Tadeusz Kantor dans La classe morte
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« Le SPECTACLE est devenu pour eux la vie nouvelle.
Mais au cours du spectacle, les liens, l’intimité, les relations,
les différences ont commencé à naître entre ces individus.
Les silhouettes formées par la vie, connues seulement d’eux et pas
toujours nobles, ont commencé à apparaître, telles des ombres
brumeuses.
Ainsi doucement, au cours du spectacle, tout a commencé à trouver sa
justification à travers la fable, à devenir manifestations culturelles de la vie,
à quitter ce lieu où devait naître une œuvre d’art parfaite
et achevée – Création humaine athée et hérétique
et non reproduction sacrée de la nature.
Il faut donc à nouveau les rendre ÉTRANGERS. Leur reprendre ces
apparences de fable et de vie.
Leur faire subir la honte. Les dénuder. Égaliser comme dans la scène
du Jugement dernier. Pire. Parvenir à cette sphère la plus
infamante. Comme les cadavres dans l’ossuaire.
Personne d’autre que la Femme de ménage-Mort ne peut se charger
de cette opération sans concession, mais indispensable.
La Femme de ménage exerce ses fonctions en professionnelle
et avec intransigeance. Elle rapporte le seau et la serpillière.
Elle lave les corps, essore la serpillière, l’eau sale coule à terre,
Déshabillage des corps, lavage de leurs parties intimes, les cuisses, le ventre,
les fesses, les pieds, les talons, le visage, entre les doigts, dans les trous
du nez, dans les oreilles, dans les aines, lancement brutal et sans cérémonie
retournement des corps.
Martèlement rythmique permanent des boules dans le berceau.
Le pauvre berceau bricolé qui ressemble à un petit cercueil se balance de façon monotone
sans cesse, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre,
aucune affectation maternelle dans cette lugubre
boîte remuée par l’engrenage du mécanisme. Au lieu du gazouillement
du bébé, le martèlement sec des boules de bois mortes,
retentissant sur les planches du cercueil.
L’ossuaire.
Avec une terrible indifférence, de manière minutieuse et systématique
La Femme de ménage accomplit le lavement rituel des cadavres. »
Tadeusz Kantor, in Denis Bablet, Les voies de la création théâtrale, T. Kantor, Éditions du CNRS 1983
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