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Une telle demeure est éducatrice. On lit les pages de Bosco comme un emboîtement des réserves de forces dans les châteaux intérieurs du courage. Dans la maison devenue par l’imagination le centre même d’un cyclone, il faut dépasser les simples impressions du réconfort qu’on éprouve dans tout abri. Il faut participer au drame cosmique soutenu par la maison qui lutte. Tout le drame de Malicroix est une épreuve de solitude. L’habitant de La Redousse doit dominer la solitude dans la maison d’une île sans village. Il doit y acquérir la dignité de solitude atteinte par un ancêtre qu’un grand drame de la vie a rendu solitaire. Il doit être seul, seul dans un cosmos qui n’est pas celui de son enfance. Il doit, homme d’une race douce et heureuse, hausser son courage, apprendre le courage devant un cosmos rude, pauvre, froid. La maison isolée vient lui donner des images fortes, c’est-à-dire des conseils de résistance.
Ainsi, en face de l’hostilité, aux formes animales de la tempête et de l’ouragan, les valeurs de protection et de résistance de la maison sont transposées en valeurs humaines. La maison prend les énergies physiques et morales d’un corps humain. Elle bombe le dos sous l’averse, elle raidit les reins. Sous les rafales, elle plie quand il faut plier, sûre de se relever à temps en niant toujours les défaites passagères. Une telle maison appelle l’homme à un héroïsme de cosmos. Les métaphysiques « de l’homme jeté dans le monde » pourraient méditer concrètement sur la maison jetée à travers l’ouragan, bravant la colère du ciel. Envers et contre tout, la maison nous aide à dire : je serai un habitant du monde, malgré le monde. Le problème n’est pas seulement un problème d’être, c’est un problème d’énergie et par conséquent de contre-énergie.
extrait de : Gaston Bachelard, Poétique de l’espace
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