Y être

 

Échec et réussite sont des concepts humains, des concepts d’humains limités. Vouloir réussir, voilà ce qui conduit à l’échec. L’échec n’existe que dans la perspective de la réussite. Je l’ai déjà dit dans Voyage mais il faut le répéter, en Dieu il n’est ni échec ni réussite. Dieu crée et procède, et ce « procès » est tout à la fois jugement, application du jugement, et renouvellement de la création.

Qui est en Dieu ne connaît pas l’échec. Qui est en Dieu avance, sûr du but, quel que soit le chemin qu’il faut suivre. Qui est en Dieu aime le chemin, qui est lui-même Dieu en train d’être.

Ayez confiance, ayez foi, ne cherchez pas à maîtriser ce qui ne peut être maîtrisé, ne cherchez pas à contester ceci ou cela de ce qui ne peut être contesté, ne faites pas tout cela qui ne fait que vous retarder ou vous faire tomber sur les bas-côtés, soyez soumis à la Voie, tout à la fois en vous y laissant porter et en suivant son mouvement. Alors vous Y serez.

 

Trinité et Résurrection

 

Au commencement était le Verbe (Jn 1,1). Or le verbe se conjugue en trois personnes : je, tu, il. Trois personnes distinctes pour un seul verbe. La conjugaison est conjugale, elle fait signe d’amour et d’union ou de mouvement vers l’union. Sans amour, pas de reconnaissance de l’autre, donc pas de tu ni de il, et même pas de je, car je n’est que pour parler à l’autre. Je n’est que par le verbe, qui demande un sujet.

Dire je, vivre je, c’est reconnaître tu et il. Je, la première personne, comprend le tu et le il, à tous les sens de comprendre. S’il y a un père, c’est qu’il y a un fils. (Bien sûr toutes les personnes peuvent être soit masculines, soit féminines). S’il y a un fils, c’est qu’il y a un père. (Si je suis mère, c’est parce que j’ai un fils ou une fille, mais c’est aussi parce que je suis fille). S’il y a un je et un tu, ce tu est aussi un je, et nécessairement pour moi un il, de même que si je suis un tu pour un autre je, je suis aussi nécessairement pour lui un il. S’il y a un rapport, il y a nécessairement une distance. S’il y a un je et un il, ce il est appelé à devenir un tu. S’il y a une distance, elle est un appel au rapport, par cela même elle est déjà rapport, quoique encore inaccompli.

En vérité l’évangile de Jean dit : en archè, soit : dans le commencement.

Et le premier mot de la Bible, berechit, dit : dans le commencement.

Et le premier mot du Coran, bismillah, dit : dans le nom de Dieu.

Qu’est-ce que ce dans ? À la fois chacune des trois personnes du verbe, et leur rapport. Ce dans est l’espace de l’Esprit, le lieu où tout cela se produit. Si je suis Fils de l’homme, ainsi que se dénomme lui-même Jésus, si je suis incarné, donc si je est, il est nécessairement dans l’Esprit, et donc dans l’espace de Dieu, le Dieu unique, en qui est tout ce qui est, en qui sont toutes les personnes du verbe, qui sont trois.

Tout homme naît fils de l’homme, et donc, nous le voyons, fils de Dieu, parce qu’il naît d’un appel de Dieu. Mais ses manquements au rapport le font déchoir de l’espace de Dieu. Il n’est plus dans, il est hors de cet espace originel, le Paradis. Jésus, Fils dans l’absolu, accomplissant le rapport perdu jusqu’en son extrême conséquence, le restaure pour tous, comme Royaume où nous sommes attendus, appelés au rapport, aussi appelé Jour du Jugement dernier. La Résurrection est l’œuvre de ce rapport.

 

Sous un autre jour

 

Dans le mot grec proseuchè, qui signifie prière, nous entendons :

pros : qui signifie face à (c’est aussi le préfixe de prosternation)

eu : qui signifie bien, bon

chéo : qui signifie verser, répandre

Ainsi est-il possible d’entendre dans la relation des trois syllabes de ce mot tout à la fois l’attitude de l’orant et celle de Dieu. Ainsi en est-il de l’attitude des derviches tourneurs, qui lors de leur prière dansée, bras en croix (et la tête couverte d’une coiffe signifiant la mort de l’ego), tiennent une main tournée vers le ciel pour recevoir la grâce qui en descend, l’autre tournée vers la terre pour l’y reverser. (C’est aussi l’attitude de l’arbre qui fait la couverture de Voyage).

Le bienheureux Charles de Foucauld écrivit en 1901 : « L’Islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines ». J’ignorais quasiment tout de lui lorsque, « par hasard », j’allai un jour à Tamanrasset, et au désert – où je le compris d’un coup, tant cet endroit, avec ses habitants, sédentaires et nomades, me captura d’amour : Dieu Y est.

Ce père du désert écrivit aussi : « Avoir vraiment la foi, la foi qui inspire toutes les actions, cette foi au surnaturel qui dépouille le monde de son masque et montre Dieu en toutes choses ; qui fait disparaître toute impossibilité ; qui fait que ces mots d’inquiétude, de péril, de crainte, n’ont plus de sens ; qui fait marcher dans la vie avec un calme, une paix, une joie profonde, comme un enfant à la main de sa mère ; qui établit l’âme dans un détachement si absolu de toutes les choses sensibles dont elle voit clairement le néant et la puérilité ; qui donne une telle confiance dans la prière, la confiance de l’enfant demandant une chose juste à son père ; cette foi qui nous montre que, « hors faire ce qui est agréable à Dieu, tout est mensonge » ; cette foi qui fait voir tout sous un autre jour … »

 

Salves et bondissements

 

Réveillée avec une salve d’idées nouvelles pour la sortie de Voyage. Oui, je fais toutes choses nouvelles.

Ne croyez pas ce qu’on vous dit, que « nous sommes des pauvres gens », condamnés au péché. La voie de la libération est ouverte.

Le problème de notre monde c’est la perte de l’universalisme de l’homme, qui s’accompagne de la perte de son éternité. La spécialisation des tâches et des études accroît l’efficacité, mais vient un point où l’homme se retrouve au fond de l’impasse. Nous devons retrouver la voie de notre propre universalité, en goûtant notre humilité dans l’accomplissement des tâches humbles (au lieu de les déléguer) autant que dans celui des grandes missions. La voie qui donne et requiert celle de savoir prendre son temps, et d’en être en retour gratifié par Dieu à l’infini pour un.

Car plus, en allant humblement et lentement, on se rapproche de Dieu, plus on va vite dans les siècles des siècles. Tout en bondissant, à la fin qui est aussi à chaque instant, par-delà les siècles. Embrassant tout le temps.