La burqa bleue

 

Hier c’était l’anniversaire de mon troisième fils. Je lui ai dit combien j’étais heureuse que ses dix-huit ans coïncident avec cette date historique d’une première reconnaissance de la Palestine par l’ONU. Il a soufflé les bougies au même moment où des feux d’artifice illuminaient le ciel de Ramallah. Il est né à Lourdes, dans l’hôpital qui fut d’abord le presbytère où la petite Bernadette vint raconter au curé les apparitions de la Vierge à la grotte. Le médecin accoucheur, chef de la maternité, me racontait qu’il avait une proposition pour aller exercer à la maternité de Bethléem, et cela me faisait rêver. Il était arabe, très jovial et plein d’esprit. Il avait dans son bureau, sur l’étagère, trois livres : le Coran, la Bible, et mon roman érotique en forme de labyrinthe Derrière la porte. Une fois où je suis allée le voir en été, quelques années plus tard, il m’a fait passer, par jeu, une burqa bleue. Ce fut une sensation très intéressante, comme d’être derrière la porte et de pouvoir l’ouvrir, la porte d’un autre monde comme dans mon roman. J’ai les cheveux libres mais je continue à porter la burqa, une burqa invisible, une burqa mentale qui est comme le palmier isolé sous lequel Marie est partie accoucher. L’Enfant vient.

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« Dans le plus précieux Dieu fit naître les eaux-de-feu célestes et le pays » Genèse 1,1, ma traduction dans « Voyage »

photo Marko Djurica/Reuters

 

Les « eaux-de-feu célestes » sont les paroles de Dieu à travers le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Je crois en ces paroles, cette unique Parole en toutes ses formes, je crois qu’elle est vivante et avançante, je crois à ce qui avance. Nous allons aller doucement vers un seul État pour tous.

Je crois que la Palestine, et sa capitale Jérusalem, sont l’avant-poste de  la paix pour tous les hommes de la terre, du « pays » qu’est l’humanité.

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Participants

hier à Paris, photo Alina Reyes

 

Le nombre de nos dents équivaut sensiblement à celui des lettres de nos alphabets. Sourire c’est tout dire !

Dieu sait ce qui est tissé dans chaque cœur. Ce voile que chaque homme fabrique tout au long de sa vie, c’est celui qui l’enveloppe à l’heure de sa mort. Sa mort d’ici et maintenant, d’à chaque instant de son existence. Et la grande mort qui l’attend, ailleurs et en un autre temps.
Ce voile dans le cœur est la peau qu’il lui faut purifier, pour pouvoir entrer au Jardin bienheureux.

« Il n’est d’autre dieu que Dieu » signifie : il n’est rien d’autre que la Vie.

L’odeur de la mort donne envie de vomir, sauf aux hyènes, aux yeux purulents et au corps subreptice.

« Louange à Dieu » signifie : louange à la Vie, souveraine des mondes, c’est elle seule que nous adorons, elle dont la logique régit tout, elle qui seule donne le salut et fait de l’homme un homme devant Dieu.

 

Que le temps des prophètes ait pris fin selon les juifs au troisième siècle avant notre ère, que Jean-Baptiste soit pour les chrétiens le dernier prophète, que Mohammed soit pour les musulmans le sceau des prophètes, ne signifie pas qu’il n’y a plus de prophètes après eux, grands ou petits. Gandhi par exemple fut un grand prophète. Cela signifie que pour ce qui est du judaïsme la prophétie est achevée au troisième siècle avant Jésus-Christ ; que dans l’événement du christianisme c’est après Jean-Baptiste que tout, en le Messie, est annoncé ; que dans l’islam Mohammed récapitulant dans une autre dimension les prophéties antérieures à lui accomplit l’absolu de la prophétie.

Que Jésus soit le « Fils de l’Homme » selon lui-même, le « Fils de Dieu » selon les chrétiens, le « Sceau de la Sainteté » selon l’islam, ne signifie pas que Dieu ait eu un enfant comme l’homme peut en avoir, mais que son être est l’absolu de l’homme en Dieu. Et c’est pourquoi l’islam comme le christianisme sait qu’il doit revenir à l’accomplissement des temps, pour lesquels le judaïsme aussi attend le Messie. Cet accomplissement des temps où l’Homme sera parvenu à sa maturité.

Aux hommes d’opérer les déplacements nécessaires pour voir Dieu dans les diffractements, les langues de sa Langue. Chacune de ses annonces et de ses manifestations à travers le temps a sa logique et son sens, chacune est liée aux autres et œuvre pour l’accomplissement de l’Homme dans ses diverses dimensions. Participons, c’est magnifique.

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Écrit cette nuit

 

Le vent a soufflé cette nuit

le vent des anges qui tournaient

autour des villes des mondes et des âmes

accomplissant bruissants leur mission

pour l’instant de reconnaissance.

 

Le vent chargé de lettres aussi nombreuses que les hommes

et dont chacune a imprimé son sceau

sur chaque front.

 

La moisson faite, le vent avec ses anges

est remonté. Mais qui sait ce qu’ils ont moissonné ?

Ils reviendront.

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Qu’est-ce que l’Homme ?

image Alina Reyes

 

Mohammed comme Jean-Baptiste comme Marie, reçoit Dieu par l’esprit en amont, le fait advenir au monde dans l’eau de la parole, le voit venir et partir en aval, infiniment plus grand que lui dans le temps et l’espace.

Sens de l’incarnation : Dieu agit parmi les hommes. Comme par la main de Moïse tendue sur la mer sauvant son peuple, comme par Jésus, “sceau de la sainteté”, dans son être renouvelant l’être, comme par Mohammed, “sceau de la prophétie”, Il est en un Livre descendu. Cri du Prophète dans le désert, qui l’a manifesté au monde dans un Livre à partir duquel s’incarne un autre homme, le musulman.

L’homme ne peut pas vivre sans religion. Qu’est-ce que l’homme ? Le face-à-Dieu. L’homme irreligieux, incroyant, vit dans un réseau serré de fausses religions et de fausses croyances. Les fausses religions et les fausses croyances sont celles qui ne se reconnaissent pas comme telles. Elles emprisonnent, paralysent et tuent l’être à la racine, du fait que ce à quoi il croit en croyant ne pas croire n’accède pas pour lui au statut relevé et libérateur de croyance mais le cerne et le possède en tant que réalité. L’être ainsi aveuglé, étouffé, fossilisé, ne peut qu’enregistrer toujours plus de fausses croyances, de fausses connaissances qui resserrent autour de lui le mortel maillage.

Le vrai croyant des vraies religions, des religions et croyances déclarées comme telles, c’est-à-dire ouvrant l’accès à la Vérité, qui ne se trouve pas en elles mais au-delà d’elles, est un être très rare. Le croyant est presque toujours très grandement contaminé par l’homme du monde en lui, le croyant non reconnu des croyances non reconnues, l’idolâtre. De plus, il est souvent empêché, par lui-même et par les pouvoirs religieux qui veulent toujours asseoir leur pouvoir temporel, de reconnaître que sa croyance est une croyance, le reflet ou l’ombre de la Vérité et non la Vérité elle-même, si bien qu’il pratique sa vraie religion comme une idolâtrie.

La solution de libération de l’homme n’est pas de vouloir abolir les religions, ce qui ne fait et ne ferait qu’étendre encore l’empire des idolâtries, mais d’apprendre et de savoir entrer dans la Vérité par la porte, non seulement de sa propre religion, mais de toute vraie religion. Il ne s’agit de rien de moins que de partir à la découverte d’un Nouveau Nouveau Monde.

Il ne s’agit pas de savoir qui détient la vérité, mais de comprendre que Dieu a donné sa même et unique vérité à chacun, sous des formes différentes, des langages qu’il nous appartient de découvrir et de comprendre, afin de pouvoir, par eux, remonter à la Source, en multiples affluents que nous sommes d’une même eau. La vérité de Dieu est en chaque homme et chaque élément de sa création, il ne peut en être autrement. Savoir cela et en tirer les bonnes conséquences, voilà ce qu’est croire en Dieu, le connaître, cheminer en lui.

 

(in Voyage)

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Tombent les masques

à Paris, photo Alina Reyes

 

« Quelle prière peule fit Nafissatou Diallo au moment où elle avait le pénis de Dominique Strauss-Kahn entre les lèvres ? » J’ai rarement lu une phrase aussi dégueulasse, aussi misogyne, dominatrice, nihiliste. Pour ne pas dire raciste. Quelque part sur internet, Stéphane Zagdanski se vante de l’avoir écrite. Stéphane, quelle débandade de la pensée, quel mauvais tournant dans ton existence. Comme si on pouvait prier pendant un viol. Esthétique nihiliste rejoignant le dolorisme de ce mauvais catholique entendu hier soir déclarer qu’on n’est jamais aussi près de Dieu que dans la souffrance. Voilà ce qu’adorent les imposteurs, souffrir et faire souffrir.

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Une représentante française des Femen, activistes « féministes », est aussi call-girl, révèle un autre site souvent trouble. Imposture pitoyable, mais pas davantage que celle de ces intellectuels prétendument contestataires du « système », qui bouffent à tous ses râteliers, télé, réseaux, entrepolissages d’égos boursouflés et creux, au service d’eux-mêmes et de ce monde qui leur permet de se donner l’air d’être ce qu’ils ne sont pas.

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Les Indigènes de la République déclarent qu’ils ne veulent pas être des indigènes de la République. Lors de la création des Ni Putes ni Soumises, je fis remarquer le nihilisme d’une telle appellation, qui ne pouvait présager rien de bon. Pourquoi s’appeler par ce qu’on ne veut pas être ? Il y a encore là une façon cachée de s’enfoncer dans l’état que l’on dénonce.

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Voyez Israël, avec son Pilier de Défense destiné à enfumer Gaza et bien au-delà, le monde. Le vrai nom de leur opération est Colonne de nuée, en référence à l’épisode biblique (dont je parlais hier) de la sortie d’Égypte, où Dieu protège son peuple en se tenant dans une colonne de nuée qui sépare le mouvement de libération des forces d’aliénation. Inversion monstrueuse, obscène, blasphématoire. Tsahal ou Hamas ou Washington ou quiconque, n’essayez pas de récupérer Dieu.

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Tous ces glorieux combattants ont pourtant un même ancêtre, Abraham, à qui Dieu a enseigné qu’il ne fallait plus sacrifier les enfants. Tous ces glorieux combattants qui par orgueil désobéissent à Dieu qu’ils prétendent servir, qui par paresse choisissent le combat par les armes plutôt que par l’intelligence, qui les yeux pleins de sang ne voient pas que Dieu leur a dit de sacrifier la bête en eux plutôt que l’enfant, tous ces glorieux combattants, et ceux qui les soutiennent, et ceux qui négligent de retenir leur bras et de les guider dans une autre voie, je les appelle des assassins.

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Le sionisme doit-il être remplacé par un autre nationalisme, islamiste ? À peine déclaré le cessez-le-feu, des va-t-en-guerre bien à l’abri en France ont paru s’ennuyer déjà du spectacle de la mort. Et si on commençait plutôt à rêver de la paix, et à réfléchir à comment la construire ? Un jour ils seront frères et réunis, tous les enfants d’Abraham qui habitent toute la Palestine.

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Un père américain a transformé pour sa petite fille de cinq ans le héros de Zelda en jeune fille, et le but de son aventure en désir de secourir son petit frère. Les esprits conservateurs se moquent, mais une héroïne qui se bat pour sauver son petit frère c’est beaucoup plus courant et vraisemblable qu’un héros qui se bat pour sauver une princesse.

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Michel Onfray, omnimédiatique, déclare qu’il est « un ogre ». Grosse crise d’hystérie ? La crise du milieu de la vie ? La peur de manquer d’être face au trou noir qui vient ? Un peu d’ascèse, ça ira mieux. Contre les tentations style «Grande bouffe », « Je suis partout », ou « Règle du jeu », écoutons donc la leçon des grandes religions, et notamment de l’islam : la règle du jeûne. Profond apaisement garanti.

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Les musulmans les plus influents du monde sont paraît-il le roi d’Arabie, le premier ministre turc et le roi du Maroc, suivis de beaucoup d’autres personnalités diverses. Des musulmans influents, mais sur quoi ? J’aurais plutôt dit : le Prophète, et puis aussi Jésus, Moïse, et tous les autres prophètes dont la parole n’a cessé de combattre pour la vérité. Ils sont si vivants, et leur parole est si vivante, elle seule traverse les siècles et continue à faire vivre le monde. À lui donner espérance en se renouvelant aussi, comme elle le fit par la voix d’un Gandhi et continue à le faire par chacune de nos petites voix, si discrètes soient-elles, quand elles parlent clair, en accord avec ce que nous sommes, vivons et disons. Ce monde depuis si longtemps travaillé par tant de nihilisme serait écroulé, ce monde en pleine grande inversion serait déjà anéanti, sans cette vivante parole de vérité, par laquelle nous devons continuer à le soutenir, piliers humains.

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Achoura, sortie de la mort par la mer du Parler

Maryam et le peuple louant Dieu par des chants, des danses et le tambourin, après le passage de la mer du Roseau (Exode chap.15), image Alina Reyes

 

Aujourd’hui je jeûne Achoura, n’ayant pu le faire avant-hier. Mohammed a souhaité célébrer la victoire de Moïse et de son peuple à la traversée de la mer Rouge (mer du Roseau), pour marquer son lien avec le peuple juif et l’universalité de l’islam, dans le temps comme dans l’espace. Je prie pour qu’advienne ce qui doit advenir, que toute l’humanité finisse par constituer ce peuple sauvé des eaux. Et je donne ma traduction bien particulière et mes commentaires (dans Voyage) des passages de la Bible (chapitres 13 et 14 de l’Exode) qui racontent cet événement.

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13

17. Il advint, lorsque Pharaon envoya le peuple, que Dieu ne les conduisit pas sur la route du pays des Philistins, bien qu’elle fût proche. Car Dieu dit : il ne faudrait pas que le peuple change d’avis en voyant se profiler les combats, et retourne en Égypte. 18. Dieu fit faire au peuple un détour par la voie du parler, la mer du Roseau. Et c’est armés que montèrent les fils d’Israël du pays d’Égypte.

19. Moïse prit avec lui les ossements de Joseph, car ce dernier avait fait jurer, jurer les fils d’Israël, disant : «  Il vous cherche, il viendra vous chercher, Dieu, et vous ferez monter mes ossements d’ici, avec vous. »

20. Ils partirent de Soukkot, « Tentes », et campèrent à Étam, au bout du parler.

21. Le Seigneur marchait devant leur visage, le jour en colonne de nuée pour les conduire sur le chemin, la nuit en colonne de feu pour les éclairer, et marcher jour et nuit. 22. Elle ne se retirait pas, la colonne de nuée, le jour, ni la colonne de feu, la nuit, devant le visage du peuple.

 

Moïse est allé voir Pharaon, a déployé tous les prodiges de Dieu, mais Pharaon s’est extraordinairement entêté, comme font les hommes devant la voie de la raison et de la vie. Malgré tous les fléaux qui ont alors frappé l’Égypte, il a refusé de changer de comportement, comme nous le faisons aujourd’hui malgré tous les fléaux qui frappent notre monde. Après la mort de tous les premiers-nés du pays, Pharaon a finalement accepté que Moïse emmène son peuple. Moïse a reçu les prescriptions pour célébrer la Pâque, et les voici qui partent, six cent mille hommes avec leur famille, leur bétail, et la pâte à pain qui n’a pas eu le temps de lever.

Au verset 18, je traduis le mot midbar par le parler. Ce mot a trois sens : 1) prairie, pâturage ; 2) désert ; 3) action de parler, le parler. Et sa racine, c’est le verbe davar, parler. N’est-il pas intéressant qu’il désigne à la fois un pâturage et un désert ? C’est que la parole de Dieu nourrit, et en même temps envoie au désert.

La « mer Rouge » s’appelle en vérité « mer du Roseau » parce que le roseau parle – tous les contemplatifs le savent, la voix de Dieu passe par lui, et les mystiques soufis écoutent le souffle du Créateur et les soupirs de la créature via le ney, la flûte de roseau. La mer du Roseau est la mer du parler, donc de la Présence qui ouvre à l’extase, à la sortie de soi, tel le bateau ivre de Rimbaud dans le « Poème de la Mer ».

Dieu sait qu’il ne peut envoyer le peuple directement au combat, il reculerait. Il l’arme donc de sa parole, qui dépouille des vieilles habitudes et en même temps donne courage pour partir. Bien entendu le peuple retombera à toute occasion dans son désir de retrouver refuge dans quelque servitude, et pour l’en sortir la parole de Dieu se fera toujours plus précise, dans l’établissement de la Loi et des Commandements.

Pourtant quelle aventure, de marcher ainsi nuit et jour, guidé par Dieu dans la colonne de nuée et la colonne de feu. Que peut-on vivre de mieux ?

 

14

1. Le Seigneur parla à Moïse, lui disant : 2. « Dis aux fils d’Israël de revenir camper à la face de Pi-Hahirot, « Ma Bouche des canaux », entre Migdol, « Tour », et la mer, à la face de Baal Cephon, « Seigneur Défend ». Devant lui vous camperez, au-dessus de la mer. 3. Pharaon dira des fils d’Israël : « Ils sont égarés dans le pays, le parler s’est fermé sur eux. » 4. Je renforcerai le cœur de Pharaon, il les poursuivra, et je serai glorifié en Pharaon et toute son armée : ils sentiront, les Égyptiens, que je suis le Seigneur ! » Ainsi firent-ils.

5. On raconta au roi d’Égypte que le peuple s’était enfui. Alors se retourna le cœur de Pharaon et de ses serviteurs au sujet du peuple. Ils dirent : « Qu’avons-nous fait là, d’envoyer Israël hors de notre service ? » 6. Il attela son char et prit son peuple avec lui. 7. Il prit six cents chars d’élite et tous les chars d’Égypte, avec des officiers sur chacun.

8. Le Seigneur renforça le cœur de Pharaon, roi d’Égypte, et il poursuivit les fils d’Israël. Or les fils d’Israël s’en sortirent la main haute.

9. Les Égyptiens les poursuivirent et les atteignirent alors qu’ils campaient au-dessus de la mer – tous les chevaux, les chars de Pharaon, ses cavaliers et son armée, devant Pi Hahirot et à la face de Baal Cephon. 10. Pharaon fit approcher, et les fils d’Israël levèrent leurs yeux : voici, l’Égypte marchait derrière eux ! Ils eurent très peur, les fils d’Israël, et ils crièrent vers le Seigneur. 11. Ils dirent à Moïse : « Est-ce parce qu’il n’y a plus nul tombeau en Égypte que tu nous a pris pour mourir dans le parler ? Que nous as-tu fait en nous faisant sortir d’Égypte ? 12. N’est-ce pas là la parole que nous te parlions en Égypte,  disant : Laisse-nous servir les Égyptiens, car il est bon pour nous de servir les Égyptiens, plutôt que de mourir dans le parler. »

13. Moïse dit au peuple : « N’ayez pas peur ! tenez-vous ! et vous verrez le salut que le Seigneur fera pour vous aujourd’hui : les Égyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les verrez plus jamais, de toute l’éternité ! 14. C’est le Seigneur qui combattra pour vous. Et vous, vous vous tairez. »

15. Le Seigneur dit à Moïse : « Pourquoi cries-tu vers moi ? Dis aux fils d’Israël de partir. 16. Toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer et fends-la, que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec. 17. Et moi, me voici : je vais renforcer le cœur des Égyptiens, ils entreront derrière eux, et je ferai sentir mon poids dans Pharaon et toute son armée, dans ses chars et dans ses cavaliers. 18. Ils vont sentir, les Égyptiens, que je suis le Seigneur, quand je vais me glorifier en Pharaon, ses chars et ses cavaliers ! »

19. L’Ange de Dieu, qui marchait au visage du camp d’Israël, partit et passa derrière eux. Et partit de devant leur visage la colonne de nuée, pour se tenir derrière eux. 20. Elle vint entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. Ce fut la nuée et la ténèbre, et elle illumina la nuit. Et celui-ci ne s’approcha pas de celui-ci de toute la nuit.

21. Moïse étendit sa main sur la mer. Et le Seigneur fit aller la mer dans un puissant souffle d’en avant, toute la nuit. Il mit la mer à sec et fendit les eaux.

22. Les fils d’Israël entrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche.

23. Les Égyptiens les poursuivirent, et entrèrent derrière eux tout cheval de Pharaon, son char et ses cavaliers, dans le milieu de la mer.

24. Et il advint, dans la veille du matin, que le Seigneur, en s’avançant dans la colonne de feu et de nuée, regarda vers le camp des Égyptiens, et confondit le camp des Égyptiens. 25. Il enraya la roue de ses chars, rendant leur conduite lourde. Les Égyptiens dirent : « Fuyons de la face d’Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre les Égyptiens ! »

26. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends ta main sur la mer, que retournent les eaux sur les Égyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers ! »

27. Moïse étendit sa main sur la mer, et revint la mer, aux tournants du matin, via son impétuosité. Les Égyptiens s’enfuirent à sa rencontre, et le Seigneur secoua les Égyptiens au milieu de la mer. 28. Retournèrent les eaux, couvrant les chars et les cavaliers via toute l’armée de Pharaon, qui était entrée derrière eux dans la mer. Il n’en resta pas un seul.

29. Les fils d’Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer, les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche. 30. Le Seigneur en ce jour sauva Israël de la main des Égyptiens, et Israël vit les Égyptiens morts sur la langue de la mer. 31. Israël vit la grande main que le Seigneur avait déployée contre les Égyptiens, et le peuple craignit le Seigneur, et ils eurent foi en le Seigneur, et en Moïse son serviteur.

 

C’est un grand récit d’accouchement spirituel et de consécration. Dieu accouche son peuple, et ce faisant le consacre peuple de Dieu, comme il l’avait promis à Abraham. La consécration s’opère dans la séparation que Dieu réalise entre « celui-ci » et « celui-ci » (v.20), entre le camp de la mort et celui de la vie. Dieu sépare son peuple, et ce faisant l’unit, le fait communier par lui et avec lui dans une même aventure. Il le sépare et le libère de l’esclavage qu’est le monde. Dieu révèle où est le véritable esclavage, quelle est la véritable libération.

Les esclaves sont d’abord, en vérité, les hommes qui vivent selon le monde. Ils ne veulent pas obéir à Dieu, ils ne veulent pas Le reconnaître, mais ils veulent conserver sous leur main son peuple, et via son peuple l’asservir Lui, le Seigneur. L’envie qui s’ignore, la jalousie inavouée, le dépit de ne savoir servir Dieu ont toujours été motifs de haine envers ceux qui sont ses amis, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans. Motifs de l’antisémitisme qui continue plus que jamais à vivre, se manifester et agir secrètement derrière tant de faces bon teint, contre les « sémites » par l’esprit : quelle que soit leur religion les proches de Dieu, du Dieu Unique.

Plus Pharaon et ses serviteurs s’obstinent à Le contrarier, plus ils s’abusent sur son parler (v.3), plus les Égyptiens ont et auront à sentir (v.4) que Je Suis est le Seigneur. C’est même lui, Dieu, qui les pousse en ce sens, sur cette pente stupide qui est la leur, afin de leur ouvrir les yeux sur le caractère dérisoire de leur entêtement : la mer en les engloutissant ne fera qu’imager le fait qu’ils sont bornés et se promettent au néant.

Et voici que le peuple hébreu, lui aussi, se met à avoir peur et reculer. Ils ne comprennent plus, alors ils perdent la foi, leur regard devient borné, ils ne voient pas au-delà de leurs limites, ils oublient la valeur du temps, ils oublient que Dieu est en avance d’eux et qu’il voit, lui, ce qu’ils ne voient pas. Débâcle dans les membres. Ils préfèrent servir le monde plutôt que de mourir au désert, où les a conduits le parler de Dieu, où il les a conduits pour les faire mourir et revivre, libérés. Mais leur foi est  faible, ils ne voient pas plus loin que leur désir de se maintenir tant bien que mal dans un monde auquel il leur faut faire sans cesse allégeance.

À partir du verset 19, à partir du moment où Dieu prend complètement en main les opérations, tout se passe dans un ordre de perfection liturgique. Les mouvements sont précis. L’ange, la colonne de feu et de nuée, la ténèbre et la mer accomplissent leur office, réglé comme sur du papier à musique. Le peuple participe en avançant, « les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche » (versets 22 et 29), comme si leur avancée ouvrait à mesure les eaux.

Finalement les Égyptiens meurent « sur la langue de la mer », la langue du mensonge. Et nous savons que c’est en chaque homme que l’ « Égyptien » doit mourir. Que s’il ne meurt pas par conversion, pour naître en Dieu et trouver la vie éternelle, il trouvera la mort éternelle (« vous ne les verrez plus jamais, de toute l’éternité ! ) (v.13) par retour de la mer sur lui : tué par son propre mensonge, l’éternelle répétition de son péché, de son entêtement, de son aveuglement.

Et nous savons aussi que l’histoire du salut nous est offerte, que nous pouvons à tout moment y entrer et en être. Que nous pouvons la reparcourir depuis ses débuts jusqu’à son accomplissement dans le Christ et dans l’attente participante de son retour en gloire. C’est pourquoi nous sommes tellement bienheureux : avant de commencer à nous laisser élever en compagnie de Moïse en enfants de Dieu, nous entonnerons avec lui son grand cantique de louange au Seigneur.

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Harmonie


tout à l’heure au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

 

Antonio Ramos Rosa, La Maison (ma traduction, du portugais)

 

Un souffle paisible dans la pénombre de bois.

La maison s’est endormie, cela vit dans une pulsation tranquille.

J’entends un léger marteler de touches d’ombre.

Une assiette de cuivre verticalement brille dans l’obscurité.

La table est ronde et nette comme un cercle d’harmonie.

Dans un mur oscillent de scintillantes arabesques.

Le temps sécrète des syllabes d’argile et d’écume.

 

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Anaximandre et le Coran

photo Alina Reyes

 

J’étudie le verset 22 de la sourate 21, je regarde plusieurs traductions. Dans la première cela donne : « S’il y avait dans le ciel et la terre des divinités autres qu’Allah, tous deux seraient certes dans le désordre. » Dans une autre (Tawhid) : « … la marche de ces derniers aurait été gravement compromise. » Une autre (Kasimirski) : « … ils auraient déjà péri. » Une autre (Chouraki) : « … seraient anéantis. »  Or ce que je comprends, c’est que le sens profond est : ils seraient corrompus. Afin de m’assurer de ne pas faire d’erreur, je cherche le verbe arabe dans le dictionnaire et je trouve : son premier sens est bel et bien : « être gâté, corrompu ».

Ah je suis en joie, je vois tout si clairement, le texte est si juste et rejoint si bien ce que j’ai déjà vu en traduisant des passages de la Bible ! Ce qui se trouvait caché dans la Bible est dans le Coran révélé. Et cette révélation est en elle-même une nouvelle cache pour elle-même, en même temps qu’une exposition du passage à cette autre dimension qui est comme la matière noire de la Bible.

En attendant de revenir commenter cette sourate, cette affaire de « corruption » me rappelle la parole d’Anaximandre, l’un  des tout premiers philosophes, né en 610 avant Jésus-Christ, qu’un jour je traduisis ainsi :

De cela précisément où les vivants ont leur source, en cela aussi leur dissolution se produit, selon la promesse. Ils se donnent en effet les uns les autres règle et prix du déréglé selon l’ordre du temps.

Traduction qui a son originalité, mais qui puise au dictionnaire, rien d’autre.

Je vois dans ces deux phrases une genèse du fini à partir de l’infini – cet apeiron dont Anaximandre disait qu’il était l’élément premier du vivant-, du multiple à partir de l’Un. Nous passons d’une source aux vivants. D’un non-nommé (cela) à un déroulement de mots en phrases.

Le premier mot est ex, qui indique une sortie, les derniers chronou taxin, ordre du temps. Dans la sortie de l’infini, le déréglé entre avec le réglé dans l’ordre du temps : la mission des vivants est de s’harmoniser les uns les autres de sorte à donner un juste prix à leur condition, ce qui revient à l’assumer.

Selon la promesse, selon l’ordre du temps. Le mot kata, pour dire selon, indique une descente. La promesse, l’ordre du temps viennent d’en-haut, de la source. Il s’agit d’une promesse parce qu’elle est contenue en puissance dans cela d’où est la source. Regardons vers la Genèse – après tout le mot traduit ici par source est genesis – et voyons ce « cela » d’en-haut, un cela au pluriel dans le texte, un cela unique mais contenant sa puralité, comme ce que les premiers versets de la Bible nomment « les eaux d’en-haut ». Le Logos universel autorise de tels rapprochements, même si l’oreille d’Anaximandre n’a jamais entendu la bouche de Moïse, ni l’oreille de Moïse la bouche d’Anaximandre. Le Logos l’autorise, précisément parce qu’ils se donnent les uns les autres règle et justice, et prix, en rachetant le faux par les liens et les avancées de la pensée, qui ainsi s’épure et progressivement, de la multiplicité des vivants, des êtres-étants, des logos atteignent leur source, l’unique Vérité, le Logos sorti par ex-tase de l’infini sans nom, ce « cela » en lequel les mystiques de tous horizons reconnaissent Dieu.

Et la dissolution est communion, des êtres en l’Être, de l’être en l’Être :

« Tout cessa, je cédai,

délaissant mon souci,

parmi les fleurs de lis oublié. »

Saint Jean de la Croix

Faites l’expérience de lire à partir de la fin ces deux phrases d’Anaximandre, en remontant jusqu’au premier mot, vous y êtes.

Selon l’ordre du temps, règle et prix du déréglé, les uns les autres se donnent en effet. Selon la promesse leur dissolution se produit, en cela aussi où les vivants ont leur source, précisément, de cela.

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