Achoura, sortie de la mort par la mer du Parler

Maryam et le peuple louant Dieu par des chants, des danses et le tambourin, après le passage de la mer du Roseau (Exode chap.15), image Alina Reyes

 

Aujourd’hui je jeûne Achoura, n’ayant pu le faire avant-hier. Mohammed a souhaité célébrer la victoire de Moïse et de son peuple à la traversée de la mer Rouge (mer du Roseau), pour marquer son lien avec le peuple juif et l’universalité de l’islam, dans le temps comme dans l’espace. Je prie pour qu’advienne ce qui doit advenir, que toute l’humanité finisse par constituer ce peuple sauvé des eaux. Et je donne ma traduction bien particulière et mes commentaires (dans Voyage) des passages de la Bible (chapitres 13 et 14 de l’Exode) qui racontent cet événement.

*

13

17. Il advint, lorsque Pharaon envoya le peuple, que Dieu ne les conduisit pas sur la route du pays des Philistins, bien qu’elle fût proche. Car Dieu dit : il ne faudrait pas que le peuple change d’avis en voyant se profiler les combats, et retourne en Égypte. 18. Dieu fit faire au peuple un détour par la voie du parler, la mer du Roseau. Et c’est armés que montèrent les fils d’Israël du pays d’Égypte.

19. Moïse prit avec lui les ossements de Joseph, car ce dernier avait fait jurer, jurer les fils d’Israël, disant : «  Il vous cherche, il viendra vous chercher, Dieu, et vous ferez monter mes ossements d’ici, avec vous. »

20. Ils partirent de Soukkot, « Tentes », et campèrent à Étam, au bout du parler.

21. Le Seigneur marchait devant leur visage, le jour en colonne de nuée pour les conduire sur le chemin, la nuit en colonne de feu pour les éclairer, et marcher jour et nuit. 22. Elle ne se retirait pas, la colonne de nuée, le jour, ni la colonne de feu, la nuit, devant le visage du peuple.

 

Moïse est allé voir Pharaon, a déployé tous les prodiges de Dieu, mais Pharaon s’est extraordinairement entêté, comme font les hommes devant la voie de la raison et de la vie. Malgré tous les fléaux qui ont alors frappé l’Égypte, il a refusé de changer de comportement, comme nous le faisons aujourd’hui malgré tous les fléaux qui frappent notre monde. Après la mort de tous les premiers-nés du pays, Pharaon a finalement accepté que Moïse emmène son peuple. Moïse a reçu les prescriptions pour célébrer la Pâque, et les voici qui partent, six cent mille hommes avec leur famille, leur bétail, et la pâte à pain qui n’a pas eu le temps de lever.

Au verset 18, je traduis le mot midbar par le parler. Ce mot a trois sens : 1) prairie, pâturage ; 2) désert ; 3) action de parler, le parler. Et sa racine, c’est le verbe davar, parler. N’est-il pas intéressant qu’il désigne à la fois un pâturage et un désert ? C’est que la parole de Dieu nourrit, et en même temps envoie au désert.

La « mer Rouge » s’appelle en vérité « mer du Roseau » parce que le roseau parle – tous les contemplatifs le savent, la voix de Dieu passe par lui, et les mystiques soufis écoutent le souffle du Créateur et les soupirs de la créature via le ney, la flûte de roseau. La mer du Roseau est la mer du parler, donc de la Présence qui ouvre à l’extase, à la sortie de soi, tel le bateau ivre de Rimbaud dans le « Poème de la Mer ».

Dieu sait qu’il ne peut envoyer le peuple directement au combat, il reculerait. Il l’arme donc de sa parole, qui dépouille des vieilles habitudes et en même temps donne courage pour partir. Bien entendu le peuple retombera à toute occasion dans son désir de retrouver refuge dans quelque servitude, et pour l’en sortir la parole de Dieu se fera toujours plus précise, dans l’établissement de la Loi et des Commandements.

Pourtant quelle aventure, de marcher ainsi nuit et jour, guidé par Dieu dans la colonne de nuée et la colonne de feu. Que peut-on vivre de mieux ?

 

14

1. Le Seigneur parla à Moïse, lui disant : 2. « Dis aux fils d’Israël de revenir camper à la face de Pi-Hahirot, « Ma Bouche des canaux », entre Migdol, « Tour », et la mer, à la face de Baal Cephon, « Seigneur Défend ». Devant lui vous camperez, au-dessus de la mer. 3. Pharaon dira des fils d’Israël : « Ils sont égarés dans le pays, le parler s’est fermé sur eux. » 4. Je renforcerai le cœur de Pharaon, il les poursuivra, et je serai glorifié en Pharaon et toute son armée : ils sentiront, les Égyptiens, que je suis le Seigneur ! » Ainsi firent-ils.

5. On raconta au roi d’Égypte que le peuple s’était enfui. Alors se retourna le cœur de Pharaon et de ses serviteurs au sujet du peuple. Ils dirent : « Qu’avons-nous fait là, d’envoyer Israël hors de notre service ? » 6. Il attela son char et prit son peuple avec lui. 7. Il prit six cents chars d’élite et tous les chars d’Égypte, avec des officiers sur chacun.

8. Le Seigneur renforça le cœur de Pharaon, roi d’Égypte, et il poursuivit les fils d’Israël. Or les fils d’Israël s’en sortirent la main haute.

9. Les Égyptiens les poursuivirent et les atteignirent alors qu’ils campaient au-dessus de la mer – tous les chevaux, les chars de Pharaon, ses cavaliers et son armée, devant Pi Hahirot et à la face de Baal Cephon. 10. Pharaon fit approcher, et les fils d’Israël levèrent leurs yeux : voici, l’Égypte marchait derrière eux ! Ils eurent très peur, les fils d’Israël, et ils crièrent vers le Seigneur. 11. Ils dirent à Moïse : « Est-ce parce qu’il n’y a plus nul tombeau en Égypte que tu nous a pris pour mourir dans le parler ? Que nous as-tu fait en nous faisant sortir d’Égypte ? 12. N’est-ce pas là la parole que nous te parlions en Égypte,  disant : Laisse-nous servir les Égyptiens, car il est bon pour nous de servir les Égyptiens, plutôt que de mourir dans le parler. »

13. Moïse dit au peuple : « N’ayez pas peur ! tenez-vous ! et vous verrez le salut que le Seigneur fera pour vous aujourd’hui : les Égyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les verrez plus jamais, de toute l’éternité ! 14. C’est le Seigneur qui combattra pour vous. Et vous, vous vous tairez. »

15. Le Seigneur dit à Moïse : « Pourquoi cries-tu vers moi ? Dis aux fils d’Israël de partir. 16. Toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer et fends-la, que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec. 17. Et moi, me voici : je vais renforcer le cœur des Égyptiens, ils entreront derrière eux, et je ferai sentir mon poids dans Pharaon et toute son armée, dans ses chars et dans ses cavaliers. 18. Ils vont sentir, les Égyptiens, que je suis le Seigneur, quand je vais me glorifier en Pharaon, ses chars et ses cavaliers ! »

19. L’Ange de Dieu, qui marchait au visage du camp d’Israël, partit et passa derrière eux. Et partit de devant leur visage la colonne de nuée, pour se tenir derrière eux. 20. Elle vint entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. Ce fut la nuée et la ténèbre, et elle illumina la nuit. Et celui-ci ne s’approcha pas de celui-ci de toute la nuit.

21. Moïse étendit sa main sur la mer. Et le Seigneur fit aller la mer dans un puissant souffle d’en avant, toute la nuit. Il mit la mer à sec et fendit les eaux.

22. Les fils d’Israël entrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche.

23. Les Égyptiens les poursuivirent, et entrèrent derrière eux tout cheval de Pharaon, son char et ses cavaliers, dans le milieu de la mer.

24. Et il advint, dans la veille du matin, que le Seigneur, en s’avançant dans la colonne de feu et de nuée, regarda vers le camp des Égyptiens, et confondit le camp des Égyptiens. 25. Il enraya la roue de ses chars, rendant leur conduite lourde. Les Égyptiens dirent : « Fuyons de la face d’Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre les Égyptiens ! »

26. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends ta main sur la mer, que retournent les eaux sur les Égyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers ! »

27. Moïse étendit sa main sur la mer, et revint la mer, aux tournants du matin, via son impétuosité. Les Égyptiens s’enfuirent à sa rencontre, et le Seigneur secoua les Égyptiens au milieu de la mer. 28. Retournèrent les eaux, couvrant les chars et les cavaliers via toute l’armée de Pharaon, qui était entrée derrière eux dans la mer. Il n’en resta pas un seul.

29. Les fils d’Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer, les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche. 30. Le Seigneur en ce jour sauva Israël de la main des Égyptiens, et Israël vit les Égyptiens morts sur la langue de la mer. 31. Israël vit la grande main que le Seigneur avait déployée contre les Égyptiens, et le peuple craignit le Seigneur, et ils eurent foi en le Seigneur, et en Moïse son serviteur.

 

C’est un grand récit d’accouchement spirituel et de consécration. Dieu accouche son peuple, et ce faisant le consacre peuple de Dieu, comme il l’avait promis à Abraham. La consécration s’opère dans la séparation que Dieu réalise entre « celui-ci » et « celui-ci » (v.20), entre le camp de la mort et celui de la vie. Dieu sépare son peuple, et ce faisant l’unit, le fait communier par lui et avec lui dans une même aventure. Il le sépare et le libère de l’esclavage qu’est le monde. Dieu révèle où est le véritable esclavage, quelle est la véritable libération.

Les esclaves sont d’abord, en vérité, les hommes qui vivent selon le monde. Ils ne veulent pas obéir à Dieu, ils ne veulent pas Le reconnaître, mais ils veulent conserver sous leur main son peuple, et via son peuple l’asservir Lui, le Seigneur. L’envie qui s’ignore, la jalousie inavouée, le dépit de ne savoir servir Dieu ont toujours été motifs de haine envers ceux qui sont ses amis, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans. Motifs de l’antisémitisme qui continue plus que jamais à vivre, se manifester et agir secrètement derrière tant de faces bon teint, contre les « sémites » par l’esprit : quelle que soit leur religion les proches de Dieu, du Dieu Unique.

Plus Pharaon et ses serviteurs s’obstinent à Le contrarier, plus ils s’abusent sur son parler (v.3), plus les Égyptiens ont et auront à sentir (v.4) que Je Suis est le Seigneur. C’est même lui, Dieu, qui les pousse en ce sens, sur cette pente stupide qui est la leur, afin de leur ouvrir les yeux sur le caractère dérisoire de leur entêtement : la mer en les engloutissant ne fera qu’imager le fait qu’ils sont bornés et se promettent au néant.

Et voici que le peuple hébreu, lui aussi, se met à avoir peur et reculer. Ils ne comprennent plus, alors ils perdent la foi, leur regard devient borné, ils ne voient pas au-delà de leurs limites, ils oublient la valeur du temps, ils oublient que Dieu est en avance d’eux et qu’il voit, lui, ce qu’ils ne voient pas. Débâcle dans les membres. Ils préfèrent servir le monde plutôt que de mourir au désert, où les a conduits le parler de Dieu, où il les a conduits pour les faire mourir et revivre, libérés. Mais leur foi est  faible, ils ne voient pas plus loin que leur désir de se maintenir tant bien que mal dans un monde auquel il leur faut faire sans cesse allégeance.

À partir du verset 19, à partir du moment où Dieu prend complètement en main les opérations, tout se passe dans un ordre de perfection liturgique. Les mouvements sont précis. L’ange, la colonne de feu et de nuée, la ténèbre et la mer accomplissent leur office, réglé comme sur du papier à musique. Le peuple participe en avançant, « les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche » (versets 22 et 29), comme si leur avancée ouvrait à mesure les eaux.

Finalement les Égyptiens meurent « sur la langue de la mer », la langue du mensonge. Et nous savons que c’est en chaque homme que l’ « Égyptien » doit mourir. Que s’il ne meurt pas par conversion, pour naître en Dieu et trouver la vie éternelle, il trouvera la mort éternelle (« vous ne les verrez plus jamais, de toute l’éternité ! ) (v.13) par retour de la mer sur lui : tué par son propre mensonge, l’éternelle répétition de son péché, de son entêtement, de son aveuglement.

Et nous savons aussi que l’histoire du salut nous est offerte, que nous pouvons à tout moment y entrer et en être. Que nous pouvons la reparcourir depuis ses débuts jusqu’à son accomplissement dans le Christ et dans l’attente participante de son retour en gloire. C’est pourquoi nous sommes tellement bienheureux : avant de commencer à nous laisser élever en compagnie de Moïse en enfants de Dieu, nous entonnerons avec lui son grand cantique de louange au Seigneur.

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Anaximandre et le Coran

photo Alina Reyes

 

J’étudie le verset 22 de la sourate 21, je regarde plusieurs traductions. Dans la première cela donne : « S’il y avait dans le ciel et la terre des divinités autres qu’Allah, tous deux seraient certes dans le désordre. » Dans une autre (Tawhid) : « … la marche de ces derniers aurait été gravement compromise. » Une autre (Kasimirski) : « … ils auraient déjà péri. » Une autre (Chouraki) : « … seraient anéantis. »  Or ce que je comprends, c’est que le sens profond est : ils seraient corrompus. Afin de m’assurer de ne pas faire d’erreur, je cherche le verbe arabe dans le dictionnaire et je trouve : son premier sens est bel et bien : « être gâté, corrompu ».

Ah je suis en joie, je vois tout si clairement, le texte est si juste et rejoint si bien ce que j’ai déjà vu en traduisant des passages de la Bible ! Ce qui se trouvait caché dans la Bible est dans le Coran révélé. Et cette révélation est en elle-même une nouvelle cache pour elle-même, en même temps qu’une exposition du passage à cette autre dimension qui est comme la matière noire de la Bible.

En attendant de revenir commenter cette sourate, cette affaire de « corruption » me rappelle la parole d’Anaximandre, l’un  des tout premiers philosophes, né en 610 avant Jésus-Christ, qu’un jour je traduisis ainsi :

De cela précisément où les vivants ont leur source, en cela aussi leur dissolution se produit, selon la promesse. Ils se donnent en effet les uns les autres règle et prix du déréglé selon l’ordre du temps.

Traduction qui a son originalité, mais qui puise au dictionnaire, rien d’autre.

Je vois dans ces deux phrases une genèse du fini à partir de l’infini – cet apeiron dont Anaximandre disait qu’il était l’élément premier du vivant-, du multiple à partir de l’Un. Nous passons d’une source aux vivants. D’un non-nommé (cela) à un déroulement de mots en phrases.

Le premier mot est ex, qui indique une sortie, les derniers chronou taxin, ordre du temps. Dans la sortie de l’infini, le déréglé entre avec le réglé dans l’ordre du temps : la mission des vivants est de s’harmoniser les uns les autres de sorte à donner un juste prix à leur condition, ce qui revient à l’assumer.

Selon la promesse, selon l’ordre du temps. Le mot kata, pour dire selon, indique une descente. La promesse, l’ordre du temps viennent d’en-haut, de la source. Il s’agit d’une promesse parce qu’elle est contenue en puissance dans cela d’où est la source. Regardons vers la Genèse – après tout le mot traduit ici par source est genesis – et voyons ce « cela » d’en-haut, un cela au pluriel dans le texte, un cela unique mais contenant sa puralité, comme ce que les premiers versets de la Bible nomment « les eaux d’en-haut ». Le Logos universel autorise de tels rapprochements, même si l’oreille d’Anaximandre n’a jamais entendu la bouche de Moïse, ni l’oreille de Moïse la bouche d’Anaximandre. Le Logos l’autorise, précisément parce qu’ils se donnent les uns les autres règle et justice, et prix, en rachetant le faux par les liens et les avancées de la pensée, qui ainsi s’épure et progressivement, de la multiplicité des vivants, des êtres-étants, des logos atteignent leur source, l’unique Vérité, le Logos sorti par ex-tase de l’infini sans nom, ce « cela » en lequel les mystiques de tous horizons reconnaissent Dieu.

Et la dissolution est communion, des êtres en l’Être, de l’être en l’Être :

« Tout cessa, je cédai,

délaissant mon souci,

parmi les fleurs de lis oublié. »

Saint Jean de la Croix

Faites l’expérience de lire à partir de la fin ces deux phrases d’Anaximandre, en remontant jusqu’au premier mot, vous y êtes.

Selon l’ordre du temps, règle et prix du déréglé, les uns les autres se donnent en effet. Selon la promesse leur dissolution se produit, en cela aussi où les vivants ont leur source, précisément, de cela.

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Qu’est-ce que la Palestine ?

Pêcheurs gazaouis en train de démêler leurs filets, photo Erica Silverman/IRIN

 

Qui noie le poisson ne le mangera pas.

Qu’est-ce que « le peuple palestinien » ? C’est une question sérieuse. Il faudrait commencer par là, si l’on veut donner la Palestine au « peuple palestinien ».

Voici quels sont les peuples palestiniens, dans l’ordre de leur apparition dans l’histoire : Cananéens, Israélites, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Chrétiens, Byzantins, Arabes, Britanniques… Et maintenant y vivent des Juifs (il y en a depuis plus de 3000 ans), des Chrétiens (il y en a depuis 2000 ans), des Musulmans (il y en a depuis plus de 1300 ans). Jamais ces terres n’ont été la propriété exclusive de l’un ou l’autre peuple. Voilà ce que sont les Palestiniens, voilà ce qu’est le peuple palestinien, même s’il est aujourd’hui divisé. Un mélange de peuples. Ceux qui veulent la terre pour eux seuls, qu’ils soient Juifs ou Musulmans, sont dans leur tort. Nul n’a à y dominer. Il faut parvenir à une cohabitation, parce que c’est la seule solution juste. La Palestine, c’est dans le combat spirituel que nous pouvons la trouver, et l’accomplir.

Je suis la musulmane immodérée
Je me lève à la source du jour
bondissant à l’appel abouchée
au point d’eau je bois plus qu’à mon tour
la joie qui doucement descend, lumière
pure au cœur des assoiffés de Dieu
Je sens dans l’univers éclore l’ère
où le peuple des astres aura les yeux
retournés vers notre unique lieu.

Aucune religion, du moins tant qu’elle n’est pas récupérée ni défigurée, ne peut être la religion des riches et des puissants. Dieu aime les pauvres, les humbles, ceux qui sont en mesure de Le chercher, Lui le bonheur, la justice et la paix qui s’obtiennent autrement que par la guerre, l’argent ou le pouvoir, lesquels ne donnent rien de vrai, ceux qui sont en mesure de Le trouver, de trouver tout cela que d’autres ne peuvent même pas voir. Dans l’islam c’est si direct, la mosquée est le paradis, et la mosquée est partout, visible ou invisible.

À la mosquée je suis à la maison. Dans l’univers entier, et en tout point de l’univers, je suis à la mosquée.

L’amour est bon comme une petite maison
dans le corps.

Si on veut te rendre présentable, rends-toi impossible.

Un arbre (ou un penseur) tordu ne deviendra pas un arbre (ou un penseur) droit. Le travail du jardinier est de donner aux jeunes pousses les meilleures chances pour se développer harmonieusement, chacune selon son espèce.

Et un jardinier tordu ne peut tordre un arbre droit.

Armée des ombres, armées de l’ombre, leur guerre contre la vérité.

Ceux qui prennent dans l’idée de la guerre leur pied, qu’ils voient :

La mort est une barrière. Vivre derrière une barrière ce n’est pas être libre. Partez à la quête de l’ange !

La quête est le combat qui donne des ailes pour franchir les barrières.

Le contraire de la guerre qui tue est le combat de l’ange.

Le remède à la guerre n’est pas la paix, mais la grâce.

Au petit jour de la résurrection, vous mangerez le poisson de vos eaux,
ô mon petit peuple

ô gens des Livres que Dieu attend pour vous le partager.

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Sourate Ta-Ha (2). Moïse sauvé du feu

photo Alina Reyes

 

Nâr, feu, désigne aussi dans le Coran l’enfer. « Et dis: « La vérité émane de votre Seigneur ». Quiconque le veut, qu´il croit, et quiconque le veut qu´il mécroie ». Nous avons préparé pour les injustes un Feu dont les flammes les cernent », est-il écrit au verset 29 de Al-Kahf. Le mot, de même qu’en hébreu, est tout proche de nûr, lumière.

Si nûr est entièrement positif – il est un nom du Coran, et Dieu lui-même est Lumière sur lumière (sourate 24, v.35), nâr a une double connotation. Ici où le premier récit de la sourate concerne l’épisode de la Bible dit du buisson ardent, il apparaît d’abord positif. Le récit biblique parlait d’un feu qui brûlait sans consumer le buisson. Le récit coranique dit seulement : un feu. Moïse voit un feu au loin. Il dit à sa famille de rester sur place, tandis que lui part à sa rencontre, dans l’espoir d’en ramener un tison, et peut-être une aide pour le guider. Ce feu s’apparente donc à un espoir de lumière, comme d’une torche pour pouvoir avancer plus sûrement dans la nuit.

Cependant le fait que Moïse demande à sa famille de rester sur place tandis qu’il s’en va au-devant de cette vision de loin, indique, en même temps que l’espoir, le risque que ce feu représente. Le risque, sans doute, qu’encourent les injustes de se voir cernés par ses flammes, comme écrit dans la sourate 18. Or, qui peut savoir, au moment de se présenter devant Dieu, s’il sera jugé juste ou injuste ? C’est tout l’enjeu du Coran : éclairer les hommes dans leur nuit, les prévenir contre le risque de l’enfer. « Nous n’avons point fait descendre le Coran sur toi pour que tu sois malheureux », est-il dit au deuxième verset de Ta-Ha.

Si nous rapportons le récit à des états mentaux, quel pouvait bien être celui de Moïse en voyant de loin ce feu ? Un verbe apparenté à nâr signife « être excité au point de se jeter sur quelqu’un ». Le caractère infernal du feu consiste à ête dominé par ses pulsions. Quelques versets plus tard, Dieu retraçant la vie de Moïse jusqu’ici, lui fera notamment rappel du fait qu’un jour il tua un homme (sous le coup de la colère, pour défendre un Hébreu opprimé, ainsi que le raconte la Bible). Nous pourrions interpréter la démarche de Moïse comme celle d’un homme qui, sentant monter en lui le feu morbide, s’en éloigne dans l’espoir de trouver guidance dans le feu purifié de Dieu. Et en effet, arrivé devant le feu, Moïse entend Dieu lui dire d’ôter ses sandales, car il se trouve dans un val sacré. La part d’énergie mal orientée qui se trouvait en lui, Dieu va la retourner en lui donnant mission de lutter contre le mal – incarné dans le texte par leur ennemi commun, Pharaon.

Toutes les allées et venues de la sourate sont des occasions de retournement, de conversion : ainsi qu’il en est de la main de Moïse blanchie comme par la lèpre mais indemne, de son bâton changé en serpent mais redevenant bâton, revenant à son état primitif. Occasions de remise et reprise de l’être dans le droit et bon chemin, celui où dans chacune de nos prières, répétant Al-Fatiha, nous demandons inlassablement à Dieu de nous conduire. Pour notre béatitude (ainsi que j’ai interprété les lettres Ta-Ha), ainsi qu’en renouvelle constamment la promesse le Coran, parallèlement à ses avertissements contre le mal. En quelque sorte, il s’agit de convertir la tentation du mauvais feu en mise en chemin à la bonne lumière. « Que celui qui n´y croit pas et qui suit sa propre passion ne t´en détourne pas. Sinon tu périras », est-il dit au verset 16, faisant suite à l’annonce de l’Heure, qui va arriver. « Je la cache presque », dit Dieu, tout à la fois donnant un sentiment d’imminence, comme d’un rideau sur le point de s’ouvrir, et préservant la liberté de l’homme, sa responsabilité quant au fait de bien ou mal se diriger. C’est ainsi que nous verrons Pharaon, dédaignant les signes de Dieu produits par l’intermédiaire de Moïse, sombrer avec son armée. (Et la position de Moïse par rapport à Pharaon, avec toutes ses difficultés, est aussi celle du Prophète par rapport aux forces traditionnelles qui s’opposent au message qu’il lui faut leur délivrer).

Moïse s’est approché de ce feu vu de loin, il a écouté le message qui pouvait en être délivré, c’est pourquoi il est sauvé et peut sauver son peuple. Si le Coran ne cesse d’avertir les hommes contre l’enfer qui les menace, c’est qu’il leur faut, pour en être délivrés, accepter de regarder la vérité en face, toute la vérité. La réalité lumineuse, et la réalité sombre. S’entêter comme Pharaon à ne pas vouloir reconnaître le mal, ou dévier du bien comme plus loin dans la sourate le Samaritain et son idolâtrie pour un veau d’or (v.85 et suivants) , ou comme plus loin encore écouter comme Adam la parole faussée d’un serpent, c’est s’aveugler sur ce à quoi on se destine. Pourquoi m’as-tu refait aveugle ? demande à Dieu Adam (v. 125) après qu’il a obéi au satan, sa mauvaise pulsion, et mangé de l’arbre interdit. C’est que, précisément, il a négligé la parole d’avertissement, il n’a pas voulu voir le mal où il était.

Or ne pas vouloir voir le mal, refuser de le porter à la lumière, c’est se priver de la possibilité d’en être libéré. Dieu est le miséricordieux, il soulage de sa culpabilité celui qui admet la vérité, et par cet acte qui est repentance, permet que tout à la fois le mal et la culpabilité qu’il engendre soient détruits. Aux aveugles que nous sommes, le Coran expose sans cesse et vigoureusement le mal dans sa monstruosité, qui est aussi l’énormité de la culpabilité qui nous plombe et à son tour engendre de nouveau le mal, si nous n’en sortons pas pour aller vers la lumière qui purifie.

La lumière de Dieu, nous dit la sourate An-Nûr, « est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient d´un arbre béni: un olivier ni oriental ni occidental dont l´huile semble éclairer sans même que le feu la touche. » Nous voici revenus au buisson ardent. À l’arbre béni, contre l’arbre maudit dont mangèrent Adam et Ève. Nous voici revenus au centre de la question. Je vois au loin le feu-lumière de la Kaaba, vêtu de son voile sombre. Je vois les pèlerins faire le chemin vers elle, le chemin du pardon, vers cette étrange maison vide. Je revois en regard les compagnons du Messie faire le chemin vers le tombeau vide, un matin à l’aube, le rocher creux qui n’abrite plus la mort mais fait signe de résurrection. Je me rappelle que le Prophète a dit que c’est vers là-bas, Jérusalem, qu’à la fin des temps nous tournerons notre regard, notre prière. Où le Jardin des oliviers, qu’en ce moment on déracine, reprendra vie et donnera l’huile d’où brillera, dévoilée, la lumière éternelle.

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Au coeur de la Vérité

photo Alina Reyes

 

Où se rencontrent-ils, l’homme et Dieu, l’homme et l’homme,  l’homme et la femme ? Cet acmé, ce sommet, cette advenue, cette arrivée, ce moment où quelque chose arrive, où la vie s’étincelle, a lieu dans le volume, dans la profondeur, la chair de la Vérité.

Ce que nous voyons de la Vérité, c’est sa peau seulement. Ses surfaces, les formes qu’elle prend, ce qui, comme de tout corps terrestre ou céleste, en est exposé à la lumière.

Or le coeur de la Vérité bat et pulse à l’intérieur, au secret de son corps d’apparences. La Vérité se trouve dans une dialectique de l’ombre et de la lumière, de la profondeur et de la surface, du flux et du fixe. Les hommes la manquent parce que le caché les aveugle, les tente et les terrifie.

La Vérité se trouve dans cette dialectique mise en oeuvre lors de la création du monde, quand le Principe, dans un même mouvement se retirant et se projetant hors de soi, inaugure la lumière, et la possibilité de voir ce qui était caché en son sein. La Vérité est l’absolu incorruptible qui fonde tout être et toute vie – mais non toute existence. Si elle était souillée, tout être et toute vie se décomposeraient, pourriraient, mourraient. La Vérité est immaculée, ou rien n’est.

Parce qu’il est libre, l’homme se souille et souille sa vie en menant des existences vérolées de mensonges. Dont le moindre n’est pas la croyance fondamentalement fausse selon laquelle là réside la dialectique de l’ombre et de la lumière, et que la vérité souillée est la pure vérité.

Une vérité souillée ne peut donner la vie, seulement des formes morbides que, baignés dans le mensonge, nous prenons pour de la vie.

Pour se protéger de la souillure, la Vérité absolue, le coeur de la Vérité, demeure hors d’atteinte des hommes. Car si elle ne veillait à demeurer immaculée, toute vie s’écroulerait. Tel est le sens, dans la Genèse, de la chute d’Adam et Ève. Dieu ne les laisse pas attenter à la Vérité. La vie leur a été donnée, puis ils se sont jetés dans l’existence par une tentative de coup d’état : les voici désormais soumis à leur état hors de la Vérité, celui de la corruption et de la mort.

Le serpent n’est pas seulement le tentateur, il est aussi l’anticorps, le révélateur du désir de mort de l’homme ; et cette révélation permet de le renvoyer à son mal avant qu’il ne puisse contaminer le jardin.

La Vérité n’est pas interdite à l’homme, mais il ne peut la connaître que si elle lui vient d’elle-même, si elle lui vient de Dieu, qui la lui fait connaître dans l’ombre. À vouloir la prendre de lui-même, par effraction, il n’embrasse que sa propre mort. On n’entre pas dans la Vérité de l’extérieur. Le corps de la Vérité ne peut se connaître en l’ouvrant comme pour une dissection. Faire cela, c’est tuer la réelle dialectique de l’ombre et de la lumière, et ne plus avoir comme objet de connaissance que la mort. Or la mort, n’étant rien, ne peut être objet de connaissance, mais seulement de vain désir du vain.

Dieu vous donne la Vérité si vous vous laissez couvrir par son ombre. Comment Dieu pourrait-il avoir une ombre, alors qu’il est lui-même lumière ? Il n’en a pas. Il est la lumière d’ombre qui protège son coeur, lequel est la lumière-vérité qu’il est aussi. Si vous laissez l’ombre de Dieu vous envelopper, vous laissez aussi sa Vérité se révéler et prendre demeure dans votre coeur, votre corps. Vous connaissez le corps de la Vérité, vous le devenez.

(extrait de Voyage)

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