Entrer dans l’harmonie

 

Quand Marie part chez Élisabeth, ce n’est pas elle qui l’a décidé. Elle ne fait qu’obéir à ce que le ciel veut. Elle n’invente pas plus de partir qu’Abraham ne l’a inventé, elle ne décide pas plus que Jésus ne décide d’être ce qu’il est. Seules peuvent comprendre cela les personnes qui sont pleinement en Dieu, les personnes soumises entièrement au ciel, « musulmanes » comme on dit en islam. Cela n’enlève rien à leur liberté, au contraire c’est cela, la liberté. Connaître cette liberté, la liberté de Dieu qui passe à travers soi, c’est savoir combien est dérisoire toute autre « liberté ». Toute autre liberté n’est qu’illusion de liberté. Tout autre libre arbitre que celui qui suit la volonté de Dieu est un faux libre arbitre, est barreau sur barreau de la prison de l’homme.

La vraie liberté est comme un instinct. Elle sait exactement. Nous savons exactement respirer et faire circuler le sang en nous, mais nous n’en décidons pas, cela ne nous appartient pas, et c’est pourquoi cela nous rend libres, libres de vivre. Alors que si nous avions à décider de toutes les opérations physiologiques complexes qui nous maintiennent en vie, nous vivrions un enfer, nous serions toujours affairés, toujours dans le désir apeuré de ne pas nous tromper, toujours dans le désir angoissé de maîtriser la situation et tous les éléments qui entrent en jeu.

Eh bien c’est ainsi que vivent beaucoup d’hommes. Faisant du bruit et de l’agitation avec toutes leurs entreprises angoissées, et appelant cela être libre. Les personnes qui se contraignent ainsi elles-mêmes, plus elles se contraignent, plus elles éprouvent la tentation ou le besoin de contraindre aussi les autres, pour tenter d’alléger l’énorme poids dont elles se sont affligées. Cela se répercute sur leur conjoint(e), leurs enfants, leurs proches, leur entourage, cela trouve résonance avec le mal-être et les malfaisances d’autres enfermés, cela enfle parmi l’humanité, et la mort rôde. Le salut, c’est d’aider les hommes non pas à faire de beaux discours, d’efficaces communications, de judicieux enseignements – tout cela n’est rien si l’être lui-même n’est pas apaisé, libéré. De même qu’il ne sert à rien de donner une « bonne éducation » à des enfants si l’on n’est pas soi-même l’incarnation de ce qu’on veut leur apprendre. Le salut, c’est d’aider les hommes à accepter de s’abandonner. Au ciel, qui sait infiniment mieux.