La Retraite française, une oeuvre d’Illarion Pryanishnikov
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« À peine deux semaines après que le comité Nobel eut déclaré la fin de la Guerre froide, The Economist conseillait à Gorbatchev de modeler sa conduite sur celle de l’un des meurtriers les plus infâmes de la Guerre froide. Sous le titre « Mikhail Sergeevitch Pinochet ? », l’auteur concluait que même si le fait de suivre ses conseils risquait de causer « une effusion de sang […], le moment était peut-être venu, pour l’Union Soviétique, d’entreprendre une réforme néolibérale à la Pinochet ». Le Washington Post alla encore plus loin. En août 1991, il fit paraître un commentaire coiffé du titre suivant : « Le Chili de Pinochet pourrait servir de modèle pratique à l’économie soviétique ». (…) Gorbatchev trouva bientôt sur son chemin un adversaire tout à fait disposé à jouer le rôle d’un Pinochet russe. (…) Eltsine était un glouton notoire doublé d’un gros buveur. » (pp 268-269)
« Ce que réclamait Eltsine, c’était le genre de pouvoirs exécutifs qu’exercent les dictateurs, et non les démocrates, mais le Parlement lui était toujours reconnaissant du rôle qu’il avait joué au moment de la tentative de coup d’État, et le pays avait désespérément besoin de l’aide étrangère. La réponse fut oui. » (p.270)
« Au bout d’une année seulement, la thérapie de choc avait prélevé un très lourd tribut : des millions de Russes de la classe moyenne avaient vu l’épargne de toute une vie être engloutie par la dévaluation de la monnaie ; en raison de l’élimination brusque des subventions, des millions de travailleurs n’étaient plus payés depuis des mois. En 1992, la consommation du Russe moyen avait diminué de 40 % par rapport à 1991, et le tiers de la population vivait sous le seuil de la pauvreté. Les Russes de la classe moyenne durent se résoudre à vendre des effets personnels sur des tables pliantes installées au bord de la rue – expédients désespérés qui, aux yeux des économistes de l’école de Chicago, signifiaient l’avènement de l’ « esprit d’entreprise ». » (pp 273-274)
« Eltsine, sûr du soutien de l’Occident, s’engagea de façon irréversible dans ce qu’on appelait désormais ouvertement la « solution Pinochet » (…) Comme il venait de doubler la solde des soldats, l’armée lui était pour l’essentiel favorable. Selon le Washington Post, il fit « encercler le Parlement par des milliers de militaires du ministère de l’Intérieur, des barbelés et des canons à eau, puis il interdit à quiconque de passer. (…) Une centaine de manifestants et un militaire furent tués. Ensuite, Eltsine abolit tous les conseils municipaux et régionaux du pays. La jeune démocratie russe était démantelée, pièce par pièce. » (pp 276-277)
Le Parlement finit brûlé par l’armée. « À la fin de la journée, l’attaque en règle des militaires avait coûté la vie à environ 500 personnes et fait près de 1000 blessés. Moscou n’avait pas connu une telle violence depuis 1917. (…) Kagarlitski se rappelle les propos du policier qui lui assénait des coups à la tête : « Vous voulez de la démocratie, espèce de fumier ? Nous allons vous en donner, de la démocratie ! » (pp 278-279)
« Les bénificiaires du boom ? Un club limité de Russes, dont bon nombre d’anciens apparatchiks du Parti communiste, et une poignée de gestionnaires de fonds communs de placements occidentaux qui obtinrent des rendements faramineux en investissant dans des entreprises russes nouvellement privatisées. Se forma ainsi une clique de nouveaux milliardaires, dont bon nombre, en raison de leur richesse et de leur pouvoir proprement impérial, allaient faire partie du groupe universellement connu comme celui des « oligarques » ; ces hommes s’associèrent aux Chicago Boys d’Eltsine et dépouillèrent le pays de la quasi-totalité de ses richesses. D’énormes profits furent virés dans des comptes bancaires à l’étranger, au rythme de deux milliards de dollars par mois. Avant la thérapie de choc, la Russie ne comptait aucun millionnaire ; en 2003, selon la liste du magazine Forbes, il y avait dix-sept milliardaires dans le pays. » (p. 281)
« Les effets du programme économique furent si brutaux pour le Russe moyen et l’aventure si clairement entachée par la corruption que la côte de popularité du président tomba sous les 10 %. ( …) En décembre 1994, Eltsine fit ce que de nombreux chefs d’État déterminés à s’accrocher coûte que coûte au pouvoir avaient fait avant lui : il déclencha une guerre. (…) et le ministre de la Défense prédit que son armée n’aurait besoin que de quelques heures pour vaincre les forces de la République sécessionniste de Tchétchénie. » (p.282)
« Dans le nouveau contexte de terreur, le fait que Poutine [Premier ministre] eut passé dix-sept ans au KGB (…) semblait soudain rassurer de nombreux Russes. Comme Eltsine sombrait de plus en plus dans l’alcoolisme, Poutine, le protecteur, était idéalement placé pour lui succéder à la présidence. Le 31 décembre 1999, au moment où la guerre en Tchétchénie interdisait tout débat sérieux, quelques oligarques organisèrent une discrète passation des pouvoirs d’Eltsine à Poutine, sans élections à la clé. » (p.288)
Multiplication énorme du nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (2 millions en 1989, 74 millions dix ans plus tard), 3,5 millions d’enfants russes sans abri selon l’UNICEF, deux fois plus de consommation d’alcool, neuf fois plus de toxicomanes (soit 4 millions), deux fois plus de suicides, quatre fois plus de crimes violents, décroissance démographique spectaculaire… tels sont quelques-uns de maux recensés ensuite par l’auteur.
« La misère planifiée est d’autant plus grotesque que l’élite étale sa fortune à Moscou plus que partout ailleurs, sauf peut-être dans une poignée d’émirats pétroliers. (…) Le pillage d’un pays riche comme la Russie a exigé des actes de terreur extrêmes – de l’incendie du Parlement à l’invasion de la Tchétchénie. (…) Eltsine avait beau bafouer tout ce qui ressemblait de près ou de loin à la démocratie, l’Occident qualifiait son règne de « transition vers la démocratie », fiction qui ne se fissura que lorsque Poutine s’en prit à quelques-unes des activités illégales des oligarques. » (pp 290-291)
« Comme Adam Smith l’avait parfaitement compris, l’anarchie qui règne dans les territoires nouveaux n’a rien de problématique. Au contraire, elle fait partie du jeu, au même titre que la contrition et la promesse solennelle de faire mieux la prochaine fois. » (p. 297)
à suivre
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