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Il y avait du monde dans cette église désaffectée. Le lieu me déplaisait, mais c’était ainsi. S’y trouvaient en désordre des foules bruyantes et remuantes, toutes origines et tous âges réunis, des enfants aux vieux. L’historien Patrick Boucheron me conduisait à travers les gens et l’architecture compliquée du bâtiment jusqu’à l’endroit où je devais tenir mon discours de soutenance de thèse. Une fois là je dépliais le petit papier sur lequel je l’avais imprimé et je savais que l’affaire n’allait pas se passer simplement, car des gens intervenaient à tout moment pour commenter ce que je disais. Je songeais aussi que mon pot de thèse n’était prévu que pour quelques personnes, mais je ne m’inquiétais pas trop, pensant que les gens sauraient par eux-mêmes produire boissons et nourritures.
Avant de faire ce rêve, cette nuit, j’ai songé hier soir que Ici le chemin se perd, de Peské Marty, finissait mal. Leur tsar Alexandre 1er, quittant le palais tel un Siddharta descendu parmi le peuple et errant, passant pour mort, de Russie en Sibérie, affrontant diverses formes d’oppression exercées par les hommes et faisant l’expérience de diverses formes d’amour et de sexualité, traverse plusieurs spiritualités, du christianisme orthodoxe au bouddhisme en passant par l’islam et les vieux-croyants, pour finir par retourner au christianisme, après une résurrection. Le christianisme orthodoxe a beau être beaucoup plus orienté vers la résurrection que vers la croix, il n’en demeure pas moins marqué, comme le catholicisme, par un culte de la souffrance (et par une désastreuse croyance en un homme providentiel). Voilà ce qui est néfaste au monde. Je ne pense pas non plus qu’il soit nécessaire d’évacuer la joie en même temps que la souffrance, pour se débarrasser de cette dernière. Je pense que la souffrance n’a aucune valeur positive. Je pense qu’elle apporte des désirs morbides, envers soi et envers les autres, et des passages à l’acte criminels. Je pense qu’il faut la regarder en face et la remettre à sa place, méprisable. Je pense que le chemin consiste à apprendre cela, à se débarrasser de toute complaisance envers la souffrance, de tout recours à toute illusion, et à développer sa joie, libre et gratuite. Cela ne peut se réaliser qu’en dehors des systèmes d’oppression des hommes, qu’ils soient politiques, religieux, familiaux, sociétaux et autres.
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