tortures à Abou Ghraïb
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La sixième partie du livre consacrée à l’Irak comprend trois chapitres dont voici quelques passages significatifs.
« On présente parfois la doctrine « le choc et l’effroi » comme une simple stratégie visant à affirmer une puissance de feu dominante, mais, aux yeux de ses auteurs, c’est bien davantage : il s’agit, affirment-ils, d’un programme psychologique raffiné prenant pour cible « la capacité de résistance de la population ». Les outils utilisés sont bien connus d’une autre branche du complexe militaire américain : la privation sensorielle et la saturation de stimuli, conçus pour provoquer la confusion et la régression. (…) L’Irak fut soumis à la torture de masse pendant des mois ; l’expérience avait débuté bien avant la pluie de bombes. » (p.401)
« À l’approche de l’invasion de l’Irak, le Pentagone enrôla tous les médias américains dans un exercice d’ « escalade de la peur » à l’intention de l’Irak. (…) Les Irakiens, qui captaient les comptes rendus terrifiants grâce à des satellites de contrebande où à des coups de fil de parents vivant à l’étranger, imaginèrent pendant des mois les horreurs qui les attendaient. Les mots « choc et effroi » devinrent en eux-mêmes une arme psychologique puissante. » (p. 402)
Puis ce sont les bombardements sur Bagdad, la coupure des réseaux téléphoniques et de l’électricité, en sorte que plus personne ne puisse prendre des nouvelles des autres ni de ce qui se passe, et que tous soient réduits à l’obscurité et à l’isolement. S’ensuivent le pillage du musée, l’incendie de la bibliothèque nationale, la destruction des trésors du patrimoine, dont l’armée américaine se dédouane puisqu’ils sont le fait d’Irakiens, mais dont Naomi Klein montre qu’elle a volontairement « laissé faire ». « Bagdad est la mère de la culture arabe, dit au Washington Post Ahmed Abdullah, âgé de 70 ans. L’intention est d’oblitérer notre culture. » (p. 405)
« L’aveuglement néocolonial est un thème récurrent de la guerre contre le terrorisme. Dans la prison de Guantanamo Bay, qu’administrent les Américains, on trouve une pièce connue sous le nom de « cabane de l’amour ». Une fois qu’on a établi qu’ils ne sont pas des combattants ennemis, les détenus y sont conduits en attendant leur libération. Là, ils ont la possibilité de regarder des films hollywoodiens et de se gaver de « fast-food » américain. (…) Selon Rhuhel Ahmed, ami d’Iqbal, le traitement de faveur avait une explication très simple : « Ils savaient qu’ils nous avaient maltraités et torturés pendant deux ans et demi, et ils espéraient que nous allions tout oublier. » (pp 407-408)
« Ouvrir sur-le-champ les frontières aux importations, sans la moindre condition : ni tarifs, ni droits, ni inspections, ni taxes. Deus semaines après son arrivée, Bremer déclara que le pays « était prêt à brasser des affaires ». Du jour au lendemain l’Irak, l’un des pays les plus isolés, coupé du monde par les sanctions draconiennes qu’avait imposées l’ONU, devint le marché le plus ouvert de la planète. (…) Comme les prisonniers qui fréquentaient la cabane de l’amour de Guantanamo Bay, l’Irak serait conquis à coups de Pringles et de produits de la culture populaire – tel était en tout cas le plan d’après-guerre de l’administration Bush. » (pp 408-409)
« Washington avait l’intention de faire de l’Irak un territoire neuf, exactement comme il avait été fait de la Russie des années 1990, sauf que, cette fois, c’étaient des entreprises américaines – et non des compétiteurs locaux ou encore européens, russes ou chinois – qui recueilleraient sans effort les milliards. (…) En Irak, Washington avait supprimé les intermédiaires : le FMI et la Banque mondiale étaient relégués à des rôles de soutien, tandis que les États-Unis occupaient toute la scène. Le gouvernement, c’était Paul Bremer ; comme l’affirma un haut-gradé des États-Unis à l’Associated Press, il était inutile de négocier avec le gouvernement local, puisque « en ce moment, ce serait comme négocier avec nous-mêmes. » (pp 412-413)
« En fait, les forces qui déchirent aujourd’hui l’Irak – corruption endémique, sectarisme féroce, montée du fondamentalisme religieux, tyrannie des escadrons de la mort – s’imposèrent au rythme de la mise en place de l’anti-plan Marshall de Bush. Après le renversement de Saddam Hussein, l’Irak avait un besoin urgent de guérison et de réunification. Seuls des Irakiens auraient pu mener cette tâche à bien. À ce stade où le pays était fragilisé, on préféra le transformer en laboratoire du capitalisme sanguinaire – système qui monta des communautés et des particuliers les uns contre les autres, entraîna la suppression de centaines de milliers d’emplois et de ressources vitales et transforma la soif de justice des Irakiens en impunité absolue pour leurs occupants étrangers. » (p. 422)
« Bremer éradiqua la démocratie chaque fois que pointait sa tête d’hydre. Après six mois de travail, il avait annulé une assemblée constituante, opposé son veto à l’idée d’élire les rédacteurs de la future Constitution, annulé et interrompu des dizaines d’élections provinciales et locales et terrassé la bête des élections nationales. (…) Bon nombre de responsables en poste en Irak pendant les premiers mois de l’occupation établissent un lien direct entre les diverses décisions prises pour retarder l’avènement de la démocratie ou l’affaiblir et l’implacable montée de la résistance armée. » (p. 439)
« Les chocs infligés dans la salle de torture suivirent immédiatement les chocs économiques les plus controversés administrés par Bremer. Les derniers jours du mois d’août marquaient la conclusion d’un long été au cours duquel il avait édicté des lois et annulé des élections. Ces mesures ayant eu pour effet de gonfler les rangs de la résistance, on chargea les soldats américains de défoncer les portes des maisons et de faire passer à l’Irak le goût de résister, un homme en âge de se battre à la fois. » (p. 443)
Le compte-rendu des techniques de tortures mises en œuvre sur les hommes ainsi plus ou moins arbitrairement arrêtés prend ensuite plusieurs pages.
à suivre
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