L’insupportable morgue et domination des journalistes

Corporatisme des journalistes qui n’aiment pas qu’on attaque tel ou tel titre ou journaliste. Les articles bidonnés ou bâclés par certain·e·s de leurs confrères et consœurs, ils ne les voient pas ? Ils les gobent comme le lecteur moyen, qui ne sait pas ? Ils ignorent à ce point leur métier ? Ou bien ils voient, et cela ne leur fait ni chaud ni froid ? Je dis qu’un titre trop accommodant avec le mensonge perd toute crédibilité, même si certains de ses journalistes font un travail correct. Il devient illisible, comme tout ce qui est corrompu à la racine.

Même des journalistes de gauche, ceux qui aiment bien dénoncer les dominations, soutiennent et exercent eux-mêmes une domination sournoise, minable, voire criminelle, à la fois sur leurs lecteurs et sur les gens dont ils parlent. Se permettant si souvent de déformer les propos qu’on leur tient, de déformer des faits, d’affirmer sans avoir enquêté, et même de bidonner des articles, d’inventer ce qu’ils présentent comme vrai, de mentir (raison pour laquelle, les ayant trop pris sur le fait, je n’ouvre plus ni L’Obs ni Libé). J’ai une formation de journaliste et je vois ce qu’ils font, depuis cette formation et aussi depuis ma position de proie potentielle pour les journalistes – combien de fois m’a-t-on prêté des discours que je n’avais pas tenus, combien de fois a-t-on rapporté avec des approximations énormes ce que j’avais dit ou fait, combien de fois m’a-t-on insultée parce qu’on avait la possibilité de le faire et que je n’avais pas la possibilité de répondre, à combien de milliers de gens ont-ils de la même façon nui, combien de fois ai-je vu leur traîtrise, leurs connivences avec tel ou tel pouvoir, leur fausseté, leur propension non à dire les faits mais à promouvoir ou salir telle ou telle personne, tel ou tel événement.

Voilà qui ferait un beau sujet d’étude pour des sociologues. Le journalisme a sa noblesse, s’il est exercé avec honnêteté. La France fait partie des pays, malheureusement, où il est particulièrement corrompu et vendu. En toute impunité. Cela aussi devra changer. Cette domination inique, si largement répandue, elle aussi devra être largement dévoilée, remise en question, mise en accusation, sanctionnée. Afin que puisse continuer à vivre, et vive, un journalisme au service des faits et des citoyens, plutôt qu’au service de tel ou tel notable, de tel ou tel pouvoir.

Intermittents du spectacle et permanents de la propagande

Nombreux sont les intermittents de l’argent. Notamment parmi ceux qui n’ont pas ou plus d’emploi salarié leur assurant des revenus fixes. Certains n’ont même pas droit à une quelconque assurance chômage (les écrivains, par exemple, ou les peintres, pour prendre deux cas de travailleurs dans la culture). Ségolène Royal suggère que l’on demande aux intermittents du spectacle, en échange du statut avantageux qui leur permet de ne pas être vraiment des intermittents de l’argent, d’intervenir dans les écoles et les maisons de retraite pendant leurs périodes chômées. Pour une fois, je trouve qu’elle tient là une très bonne idée. Je connais bien les intermittents du spectacle, il y en a plusieurs dans mon entourage et j’en ai aussi connu dans le milieu du théâtre ou de l’audiovisuel. Soit ce sont des gens qui ont du travail, et alors leur statut est tout de même un privilège, notamment pour ceux qui cumulent gros cachets et indemnités de chômage. Privilège par ailleurs exploité par les employeurs, les télévisions, qui abusent de ce statut pour faire travailler les techniciens à moindre coût social. Soit ce sont des gens qui galèrent et ont du mal à cumuler assez d’heures pour bénéficier des allocations entre deux périodes travaillées. Dans les deux cas, celui des privilégiés comme celui de ceux qui galèrent, leur demander de se rendre utiles pendant leur temps libre serait tout à fait profitable. Aux personnes âgées et aux enfants qui bénéficierait de leurs visites, et à eux-mêmes. Les stars de cinéma et de télévision pourraient avoir à choisir entre leur privilège éhonté et le devoir de se plier à d’humbles services. Et ceux qui galèrent auraient pour la plupart plaisir et fierté à se rendre utiles par leur art plutôt qu’à devoir subsister en marginaux de la société. L’un d’eux m’a raconté que, après quelques mois sans emploi, ayant perdu son statut d’intermittent, il finit, en désespoir de cause, par demander une aide sociale avant de se retrouver à la rue. L’aide lui fut accordée. Il proposa alors d’aller en retour donner, gratuitement, des cours de musique ou assurer des animations musicales dans les écoles ou autres, puisque c’était son métier. Impossible, lui répondit l’assistante sociale, ça ne marche pas comme ça. Eh bien, c’est malheureux. Si les Français étaient un peu moins rigides, ils tâcheraient de se parler et de s’entendre pour que ça marche mieux.

Et quant aux journalistes, avant d’écrire sur le privilège des intermittents du spectacle, qu’ils songent un peu à leur propre privilège fiscal, tout aussi mal fondé – sans parler des énormes aides publiques accordées à la presse. Il faut croire que c’est une bonne affaire pour les gouvernements que de se mettre dans la poche les journalistes et les gens de la culture, aisément transformables en serviteurs de la propagande. Show must go on. Mais à force de servir, le spectacle s’use et va vers sa fin.