Montaigne et la question de l’homme, par Jean-Louis Poirier

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Tout simplement, mais encore faut-il le dire et le redire, le lire et le réentendre – plus que jamais en ces temps.
Quant à Las Casas, rappelons qu’il appelait les génocidaires non pas les Espagnols, comme le disent les traductions, mais « los cristianos », ce qui a un sens profond à méditer. Lui-même prêtre dominicain dénonçait ainsi l’outrage fait au Christ par les chrétiens, et tâcha dans la controverse de Valladolid de défendre une autre façon d’être chrétien. Force est de constater que les chrétiens allaient commettre encore bien d’autres crimes contre l’humanité, et que ce qu’il reste aujourd’hui d’exclusion des femmes et d’abus sur les enfants dans l’Église n’est pas étranger au principe d’exclusion et de discrimination dénoncé par Montaigne et qui fonde cette institution. Racisme et sexisme se fondent sur une croyance en la supériorité de tel type d’homme sur les hommes, et de l’homme sur la femme – croyance partagée par les religieux de toutes obédiences et par bien des religieux qui s’ignorent, des croyants qui se croient incroyants.
D’autre part, quand répondant à une question, Jean-Louis Poirier récuse justement la comparaison avec l’existentialisme sartrien en disant que pour Montaigne il n’y a pas d’essence de l’homme, j’ajouterai personnellement que s’il est vrai que de ce fait l’existence ne peut pas précéder l’essence, il reste possible de dire que l’essence précède l’existence dans le sens d’une essence individuelle, de ce que Montaigne appelle la différence de chaque homme – différence qui n’est pas seulement culturelle. « Tout exemple cloche ». Chaque être est unique, et c’est aussi une maladie de l’aveuglement que de chercher toujours à identifier tel être à tel autre – ce qui est encore une façon de marquer cette peur de l’altérité d’où naissent racisme, xénophobie, sexisme, gynophobie, et tous les crimes qui s’ensuivent.
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