dans les ordures de Manille, photo Michaël Sztanke/RFI
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Nous passons au chapitre 13.
« Quelques semaines avant la débâcle, ces pays faisaient figure d’exemples de bonne santé et de vitalité économiques – c’étaient les « tigres de l’Asie », les réussites les plus spectaculaires de la mondialisation. (…) Les pays d’Asie furent victimes d’un effet de panique, rendu fatal par la vitesse et la volatilité des marchés mondialisés. Une simple rumeur selon laquelle la Thaïlande n’avait pas assez de dollars pour soutenir sa devise déclencha un sauve-qui-peut au sein de la horde électronique. Les banques réclamèrent le remboursement de leurs prêts, et le marché immobilier, véritable bulle soutenue par une croissance ultra-rapide, se dégonfla aussitôt. (…) La crise entraîna des actes désespérés » : pillages, dons massifs de bijoux en or des citoyens pour éponger la dette du pays, suicides, suicides collectifs… (p.320)
« La crise asiatique naquit d’un cycle de peur classique. Seul aurait pu l’atténuer un geste comme celui qui sauva la devise mexicaine lors de la « crise tequila » de 1994 : l’octroi rapide d’un prêt décisif – preuve, aux yeux du marché, que le Trésor des États-Unis n’entendait pas laisser tomber le Mexique. Rien de tel ne s’annonçait en Asie. Dès le début de la crise, au contraire, un nombre surprenant de gros bonnets de l’establishment financier déclarèrent à l’unisson : Ne venez pas en aide à l’Asie. » (p.321)
« Le FMI – après avoir laissé la situation dégénérer pendant des mois – entama enfin des négociations avec les gouvernements asiatiques en difficulté. (…) « On ne peut pas forcer un pays à demander de l’aide. Il doit venir à nous. Mais quand il est à court d’argent, il n’a pas beaucoup de recours », déclara Stanley Fischer, responsable des pourparlers pour le FMI. (…) On qualifie souvent le FMI de pantin du Trésor des États-Unis, mais jamais les ficelles ne furent plus visibles qu’au cours de ces négociations. » (pp 324-325) S’ensuivent les habituels manœuvres et chantages du FMI, qui permettent à des industriels étrangers de faire main basse sur toutes les entreprises asiatiques.
« L’ « aide » du FMI avait transformé la crise en désastre. (…) Le coût humain de l’opportunisme du FMI fut presque aussi élevé en Asie qu’en Russie. L’Organisation internationale du travail estime à 24 millions le nombre de personnes qui perdirent leur emploi au cours de cette période. (…) Selon la Banque mondiale, vingt millions d’Asiatiques furent condamnés à la pauvreté au cours de la période que Rodolfo Walsh avait qualifiée de « misère planifiée. (…) Comme toujours, les femmes et les enfants furent les grands perdants de la crise. Aux Philippines et en Corée du Sud, de nombreuses familles des régions rurales vendirent leurs filles à des trafiquants d’êtres humains qui les firent travailler comme prostituées en Australie, en Europe et en Amérique du Nord. En Thaïlande, les responsables de la santé publique firent état d’une recrudescence de la prostitution infantile de 20 % en une année seulement – celle qui suivit l’imposition des réformes du FMI. Aux Philippines, on observa un phénomène analogue ». (p.329)
« Deux mois après la conclusion de l’accord final du FMI avec la Corée du Sud, le Wall Street Journal fit paraître un article au titre révélateur : « Wall Street vampirise la zone Asie-Pacifique ». » (p. 331)
« La vérité, c’est que, dix ans plus tard, la crise asiatique n’est toujours pas terminée. Lorsque 24 millions de personnes perdent leur emploi en deux ans, on assiste à l’apparition d’un désespoir nouveau, qu’aucune culture ne peut absorber facilement. Dans la région, il prit de multiples formes, d’une montée significative de l’extrémisme religieux en Indonésie et en Thaïlande à une croissance exponentielle de la prostitution infantile. » (p. 334)
« Telles sont les conséquences systématiquement passées sous silence des politiques que le FMI qualifie de « programmes de stabilisation ». (…) Le secret honteux de la « stabilisation », c’est que la vaste majorité des gens ne réussissent pas à remonter dans le navire. Au lieu de quoi ils finissent dans des bidonvilles – où s’entassent aujourd’hui un milliard de personnes -, dans des bordels ou dans des conteneurs de marchandises. Ce sont les déshérités de la terre, ceux à propos desquels le poète allemand Rainer Maria Rilke écrit : « ce qui était ne leur appartient plus, et pas encore, ce qui s’approche ». (p. 335)
« La crise asiatique montrait indéniablement que l’exploitation des désastres était extraordinairement rentable. » (p. 336)
à suivre
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