Il fait chaud et Paris est à moitié désert, comme en été.
La paix règne sur la ville avec la lumière.
La nuit dernière avant de descendre dans le métro j’ai vu une étoile dans le ciel. En remontant du métro, elle avait fait le trajet aussi, elle était toujours là.
J’ai coupé mes cheveux il y a quelques jours pour reprendre mon ancienne coiffure, du moins ma frange. En me promenant tout à l’heure dans les rues, parmi d’autres images j’ai fait trois autoportraits pour fêter la frange retrouvée :)
Il y a toujours dans une ville, un quartier, des endroits où l’on n’est pas allé depuis un certain temps, et où il se trouve de nouvelles choses à voir. La ville comme la nature change continuellement, même si les changements sont moins puissants en ville. Je prends des photos de graffs, de tags, d’endroits, comme à la montagne je cueille baies et champignons, comme sur la plage je ramasse petits galets, coquillages, bois flottés… Le monde est en perpétuel don. Et le spectacle de danse auquel j’étais conviée ce soir à Bobigny était aussi grâce et don, don des artistes au public, aux gens, si fort qu’il arrache à soi qui le reçoit. « Nicht Schlafen », « pas dormir », par les ballets C de la B d’Alain Platel offre un moment extraordinairement intense, beau, poignant, époustouflant de perfection plastique et de profondeur humaine, comme si le monde entier s’était concentré en une heure quarante sur cette scène avec neuf danseurs autour de trois cadavres de chevaux, laissant pressentir le danger d’une violence éclatant d’entrée, faisant voir la folie humaine ordinaire et aussi les liens et les moments autres, familiers ou étranges, étranges comme ce qu’il reste encore à connaître.
après cet après-midi à Paris…
…
ce soir à Bobigny, juste avant le début du spectacle :
Vidéos en fin de note. Aillaud donna à son urbanisme les noms de « Labyrinthe » – le lieu où le roi Minos enferma Dédale et Icare pour raisons politiques – et « Minotaure » – le monstre dévorateur de jeunes. Aujourd’hui La Grande Borne est depuis longtemps, sans jeu de mots, une plaque tournante du trafic de drogue. Et une cité emblématique de l’enfermement des populations de travailleurs et de chômeurs.
« Ce que les Blancs doivent faire, dit James Baldwin vers la fin de son entretien avec Kenneth Clark, c’est chercher en eux-mêmes, dans leur cœur, pourquoi il leur a fallu créer le nègre au début. Parce que je ne suis pas un nègre, je suis un homme. »
C’est une parole que peuvent reprendre tous ceux qui sont exclus, ségrégués, discriminés d’une façon ou d’une autre, par les uns ou par les autres. Les femmes, tout d’abord, qui dans tous les milieux, toutes les cultures, ne sont pas considérées comme « un homme », mais comme « la femme », de la même façon que James Baldwin est considéré comme un nègre.
Une parole que peuvent reprendre tous ceux qui sont essentialisés, mis à part, stigmatisés, du fait de leur origine, ethnique, culturelle, sociale, ou de leur sexualité.
Une parole que peuvent reprendre les pauvres, ceux qu’on a enfermés dans des ghettos, ni en ville ni à la campagne, dans des banlieues fabriquées par des urbanistes et des architectes froids comme la mort, ces pauvres que Émile Aillaud appelait « l’innombrable » (vidéo suivante). « L’architecture a une puissance occulte, disait-il, les individus finissent par ressembler à l’architecture », et il se vantait de « manipuler un devenir des gens. »
Pourquoi leur a-t-il fallu créer « l’innombrable » ? L’innombrable, la femme, le nègre, n’existent que dans leur tête, dans leur cœur qu’ils devraient interroger.
Quand les pouvoirs politiques prendront-ils en charge cette question ? « La regarder en face », comme le dit James Baldwin, « l’avenir du pays en dépend. »
Présentation du documentaire : « L’architecte Emile AILLAUD a voulu faire de la Grande Borne à Grigny un paradis pour les enfants. Le réalisateur Jacques FREMONTIER y a trouvé un enfer pour les adultes et les jeunes. On fait la fête à la Grande Borne avec majorettes, fanfare, ballet de petites filles et démonstration de karaté, mais que reste t-il lorsque la fête est finie ? Rencontre avec les habitants du quartier : une mère de famille nombreuse , des jeunes au chômage, les enfants qui connaissent des retards scolaires. Il y aussi les suicides, les saisies de meubles… A la Grande Borne, les gens deviennent des révoltés. Alors que Emile AILLAUD défend l’urbanisme moderne, les habitants, eux, ne trouvent que l’ennui. »
Dans une note antérieure, j’ai donné des films entiers de Sacres du Printemps chorégraphiés respectivement par Maurice Béjart, le théâtre Zingaro et Angelin Preljocaj. L’œuvre fantastique d’Igor Stravinsky, qui me fait toujours autant vibrer depuis quarante ans, est en ce moment donnée au festival de Marseille, cette fois dans la version du chorégraphe chilien José Vidal. Voici ce qu’on peut en apercevoir dans les extraits vidéos que j’ai trouvés – encore une fois extrêmement virides et jouissifs.
Voici les photos dans l’ordre où je les ai prises, au hasard de mon chemin. Il ne reste plus qu’à imaginer les histoires qu’elles peuvent raconter. On a le droit de changer l’ordre.