Des livres et d’une arnaque

gumnoi

 

Au retour d’une journée pourrie au lycée, j’ai eu la consolation de trouver à la maison, arrivé par la poste, un exemplaire de mon livre Franz Kafka et Milena Jesenska, nus devant les fantômes (« Gumnoi prosta sta fantasmata), dans une nouvelle édition en grec, parue le 3 septembre avec le journal To Vima (L’étape), tiré à trois cent mille exemplaires. Les Grecs savent encore lire de la littérature, tout n’est pas perdu.

Au lycée, c’était une autre histoire. Chaque année les profs de français y font venir une petite troupe de théâtre de tréteaux, qui adapte donc façon farce un auteur que le lycée fait lire à toutes les Seconde. Cette année (comme l’année dernière), Maupassant. (Ce pourquoi je leur ai fait étudier La petite Roque, qu’ils avaient eu obligation de lire avant la rentrée). Des bouts de nouvelles de l’auteur grossièrement « adaptées » et représentées par des comédiens statiques, jouant aussi faux que possible. Sachant qu’il doit y avoir une dizaine de Secondes dans le lycée, à 35 élèves par classe, les gars rentabilisent joliment leur petit travail, à 8 euros la place (4 payés par le lycéen, 4 par le lycée). À un prix où on aurait pu emmener les lycéens voir une vraie pièce dans un vrai théâtre plutôt que quatre comédiens grossièrement déguisés débitant dans l’amphi, non sans fautes d’élocution, leurs bouts de Maupassant déformé. Si ce n’est pas du foutage de gueule, c’est que c’est quelque chose de pire. Le pénible est aussi d’entendre les élèves, retombés de force en enfance, rire comme au guignol de quelques cocasseries et exulter bruyamment lors de la mort du méchant. Penser qu’on s’est escrimé à leur montrer un mois durant les subtilités du texte pour finir par le leur faire avaler transformé en farce, jetant de la cochonnerie aux confitures qu’ils sont… C’est tout ce que méritent les jeunes de banlieue ? Qu’on leur pourrisse le goût et l’intelligence ? Sur le chemin du retour – deux heures de trajet, j’ai eu le temps de m’interroger- je me suis demandé si j’allais en parler, ou non. Il est lassant de devoir toujours dénoncer ce qu’il faut dénoncer, outre qu’on se fait ainsi mal voir de tout le monde, à commencer par ses collègues. Mais O m’a dit en rentrant : il faut le faire. Oui, il faut le faire, parce que ce n’est pas moi qui suis à préserver, ce sont les élèves.

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 vu du busvu du bus, à Paris, ce soir, photo Alina Reyes

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alinareyes