef en l’occurrence) est la loi naturelle du singe. Les Femen sont des instruments du singe.

Ne pas confondre événement et événementiel. La course à l’événementiel est jumelle de la course à la consommation. Quand le sol se dérobe sous les pieds, quand la vie est en fuite, quand la peur cachée règne, on multiplie les événements fabriqués en tous genres. Les vivants n’ont pas besoin de ce genre de stimuli désespérés, et ce genre de stimuli ne tire personne de la mort. Ne pas confondre occuper le terrain par toutes sortes de gadgets, et l’ensemencer.

Un homme s’est suicidé à Notre-Dame par haine de toute « métaphysique de l’illimité ». Ce geste a une portée spirituelle considérable, aussi grave que sa motivation, la même qui conduisit au nazisme. Quand je rappelle l’importance capitale d’avoir l’esprit bien clair sur cette question, deux ou trois « bons catholiques » rejettent ma parole et m’expriment leur mépris. Ils ne savent pas ce qu’ils font, ou plus sûrement, ils ont trop peur d’apprendre ce qui se tapit sous leurs apparences de pensée et de certitudes. Loin des futilités que, faute d’arguments, ils me prêtent, je le dis prophétiquement : cette question est absolument essentielle. Soit l’on considère que l’homme est un être pour la mort, donc un être limité, donc enfermé. Soit il est un être pour la vie, donc inscrit dans la métaphysique de l’illimité, donc libre : folie pour les uns, scandale pour les autres, voilà pourtant la vérité de l’homme accompli, passé par-delà les limites du péché et de la mort.

La position des hommes face à cette question détermine la voie dans laquelle ils s’engagent : soit le salut, soit la mort, la mort qui dure, comme ce fut le cas dans le nazisme et dans d’autres systèmes morbides, comme c’est encore le cas dans d’immenses pans d’âmes ou de sociétés humaines. Et j’invite ceux qui relativisent son importance à réviser leur foi, leur pensée, leur histoire. Ce n’est pas dans les surfaces, ni dans les apparences, ni dans l’événementiel, qu’il faut se convertir. C’est à la source.

 

L’Ange et le zèbre

Jardiniers au travail sous la pluie, tout à l'heure, photo Alina Reyes

 

Quand je présente Voyage dans une librairie (pour proposer de le déposer) ou dans une bibliothèque (pour proposer de le donner), l’Ange est avec moi, c’est lui qui est reçu. Jusque là gentiment, plus souvent encore très gentiment (sauf une fois – j’aurais voulu dire à la revêche : souriez, l’Ange est là ! mais elle n’y aurait pas cru).  Les jeunes sont particulièrement gentils, ils aiment le livre tel qu’il se présente, un jeune homme m’a dit que la peinture lui rappelait un artiste dont il m’a donné le nom – mais je l’ai oublié -, une jeune femme a dit qu’il était très beau. Je marche sous la pluie, bienheureuse sous ma capuche multicolore trempée, en tirant le caddy que j’ai acheté exprès pour transporter les exemplaires du livre à présenter ou à poster, un caddy comme en ont les sans-abri ou les distributeurs de prospectus, mais joyeux, en toile cirée vert vif avec des zèbres et l’inscription « course de zèbre ». Âne ou zèbre de somme, je rentre à la maison, j’entends les chants masaï enregistrés par O, à mon cou les colliers masaï ont les couleurs du livre.

Sa robe zappe. Irons-nous au zoo,
caresser sur les zébrures du zèbre,
de zéro en un, l’algèbre ?
Drôle de zèle, j’en zézaie raies.