Ô peuple !


Les mariées de la paix

 

C’est l’aube sur les villes, les champs gémissent, le peuple sort de terre, fleurs de charbon. Le ciel qui paraît se retire, le vent se lève et lent, puissant, commence la danse, bras arrondi moissonne sa partenaire, l’humanité. Il l’entraîne à tournoyer par les routes, chemins, saignées à travers les pays en dérive. Il crie leur douleur aux hommes, arrache du jardin leurs racines, arrache leur cœur noir du saint des saints vandalisé, les aspire vers où ils ne savent pas mais osent espérer.

Ô souffle de Dieu descendu pour nous accompagner dans le bannissement.

Ô notre terre hérissée des sarcophages des puissants, morts-vivants qui piétinent les fleurs, les dévorent à même la chair des enfants, des innocents.

Qui pleure au bord des fleuves ? Les yeux sont secs depuis longtemps. Les hommes ignorent même leur misère. Ô ciel, ouvrir les cœurs de pierre, que les larmes en jaillissent et lavent les rivières que nous avons salies !

Chaque jour dans des caves en béton, des robots étouffent les prophètes avec leur voix. Des rires gras, métalliques, veaux peinturlurés d’or, ont pris possession des oreilles, faisant des êtres des ruines de maisons, chassant de la cité ceux où demeure Dieu.

Dieu creuse le chemin de l’exil à même la terre, notre chair. À la pelle il excave notre âme, ouvre la trouée, la tranchée, d’où il nous extrait. Heureux les bannis du monde, le désert les attend, et dans le désert Dieu, plein de pitié.

Peuples à la dérive, vous êtes comme la terre que la charrue tranche, broie, retourne. Votre sueur, votre sang fermentent la poussée de l’arbre invisible qui va s’élancer vers le ciel. C’est une croix démesurée qui a pris chair en vous, portez-la bien, comme un jour les derniers d’entre nous porteront le dernier feu. Vous ne la voyez pas mais elle reverdit, se déploie, suscite des bourgeons où mûrissent les fleurs de flammes qui écloront quand le feu ancien sera finalement éteint.

Ne crains pas, petit peuple ! La route profonde où tu seras jeté, c’est la blessure de l’Amour qui l’a tracée. Ouvre les yeux, il te précède ! Il refera avec toi la traversée déjà faite, lui qui a déjà vaincu, lui qui ne veut pas vaincre sans toi. Viens, le chemin monte de la terre dans l’arbre, viens, sève, monte, répands-toi, petit peuple, dans les frondaisons de l’Amour ! Toi, l’homme que j’ai regardé, viens, je t’attends dans la fleur que je suis et qui vient.

 

extrait de Voyage

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alinareyes