Voici un autre poème de Rilke. J’aime penser à la vache noire qui retient son meuglement à la fin du texte, comme le font les vaches quand elles écoutent de la musique – je l’ai souvent vérifié quand elles s’assemblaient autour de mon ermitage en montagne pour écouter avec moi la musique souvent sacrée dont je leur faisais profiter en ouvrant la porte et les fenêtres.
Ô ce qu’il a dû coûter aux anges
de ne pas, tout à coup, fuser en chant comme on éclate en pleurs,
sachant pourtant : en cette nuit va naître
la mère du garçon, l’Un, qui va bientôt paraître.
Frémissants, silencieux, ils montrèrent du doigt
où se trouve, isolée, la ferme de Joachim.
Ah ! ils sentaient, en eux et dans l’espace, la pure condensation !
mais sans pouvoir, aucun, descendre à lui.
Car les deux se tenaient déjà si hors d’eux-mêmes.
Une voisine vint et ne sut qu’en penser,
et le vieux, prudemment, alla retenir le meuglement
d’une vache noire. Car jamais encore il n’en avait été ainsi.
Rainer Maria Rilke, Naissance de Marie (ma traduction, de l’allemand)