C’est une sorte de sacrifice à l’envers. Le sacrifice est quelque chose qu’on donne en échange d’autre chose qu’on espère avoir en retour. Mon tatouage, c’est quelque chose que je donne en compensation de quelque chose que j’ai perdu, mon sein (reconstruit après cancer et mastectomie). Et ça marche très très bien. Mentalement. Une grande joie, vraiment, comme d’être de nouveau habitée dans cet endroit de la maison de mon corps qui était venu à manquer de vie. Maintenant, le tatouage lui redonne une autre vie, et redonne une autre vie à tout mon corps et mon esprit.
Cet été, quand nous serons revenus de trek, O et moi, je ferai faire la couleur. Les couleurs. Elles sont belles, ma tatoueuse est une vraie artiste, et elle a aussi bien compris ce que je voulais, d’après la petite chouette d’Athéna que j’avais dessinée au feutre et que je lui avais envoyée (alors que je suis en train de traduire l’Odyssée). Il faut environ un mois entre le tracé et la couleur, le temps que le tracé cicatrise complètement, puis j’imagine qu’il faudra de nouveau un mois pour que la couleur cicatrise complètement aussi. Durant ce mois, pas de bains de mer ni de piscine, pas de soleil non plus mais ce n’est pas grave et ça vaut vraiment la peine.Hier j’étais si contente quand nous avons terminé cette première séance que je me suis mise à danser du buste, assise sur la table d’opération, sur la musique qui passait à la radio. Manuella a filmé quelques secondes et m’a montré, j’ai dit « oui, elle bouge, elle vit sa vie, cette chouette ». Ce salon de tatouage, « Le gamin à dix doigts », est très beau et très agréable et Manuella Ana excellente et bien accordée à ce que je cherchais, notamment comme coloriste. Importance de bien choisir l’artiste qui va vous tatouer le plus possible en harmonie avec ce que vous désirez. Chaque tatoué·e a ses raisons de désirer son ou ses tatouages, et je suis sûre qu’elles sont toujours profondes, aussi profondes que d’avoir à compenser la perte d’un sein même si elles ne sont pas aussi spectaculaires. Et le fait que de plus en plus de personnes se fassent tatouer indique quelque chose de notre époque – quoique le tatouage soit à peu près aussi vieux et aussi répandu que l’humanité, il n’est pas en vogue partout ni de tout temps de la même façon.
L’humanité sans doute a un besoin spécial de s’écrire, en ce moment. J’aurais pu incorporer cette question du tatouage dans ma thèse, qui s’interrogeait sur le fait d’écrire. C’est une question complexe à penser, pour l’instant j’essaie du moins de l’observer, à l’œuvre dans ma propre expérience.