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J’ai perdu un sein au combat, ce qui n’est rien, par rapport à perdre un œil ou une main, comme il est arrivé à tant de nos concitoyens sous les coups de la police macronienne. « Les dictatures ne sont pas seulement dangereuses, elles sont aussi vulnérables, car le déploiement brutal de la violence suscite un peu partout l’hostilité », écrit Ernst Jünger dans son Traité du rebelle ou Le recours aux forêts, notant « l’hypertrophie de la police » dans de tels régimes, auxquels « il faut désormais mettre tout citoyen sous surveillance ».
« Le recours aux forêts – ce n’est pas une idylle qui se cache sous ce mot. Le lecteur doit bien plutôt se préparer à une marche hasardeuse, qui ne mène pas seulement hors des sentiers battus, mais au-delà des frontières de la méditation. » Et cette petite note, écrite après avoir écouté en boucle « Bella ciao » par Manu Chao et commencé à lire ce livre, avance comme l’indiquent ces premières phrases de Jünger. La perte de mon sein m’a un peu attristée mais ne m’a pas traumatisée. En passant devant la glace, j’ai saisi mon appareil et j’ai photographié la dissymétrie entre mon sein naturel et mon sein en reconstruction – avec un « expandeur » qui sera remplacé au printemps par une prothèse en silicone à l’effet plus naturel, sans ce bombé un peu aplati d’aujourd’hui qui lui donne l’air de déborder d’un corset, alors que son rond camarade pèse gracieusement.
Non, la perte de mon sein ne me pèse pas. My burden is light, comme je le chantais avec Handel et le chœur. Rien ne me pèse, sinon d’avoir pris un peu de poids à cause du traitement. Je suis passée de la taille 36 au 38, ce n’est pas énorme, mais tout de même j’aimerais retrouver mon ancienne sveltesse. Il m’importe d’être légère. Cela reviendra, je pense, au cours du chemin. Après des années et des décennies de lutte littéraire pour la vérité, mon corps a pris sur lui le cancer du monde extérieur qui m’était opposé comme celui des manifestants blessés a pris la violence du monde extérieur. Et c’est par cette violence que, comme le dit Ernest Jünger, le monde des violents finit par tomber. La macronie tombera. Ainsi que ce qui l’a faite et ce dont elle est porteuse.
Nous n’avons pas désiré être mutilés. Mais c’est librement que nous sommes allés au combat. C’est pourquoi nous pouvons estimer être désormais augmentés d’une « mutilation qualifiante », selon les mots de Claude Sterckx dans son livre sur La mythologie du monde celte. Voici ce qu’il écrit :
« Un thème important des mythologies indo-européennes – et celtes – est celui qui lie les pouvoirs majeurs surnaturels et spécifiques d’un dieu à la perte consentie de ce qui en permet naturellement l’exercice.
Ce peut être un organe physique : Fortune (la Fortune), autrement dit le destin tracé d’avance pour chacun, est aveugle ; le Scandinave Odin obtient la voyance omnisciente en s’arrachant un œil ; son collègue Tyr obtient le patronage de la bonne foi en sacrifiant sa main droite – celle qui prête serment – dans un parjure ; le dieu impulseur (celui qui met le monde en mouvement) de l’Inde, Savitr, n’a plus de mains ; dans toutes les mythologies, la déesse-mère paie sa fécondité de cette « mutilation » paradoxale qu’est sa virginité perpétuelle…
Ici, l’amputation du bras de Nuadha le qualifie à la fois comme guerrier – la main qui tient le glaive – et comme roi, car la mission essentielle du souverain est de redistribuer justement entre ses sujets tout ce que sa dignité met sous son contrôle. »
Nous sommes les reines, les souverains : nous avons pour mission de « redistribuer justement ».
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