Les ateliers d’artistes du 59 Rivoli en 22 images

Squat à l’origine, le 59 rue de Rivoli est aujourd’hui occupé par un collectif d’artistes, avec ateliers et expositions, une galerie un peu sauvage comme aux Frigos. Les artistes changent, les œuvres aussi, voici quelques-unes de celles que j’y ai vues aujourd’hui.
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aujourd’hui à Paris 1er, photos Alina Reyes

Ulysse le polytrope et Pénélope la tisseuse de texte, ou les mille sens de l’Odyssée

John William Waterhouse, "I Am Half-Sick of Shadows, Said the Lady of Shalott" (wikimedia)

John William Waterhouse, « I Am Half-Sick of Shadows, Said the Lady of Shalott » (wikimedia)

« Et dans les eaux sombres de la rivière
Tel un prophète téméraire en transe
(…)
La Dame de Shallot… »
Alfred Tennyson, The Lady of Shalott

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Au premier vers de l’Odyssée, Ulysse est désigné non par son nom mais comme homme «polytropos », adjectif qui a été traduit tantôt, selon les traducteurs et les éditeurs, comme « des mille détours » (Bardollet), « aux mille tours » (Bérard), « aux mille expédients » (Dufour et Raison), « illustre par sa prudence » (Remacle), « fameux par sa prudence » (Bitaubé), « fertile en stratagèmes » (Dugas Montbel), « aux mille astuces » (Meunier), « rusé » (Boitet), « adroit » (Froment), « plein d’entreprise » (Pelletier du Mans), « fin et rusé » (Certon), « fécond en ressources » (Pessonneaux), « illustre par sa prudence » (Bareste), « prudent » (Dacier), « aux manœuvres subtiles » (Séguier), « prudent et courageux » (Dubois de Rochefort), « Inventif » (Jacottet), « subtil » (Leconte de Lisle), ou encore « souple, divers, fécond en ruses et en stratagèmes » (Leprince Lebrun). Liste non exhaustive. Pour ma part, j’ai choisi « aux mille sens », et cette liste pourrait suffire à justifier mon choix.

De fait, le mot tropos signifie d’abord direction. Puis tournure, manière, mélodie, style, façon de penser – et aussi figure de mots, trope. Voilà donc tout ce qui, en grande quantité ou qualité (poly) est susceptible de qualifier Ulysse, d’après les deux mots qui composent l’adjectif. L’adjectif en lui-même, polytropos, signifie d’abord « qui se tourne en beaucoup de sens », puis « qui erre çà et là », puis souple, habile, industrieux, rusé, et enfin très divers, très varié. La plus belle traduction est à mon sens celle de Leconte de Lisle : « subtil ». Il se trouve que ce mot pourrait signifier, à l’origine, « qui passe sous les fils de chaîne » (sub tela) du tisserand. Voilà une belle conjonction avec Pénélope la tisseuse et détisseuse – dont j’ai déjà écrit qu’elle pouvait être vue comme la tisseuse (tissu et texte ont même étymologie) de l’histoire d’Ulysse, autrement dit une figure d’Homère.

Odyssée, Chant II, v. 6-24 (ma traduction)

Oh le grand atelier avec un poêle au milieu ! Oh la peintre qui bondit et danse en peignant ! J’ai choisi de présenter aujourd’hui cette vidéo sur Marie Javouhey parce qu’elle exalte le geste et c’est dans l’exaltation du geste et de la rapidité que nous sommes depuis hier, depuis les cinq premiers vers du deuxième chant de l’Odyssée, et dans ceux qui suivent immédiatement. Moi aussi, comme quiconque peint sans doute, j’aime le geste de peindre, qui n’est pas seulement geste de la main mais aussi geste des pieds et de tout le corps qui sans cesse se déplace, au moins légèrement, au plus vigoureusement, devant la peinture en cours. J’aime le geste aussi dans l’écriture, même s’il est plus discret – mais tiens, je me souviens de cette vidéo où je bondis de joie aussi dans le geste général d’écrire. Voici donc Télémaque dans la grâce, jeunesse qui s’avance tandis que la vieillesse recule.
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Promptement il ordonne aux hérauts à la voix claire
De convoquer dans l’agora les Achéens chevelus.
À l’appel des hérauts, ils s’y rendent prestement.
Une fois qu’ils sont tous rassemblés, quand c’est chose faite,
Il va dans l’agora, sa lance d’airain à la main,
Non pas seul, mais avec deux chiens rapides à sa suite.
Et Athéna répand sur lui sa grâce divine.
Les foules le contemplent, émerveillées, tandis qu’il s’avance.
Les vieux se reculent, il s’assoit sur le siège de son père.
Le premier d’entre eux à parler est le héros Égyptios,
Courbé par la vieillesse et chargé d’expérience.
Son cher fils, le combattant Antiphos, est parti jadis
Sur des nefs creuses en même temps que le divin Ulysse
Pour Troie aux nombreux chevaux ; c’est lui que le cruel Cyclope
Tua dans sa grotte profonde, et qu’il mangea en dernier.
Il lui reste trois autres fils, dont Euronymos,
L’un des prétendants, et deux qui s’occupent de ses domaines.
Mais n’oubliant pas Antiphos, il se lamente et s’afflige.
Tout en pleurant il prend la parole et dit à l’assemblée :

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le texte grec est ici
le premier chant entier est
à suivre !

Mes peintures

Je présente ici quelques-unes de mes peintures, en actualisant la note à mesure que j’en crée de nouvelles. Acryliques sur toile, bois, papier… collages ou autres techniques de peinture pour des œuvres de diverses dimensions. Il est possible de me contacter à ce propos sur mon compte Instagram, où les détails des œuvres sont mieux visibles, ou de visiter ma page sur ArtMajeur (où il y a aussi possibilité de se procurer des reproductions, papier et dans certains cas numériques, des œuvres)
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"Penetrations", acrylique et feutres acrylique sur toile 38x46 cm

« Penetrations », acrylique et feutres acrylique sur toile 38×46 cm


"Maïakovski", collage sur papier 31x41 cm

« Maïakovski », collage sur papier 31×41 cm


"Ways" Technique mixte sur papier 31x41 cm

« Ways »
Technique mixte sur papier 31×41 cm


"Théâtre" Technique mixte sur bois 45x30 cm Ces vers de Paul Valéry sont gravés au fronton du théâtre de Chaillot à Paris

« Théâtre »
Technique mixte sur bois 45×30 cm
Ces vers de Paul Valéry sont gravés au fronton du théâtre de Chaillot à Paris


"Dans la rue" Collage sur papier A4

« Dans la rue »
Collage sur papier A4


"Good Play" Collage sur papier A4

« Good Play »
Collage sur papier A4


Technique mixte sur panneau 50x65 cm, réalisé à partir de quelques-unes de mes photos peintes

Technique mixte sur panneau 50×65 cm, réalisé à partir de quelques-unes de mes photos peintes


"Human History", technique mixte sur papier 24x32 cm

« Human History », technique mixte sur papier 24×32 cm


"Human Being", technique mixte sur papier A4

« Human Being », technique mixte sur papier A4


"Piano", technique mixte sur papier A4

« Piano », technique mixte sur papier A4


"Pomona, Goddess Of The Fruit, In The Snow", technique mixte sur papier A4. D'après la sculpture de Pomone par Maillol au jardin des Tuileries. Maillol a représenté la déesse avec un fruit dans chaque main. Moi j'ai intégré les fruits dans sa tête et son corps, et fait de ses mains des sortes de fruits, notamment par la couleur : même hors saison, elle fructifie

« Pomona, Goddess Of The Fruit, In The Snow », technique mixte sur papier A4. D’après la sculpture de Pomone par Maillol au jardin des Tuileries. Maillol a représenté la déesse avec un fruit dans chaque main. Moi j’ai intégré les fruits dans sa tête et son corps, et fait de ses mains des sortes de fruits, notamment par la couleur : même hors saison, elle fructifie


"Painting", technique mixte sur papier A4

« Painting », technique mixte sur papier A4


"Underground River", technique mixte sur papier A4

« Underground River », technique mixte sur papier A4


"Dragon", technique mixte sur papier A4

« Dragon », technique mixte sur papier A4


"Harmonic Attractor", technique mixte sur papier A4

« Harmonic Attractor », technique mixte sur papier A4


"Intérieur fourré", technique mixte sur papier A4

« Intérieur fourré », technique mixte sur papier A4


"Avenue", technique mixte sur carton entoilé 55x38 cm

« Avenue », technique mixte sur carton entoilé 55×38 cm


"Life Is a Gift", technique mixte sur bois (fond et cadre d'un vieux miroir brisé) 38x48 cm

« Life Is a Gift », technique mixte sur bois (fond et cadre d’un vieux miroir brisé) 38×48 cm


"How many People in the Universe ?", technique mixte sur papier 42x30 cm

« How many People in the Universe ? », technique mixte sur papier 42×30 cm


"Chant du monde", technique mixte sur papier A4

« Chant du monde », technique mixte sur papier A4


"Sirens", acrylique sur toile 30x30 cm

« Sirens », acrylique sur toile 30×30 cm


"To Meditate", acrylique sur toile 24x30 cm

« To Meditate », acrylique sur toile 24×30 cm


"Village", acrylique sur bois 56x48 cm

« Village », acrylique sur bois 56×48 cm


"Nativité", technique mixte sur toile 30x30 cm

« Nativité », technique mixte sur toile 30×30 cm


"Tree of Life", technique mixte sur toile 40x40 cm

« Tree of Life », technique mixte sur toile 40×40 cm


"At Home", acrylique sur toile 30x30 cm

« At Home », acrylique sur toile 30×30 cm


technique mixte sur papier 10x16 cm

technique mixte sur papier 10×16 cm


"Moving", acrylique sur toile 61x46 cm

« Moving », acrylique sur toile 61×46 cm


"Mystery of Life", acrylique sur bois 74x46 cm

« Mystery of Life », acrylique sur bois 74×46 cm


"Baby Black Hole In Our Brain", acrylique sur bois 20x20 cm

« Baby Black Hole In Our Brain », acrylique sur bois 20×20 cm


"Phuo", technique mixte sur papier A4

« Phuo », technique mixte sur papier A4


"Spring coming from Automn", acrylique sur papier 31x41 cm

« Spring coming from Automn », acrylique sur papier 31×41 cm


"What Is It ?", acrylique sur bois 41x51 cm

« What Is It ? », acrylique sur bois 41×51 cm


"Open World", acrylique sur papier A4

« Open World », acrylique sur papier A4


"Mind in and out of the Shell", acrylique sur bois 138x88 cm

« Mind in and out of the Shell », acrylique sur bois 138×88 cm


"Cosmic Ocean", acrylique sur bois 72x42 cm

« Cosmic Ocean », acrylique sur bois 72×42 cm


"Cosmic Egg", acrylique sur bois 56x74cm

« Cosmic Egg », acrylique sur bois 56x74cm


"Le visage tourné", acrylique sur toile 46x37 cm

« Le visage tourné », acrylique sur toile 46×37 cm


"Origine du monde", technique mixte sur papier, 32x24 cm

« Origine du monde », technique mixte sur papier, 32×24 cm


Quelques peintures sur toile, bois ou papier

Quelques peintures sur toile, bois ou papier

Madame Terre à Chambourcy chez André Derain

le reveur de la foret 2-min
J’ai photographié cette œuvre de Derain illustrant un texte d’Apollinaire en novembre dernier lors de l’exposition « Le rêveur de la forêt » au musée Zadkine

Ce grand fauve, cet expérimentateur et inventeur de génie, ce peintre de la couleur et du mouvement, est à redécouvrir. Son œuvre, plus protéiforme et moins facilement saisissable, plus inclassable, reste moins bien connue que celle de certains de ses contemporains qu’il a inspirés, les Fauves bien sûr, les surréalistes, les cubistes (dont Picasso à qui il a révélé notamment les arts premiers)… avant de se détourner des mouvements qu’il avait impulsés pour créer et explorer encore de nouvelles formes, réalisme magique, décors de théâtre, etc. J’aime tout particulièrement sa façon de peindre les arbres, de leur donner vie et dynamisme puissant. Son travail si varié comporte quelques toiles modestes mais surtout, par tous les stades où il est passé, d’éclatantes manifestations de sa puissante vision, de sa puissante exécution, de la rapidité et de l’intelligence supérieure de son esprit. Je joins à cette note une vidéo faisant défiler 169 de ses toiles – que j’aurais accompagnée du Sacre du Printemps plutôt que de Satie.

Il y avait presque trois ans que Madame Terre n’était pas partie en pérégrination. Je rends grâce à O de l’avoir emmenée, pour ce retour, chez Derain. Rappel du principe : O parcourt la région parisienne à vélo, chaque sortie étant une sorte de pèlerinage sur les traces d’une personne qui s’est illustrée d’une manière ou d’une autre. Alfred Jarry, Samuel Beckett, Marie Curie… il a parcouru ainsi des milliers de kilomètres et visité des dizaines de lieux marqués par une personnalité ou par un événement historique (à découvrir en suivant le mot-clé Madame Terre). Emportant chaque fois avec lui Madame Terre, une figure en forme de « bouteille à la terre » que j’ai peinte, qui contient un petit manuscrit, et dans laquelle il met chaque fois une pincée de terre du lieu. Cette fois il a parcouru quelque 80 kilomètres aller-retour, par la chaude journée d’hier, ce qui n’est pas mal pour une reprise (reprise due à l’interruption du travail pour cause de pandémie). Voici donc ses images, suivies de la vidéo des œuvres de Derain.
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mme terre chez derain 1
mme terre chez derain 7
mme terre chez derain 2
mme terre chez derain 3
mme terre chez derain 4

Photos O (avec l'ombre de sa coiffure post-confinement, dans l'attente d'un rendez-vous chez son coiffeur débordé :-)

Photos O (avec l’ombre de sa coiffure post-confinement, dans l’attente d’un rendez-vous chez son coiffeur débordé :-)


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Confinement : le cercueil, l’œuf et le rêve

Jérôme Bosch, "La forêt qui entend et le champ qui voit"

Jérôme Bosch, « La forêt qui entend et le champ qui voit »

Rêvé l’autre nuit que j’escaladais, sans difficulté ni facilité particulières, une haute paroi verticale. Une fois sur la falaise, j’improvisais une chanson, qui sonnait de façon étrangement belle. Je suppose que ce mur représentait le confinement auquel nous sommes astreints et qu’il nous faut mentalement dépasser : sans difficulté ni facilité signifie qu’il faut le faire, c’est tout. Improviser une chanson non destinée à être retenue ni enregistrée, c’est quelque chose d’assez humble comme création, et c’est peut-être l’humilité de tout ça qui faisait la beauté étonnante du son.

En fait je rêve moins que d’habitude, depuis le confinement. Le rêve, comme l’action, requiert sa liberté. O et moi avons eu le coronavirus il y a un mois maintenant, nous pourrions sortir sans craindre d’être contagieux ni contaminés. Nous ne sortons quasiment pas parce qu’il faut absolument qu’il y ait le moins de monde possible dans les rues. C’est nécessaire pour que les gens ne se retrouvent pas trop près les uns des autres et aussi pour maintenir l’esprit dans cette discipline jusqu’à ce que l’épidémie se calme. Jusqu’à ce que, souhaitons-le, nous ayons tous accès à des tests pour savoir si nous sommes contaminés ou immunisés ; afin que les contaminés se confinent, que les immunisés puissent reprendre leur activité ou une activité, que les autres (ou tous) ne sortent que masqués. ( Ce qu’il aurait fallu faire dès février).

Semaine de Pâques. Disons que nous sommes confinés comme dans des œufs, des coquilles, et que c’est mieux que de l’être dans des cercueils. Paix aux personnes mortes et courage aux personnes vivantes. Éveillés sinon endormis, n’oublions pas de rêver aussi : c’est du rêve que naît, à chaque instant, le monde, la vie.
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Force de l’esprit vs mécanique du crime

Jésus marchant sur les eaux, par Gustave Doré

Jésus marchant sur les eaux, par Gustave Doré

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« Arrachez de votre île ces pestes publiques, ces germes de crime et de misère. Décrétez que vos nobles démolisseurs reconstruiront les métairies et les bourgs qu’ils ont renversés, ou céderont le terrain à ceux qui veulent rebâtir sur leurs ruines. Mettez un frein à l’avare égoïsme des riches ; ôtez-leur le droit d’accaparement et de monopole. Qu’il n’y ait plus d’oisifs pour vous. Donnez à l’agriculture un large développement ; créez des manufactures de laine et d’autres branches d’industrie, où vienne s’occuper utilement cette foule d’hommes dont la misère a fait jusqu’à présent des voleurs, des vagabonds ou des valets, ce qui est à peu près la même chose.
Si vous ne portez remède aux maux que je vous signale, ne me vantez pas votre justice ; c’est un mensonge féroce et stupide. » Thomas More, L’Utopie, trad. Victor Stouvenel

Par la fenêtre de mon ordinateur, j’observe et j’enquête. Comme aux questions « Qui a tué le petit Grégory ? » ou « Qui a tué John Kennedy ? », à la question du crime en lui-même il faut trouver des éclaircissements et des réponses. Le crime est là où sont les appâts du gain, du pouvoir, de la vanité, là où l’on se complaît dans leur bourbier verni.

Par la fenêtre de mon appartement, j’écoute crier un invisible vol de mouettes. Grâce au yoga, ma respiration est lente et calme (12 à 13 cycles à la minute assise à mon bureau, 9 la nuit couchée dans mon lit), ma tension basse (11), mon esprit, dans tout cet espace-temps libéré, rapide et paisible. « Le yogi, dit Iyengar, mesure la durée de sa vie non pas en nombre de jours mais en nombre de respirations. Puisque dans le pranayama la respiration est allongée, cela prolonge la vie. »

Le monde est l’un de ces Titanic dont nous ne voulons plus, pollueur et vain, insuffisamment pourvu en canots de sauvetage, sauf pour les plus riches. Et ce sont les pauvres, les travailleurs, toutes celles et ceux qui, au péril de leur santé ou de leur vie, sont à l’œuvre sur de petits bateaux, qui sont en train de l’empêcher de couler. Que celles et ceux qui sont confinés renforcent leur esprit pour le jour de chaque jour et pour celui du retour. Car les riches, les gâtés, n’ont pas de force d’esprit, ils ne peuvent sauver qu’eux-mêmes, ou même pas eux-mêmes. Pour que leur pesanteur ne fasse pas couler l’humanité, nous avons à rassembler toute notre vitalité.

Le yoga est une danse, dit Travis Eliot. Par la danse de l’esprit et du corps, nous avons pouvoir de marcher sur les eaux.

 

 

Génies russes et question de l’éléphant

Alexandre Ivanov, "L'Apparition du Christ au peuple"

Alexandre Ivanov, « L’Apparition du Christ au peuple »

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Pour faire suite à la note d’hier, voici d’abord l’apologue de l’éléphant, raconté par Albert Thibaudet :

« Il s’agit d’écrire un ouvrage sur l’éléphant. L’Anglais part pour l’Afrique et les Indes et en rapporte un gros mémoire en désordre, bourré de descriptions et de chiffres, y compris celui de ses notes d’hôtel. L’Allemand descend en lui-même pour y trouver l’Idée de  l’éléphant,  l’éléphant en soi, l’Ur-éléphant. Le Français écrit, au café du Jardin d’acclimatation, un brillant article sur l’éléphant, où l’on remarque des allusions fines à M.Chéron, et où Georges Pioch n’est pas oublié. Le Polonais rédige un mémoire sur L’Éléphant et la Question polonaise (ce qui n’est pas si ridicule). Et le Russe apporte un livre qui s’appelle : L’Éléphant existe-t-il ? (…) Quant au surréalisme (la rue de Grenelle…), il mènerait à l’extrême limite (jusqu’au kamtchaka) la tendance russe : l’éléphant n’existe pas : tout est éléphant ; et la solution du problème de l’éléphant se trouve remplacée, dans l’école de Poisson soluble, par la solution de l’éléphant. L’éléphant et nous vivons pourtant dans un monde de solides, quand le diable y serait ! – Précisément, le diable y est… »
Albert Thibaudet, « Du surréalisme », 1925, in Réflexions sur la littérature, éd. Quarto Gallimard

Et ces paroles de Nabokov sur les trois auteurs russes en question hier : Gogol, Dostoïevski et Tolstoï (les trois, puis l’un après l’autre) :

« Tolstoï est le plus grand des romanciers et nouvellistes russes. En écartant Pouchkine et Lermontov, ses précurseurs, on pourrait distribuer les prix de la façon suivante : premier, Tolstoï ; deuxième, Gogol ; troisième, Tchekhov ; quatrième, Tourgueniev. Mais j’ai un peu l’impression de noter des copies d’élèves, et je suis sûr que Dostoïevski et Saltykov m’attendent à la porte de mon bureau pour me demander des explications sur leurs piètres résultats. »

Et maintenant, sur Gogol :

« Les Âmes mortes, sous leur forme achevée, devaient former un tryptique : Crime, Châtiment et Rédemption. Atteindre ce but était absolument impossible, d’une part parce que, si on le laissait agir, le talent unique de Gogol ne manquerait pas de saccager n’importe quel thème conventionnel, d’autre part parce que Gogol avait imposé le rôle principal, celui du pécheur, à une personne – si l’on peut appeler Tchitchikov une personne – ridiculement peu faite pour ce rôle, et qui, en outre, évoluait dans un univers où sauver son âme est tout simplement une des choses qui n’arrivent jamais. Un prêtre décrit avec bienveillance eût été aussi totalement impossible, au milieu des personnages gogoliens du premier volume,  qu’une gauloiserie chez Pascal ou une citation de Thoreau dans le dernier discours de Staline.

(…) Comme toutes les grandes réussites littéraires, son œuvre est un phénomène de langage et non d’idées.

(…) Gogol naquit le 1er avril 1809. Selon sa mère (qui, bien sûr, a inventé la sinistre anecdote qui suit), Kapnist, célèbre et médiocre poète, lut un poème qu’il avait écrit à l’âge de cinq ans. Kapnist étreignit le solennel morveux et déclara aux parents ravis : « Il deviendra un écrivain de génie à condition que le destin lui donne pour maître et pour guide un bon chrétien. » Mais l’autre chose – le fait qu’il naquit un premier avril – est vraie. »

Sur Dostoïevski :

« Je citerai une remarque très juste de Mirski au sujet de Dostoïevski : « Son christianisme […] est des plus contestables […] C’est une attitude spirituelle plus ou moins superficielle qu’il serait dangereux de confondre avec le vrai christianisme.

(…) Les malheurs de la dignité humaine, thème favori de Dostoïevski, relèvent de la farce autant que du drame. (…) J’insiste sur le fait que Dostoïevski est plus un dramaturge qu’un romancier. Ses romans sont une succession de dialogues et de scènes où tous les personnages sont rassemblés – et qui utilisent tous les expédients du théâtre, comme la scène à faire, le visiteur inattendu, l’interlude comique, etc. »

Et sur Tolstoï :

« Peintre ou prédicateur, faisant fi de tous les obstacles, Tolstoï s’acharnait à découvrir la vérité. Simplement, selon qu’il écrit Anna Karénine ou qu’il prêche, sa méthode diffère ; mais aussi subtil que soit son art, et ennuyeux son prêchi-prêcha, cette vérité qu’il recherche laborieusement, à l’aveuglette, ou qu’il trouve comme par enchantement au coin de la rue, est toujours la même vérité. Cette vérité, c’est lui. Et lui, c’est l’art.

(…) La vieille vérité russe n’a jamais été une compagne de tout repos ; elle avait un tempérament fougueux, un pas pesant. Ce n’était pas simplement la vérité de tous les jours, la pravda, mais l’immortelle istina – pas la vérité, mais la lumière intérieure de la vérité. Lorsque Tolstoï finit par la trouver en lui-même, dans la splendeur de son imagination créatrice, alors, presque inconsciemment, il fut sur la bonne voie.

(…) Istina, la vérité essentielle, est un des rares mots de la langue russe qui n’ait pas de rime. Il n’a ni correspondant verbal ni liaison verbale. Il se tient à l’écart avec un simple rappel de la racine « se tenir », dans la sombre brillance de son roc immémorial. »

Vladimir Nabokov, Littératures II, trad. de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, éd. Fayard

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Léonard de Vinci : l’exposition historique du Louvre

 

C’est un moment magnifique et poignant. Un kairos, une acmé. Un homme est là, vivant. Traversant les siècles pour venir nous contempler, nous, femmes et hommes de ce temps, errant en foule d’une œuvre à l’autre, d’une salle à l’autre. Devant le Saint Jean je me suis arrêtée comme dans la méditation, au yoga notamment, et il est devenu vivant – qui ? Jean ? Léonard ? L’Esprit qui se meut à travers les vivants. Les yeux pleins de larmes, souriant comme lui, je n’ai pas bougé – pluie et lumière, un arc-en-ciel tendu entre lui et moi – tout à fait le genre de phénomène qui intéresse Léonard, étudiant obstiné des mouvements de l’eau, de l’air, de la lumière.

Ce soir, regardant des images des splendides îles du Cap Vert, et de leurs montagnes (où nous avons l’intention d’aller prochainement, O et moi) tout en écoutant Césaria Evoria, je songe que Léonard se serait bien entendu avec elle, et aurait adoré son pays. Ce mélange de splendeur et de mélancolie particulière qu’engendre la conjonction de la contemplation de l’époustouflante nature et du sentiment de la fuite du temps – sentiment qu’éprouvait si fort Léonard les derniers temps, à Amboise, alors qu’il continuait à méditer et travailler ses dernières œuvres, la Sainte Anne, le Saint Jean et la Joconde.

Voici des images de l’exposition, bien entendu je n’ai pas tout photographié, vous pouvez trouver en ligne plusieurs vidéos de présentation de l’exposition pour en savoir plus. Si vous le pouvez, allez-y. Vous pouvez aussi lire ou relire mes textes sur Léonard de Vinci et sur ses œuvres.

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expo leonard de vinci louvre 1-minLe Christ et saint Thomas ou L’Incrédulité de saint Thomas. À l’entrée de l’exposition, et la dramatisant judicieusement, se dresse cette œuvre de  Verrocchio, chez qui Léonard fit son apprentissage. Entourée de multiples études de drapés, révélant que le peintre s’est inspiré des effets de lumière et d’ombre sur le bronze. expo leonard de vinci louvre 2-min

expo leonard de vinci louvre 3-minPlusieurs œuvres absentes, comme L’Annonciation, L’Adoration des mages ou La Joconde, sont présentées en réflectographie infrarouge, un procédé qui met en évidence le dessin et donne un effet de pénétration saisissant.

expo leonard de vinci louvre 6-min

expo leonard de vinci louvre 13-min*

expo leonard de vinci louvre 4-min

J’ai aimé contempler certaines études peu connues, comme ce visage ou cette petite dame à la licorneexpo leonard de vinci louvre 5-min*

Beaucoup d’œuvres sont inachevées, comme ce Saint Jérôme et son lion esquissé, qui s’inscrivent ainsi dans l’instant  expo leonard de vinci louvre 7-min* expo leonard de vinci louvre 8-minLa Belle Ferronière et un admirateur

*expo leonard de vinci louvre 9-minLa Vierge aux rochers prise sur le vif par un portable

*expo leonard de vinci louvre 10-minLe Musicien, à l’écoute

*expo leonard de vinci louvre 11-minDe nombreux manuscrits des travaux scientifiques de Léonard expo leonard de vinci louvre 12-min

* expo leonard de vinci louvre 14-minEt toujours d’admirables dessins expo leonard de vinci louvre 15-min

expo leonard de vinci louvre 16-min

Dans la dernière salle, les dernières œuvres, travaillées jusqu’à la fin à Amboise où il les avait emportéesexpo leonard de vinci louvre 17-minla Sainte Anne expo leonard de vinci louvre 18-minle Saint Jean

Manque seulement la Joconde, restée à sa place habituelle, où elle reçoit trente mille visiteurs par jour. En allant la voir, je photographie dans la grande galerie cette œuvre de l’atelier de Léonard, qui devait être un Saint Jean et a été transformée en Bacchusexpo leonard de vinci louvre 19-min*

La voici doncexpo leonard de vinci louvre 20-min

expo leonard de vinci louvre 21-min

expo leonard de vinci louvre 22-min*

Nous repartons en longeant la Seine et ses arbres sculptés d’inscriptionsexpo leonard de vinci louvre 23-min

Le pont des Arts débarrassé de ses cadenas a retrouvé le sens de la légèreté et de la fugace éternitéexpo leonard de vinci louvre 24-minAujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes

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Strasbourg en 60 images

 

Se plier aux exigences du consensus, avoir ainsi le Congourd ou autre prix ou succès de ce genre, est une solution au statut précaire d’auteur. J’aime trop la vie, la liberté, la littérature, pour seulement l’envisager. Mon truc, c’est la littérature virile. J’en lis (pas dans la production actuelle car il n’y en a pas – le monde littéraire n’a jamais été viril et plus il est industriel, moins il l’est) et j’en fais. Viril ne signifie pas « de mec » mais courageux (selon son étymologie). Je regarde mon trajet depuis l’enfance, je le vois foudroyant et filant, aussi clair que l’éclair ou la météorite, ni compromis ni vaincu, toujours ultrasensible, en éveil. La voilà, l’éternité. Dans ce qui ne sombre ni ne meurt.

Présent. Voici mes images de nos trois jours (deux nuits) à Strasbourg, cette semaine. Nous comptions beaucoup visiter le musée Tomi Ungerer mais il était fermé pour travaux. Une occasion d’y retourner. Strasbourg est magnifique et les Strasbourgeois sont particulièrement gentils, courtois en toute simplicité, souriants. La nourriture et le vin sont excellents. Le centre-ville est largement dédié aux piétons et aux vélos. Les musées contiennent des trésors de tous les temps. Au sommet de Notre-Dame nous avons été accueillis par un arc-en-ciel. Avant de repartir nous avons passé du temps en privé au hamman-piscine-spa, d’où nous sommes ressortis frais comme nouveau-nés.

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strasbourg 1-minUn resto sympa pour commencer

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strasbourg 2-minVue de notre appartement à l’appart-hôtel, que je ne me lassais pas de contempler, avec les lignes graphiques des toits et la véranda, et la nuit les lumières

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strasbourg 3-minUne sculpture sur l’emplacement de la Grande synagogue détruite pendant la guerre, reconstruite ailleurs dans la ville

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strasbourg 5-minJ’ai compté jusqu’à cinq étages sous les toits de certains immeubles

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strasbourg 6-minDerrière la maison, la cathédrale la plus visitée de France (Notre-Dame de Paris étant hors jeu), haute de 144 mètres et contenant tant de merveilles qu’on pourrait y consacrer des milliers de pages, comme il y est dit quelque part

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strasbourg 12-minSon horloge astronomique, que nous avons vue s’animer au quart d’heure

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strasbourg 13-minUne fresque récente plutôt réussie, mais le panneau en grec du Christ annonçant « Je suis le chemin, la vérité et la vie » comporte deux fautes. Sans doute l’artiste, Christoff Baron, ne connaît-il pas le grec, mais il est regrettable que personne d’autre ne l’ait vu

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Retour dans la ville, où se trouve notamment la maison de l’un des enfants du pays, décidément riche en dessinateurs, Gustave Doré

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L’Ill passe partout, sans pour autant enfoncer la ville dans l’eau. C’est très beau.strasbourg 15-min

*strasbourg 16-minUn menuisier à l’atelier, fabriquant des jouets de bois

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Arpenter encore les rues, les quartiers

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Vers « la petite France », allons au Musée d’art moderne et contemporain

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strasbourg 22-minqui possède plusieurs belles œuvres de Victor Brauner – ci-dessus « Logos et les trois matières »strasbourg 23-minet aussi, entre autres de A.R. Penck – ci-dessus « Avant le rebut »

Bon je ne vais pas mettre ici toutes les images de toutes les œuvres que j’ai spécialement aimées, il y en a trop. Encore quelques-unes :strasbourg 24-minDaniel Richter, « L’éternel rêve éveillé des trois fous de la montagne »

alain séchas 2L’installation d’Alain Séchas, mentionnée dans une précédente note

strasbourg 25-minMalcolm Morley, « Wall Jumpers »

strasbourg 26-minMax Ernst, « Les poissons noctambules »

strasbourg 27-minVassily Kandisky, « Salon de musique »

strasbourg 28-minNatalia Gontcharova « Portrait de Verlaine »

strasbourg 29-minNiki de Saint Phalle, « Élisabeth »

Retour dans le quartier de la petite Francestrasbourg 31-min

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Puis à la cathédrale où nous montons par l’escalier en colimaçon jusqu’au sommet strasbourg 33-min

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au paradisun selfie au sommet, et voilà la réponse du ciel

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strasbourg 38-minoù se trouve la « maison des gardes »

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Nous avons visité aussi le Musée de l’œuvre Notre-Dame

strasbourg 39-minavec ses merveilles du Moyen Âge, si primitives

strasbourg 40-minet si actuelles parfois

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Et nous sommes allés au Musée archéologique

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Chaque fois que je dors à l’hôtel, j’y fais aussi mon yoga, comme tous les jours à la maison, histoire de garder un corps souple et musclé, en bon état de marche – et nous avons tout le temps marché strasbourg 44-min

Le dernier jour, avant de reprendre le train, je me suis baladée dans le quartier de la gare et j’y ai photographié cette « trocothèque »

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et des œuvres de Street Art

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strasbourg 50-minNous sommes entrés pour prendre un verre dans cet hôtel entièrement orné de Street Art strasbourg 51-min

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Un peu plus loin dans la ruestrasbourg 53-min

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j’ai découvert ce garage orné comme une grotte du paléolithique, j’y suis entrée strasbourg 55-min

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Retour vers Paris. Il reste encore bien des visites à faire dans cette ville, ce sera donc pour une autre fois.

Du 6 au 8 novembre 2019, photos Alina Reyes

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