La stratégie du choc, par Naomi Klein (9) La crise comme moyen de faire plier les travailleurs et la démocratie

1297362-437792-jpg_1175205_434x276manifestation de joie lors de la mort de Margaret Thatcher, l’année dernière

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Nous lisons maintenant le chapitre 6 de ce fameux livre.

« Thatcher et Pinochet deviendraient plus tard de grands amis. (…) Malgré toute l’admiration qu’elle vouait à Pinochet, Thatcher ne se montra nullement enthousiaste lorsque Hayek lui suggéra pour la première fois d’imiter les politiques du général. En février 1982, elle exposait le problème en toute franchise dans une lettre privée adressée à son gourou intellectuel : « Vous conviendrez, j’en suis sûre, que certaines des mesures prises au Chili seraient inacceptables en Grande-Bretagne, où il existe des institutions démocratiques… » (p. 163)

« S’il avait aidé les Chicago Boys à prendre le pouvoir au Chili, Nixon avait adopté une politique intérieure toute différente – incohérence que Friedman ne lui pardonnerait jamais. » (p.165)

« Thatcher se battait pour son avenir politique – et ce fut un triomphe spectaculaire. Au lendemain de la victoire des Malouines, qui coûta la vie à 255 soldats britanniques et à 655 Argentins, la première ministre faisait figure d’héroïne, et son surnom de « dame de fer », autrefois péjoratif, se mua en louange. (…) Le nom de code de la riposte britannique à l’invasion argentine était « Opération Corporate ». Bien que bizarre, il se révéla prémonitoire. Thatcher utilisa l’énorme popularité que lui valut la victoire pour lancer la révolution corporatiste qui, ainsi qu’elle l’avait elle-même avoué à Hayek, était impossible avant la guerre. Lorsque les mineurs de charbon déclenchèrent la grève, en 1984, Thatcher fit comme si l’impasse était le prolongement de la guerre des Malouines et exigeait la même brutale détermination. Elle eut alors cette formule mémorable : « Nous avons dû nous battre contre l’ennemi extérieur aux Malouines ; nous devons maintenant nous battre contre l’ennemi intérieur, qui est beaucoup plus coriace mais tout aussi dangereux pour la liberté ». Ayant transformé les travailleurs britanniques en « ennemi intérieur », Thatcher lança contre les grévistes toute la force de l’État. Au cours d’une seule confrontation parmi de nombreuses autres, 8000 policiers anti-émeute armés de matraques, dont bon nombre à cheval, prirent d’assaut des manifestants et laissèrent 700 blessés dans leur sillage. À la fin du long conflit, le nombre de blessés s’élevait d’ailleurs à plusieurs milliers. » (pp 171-172)

« En 1985, Thatcher gagna aussi cette guerre-là : les travailleurs avaient faim et ne purent plus tenir ; en fin de compte, 966 d’entre eux furent congédiés. Revers dévastateur pour l’un des syndicats les plus puissants de la Grande-Bretagne. Le message envoyé aux autres était limpide : si Thatcher était prête à tout sacrifier pour mater les mineurs de charbon, dont le pays avait besoin pour s’éclairer et se chauffer, il serait suicidaire pour les syndicats plus faibles et produisant des biens et des services moins essentiels de contester le nouvel ordre économique. Mieux valait accepter docilement l’offre du gouvernement. Quelques mois après son arrivée à la Maison-Blanche, Ronald Reagan avait lancé un message similaire en réaction à une grève des contrôleurs aériens. En ne se présentant pas au travail, déclara-t-il, « ils ont renoncé à leur emploi, et leurs contrats de travail seront résiliés ». Il congédia d’un seul coup 11 400 travailleurs exerçant un métier essentiel – choc dont le mouvement syndical des États-Unis ne s’est pas encore complètement remis.

En Grande-Bretagne, Thatcher utilisa sa double victoire contre l’Argentine et les mineurs pour faire faire un bond considérable à son programme économique radical. Entre 1984 et 1988, le gouvernement privatisa notamment les sociétés British Telecom, British Gas, British Airways, British Airport Authority et British Steel, sans compter la vente de sa participation dans British Petroleum. » (pp 172-173)

« Le genre de crise que Friedman avait en tête était économique et non militaire. (…) Les crises…, « moments vacants » au cours desquelles les règles habituelles touchant le consentement et le consensus ne semblent pas s’appliquer. » (p.174)

à suivre

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