Oui à l’harmonie interconfessionnelle, par le Grand mufti d’Égypte Ali Gomaa

 

Le début d’une nouvelle année nous donne l’occasion d’engager une sérieuse introspection, pour tenir compte de nous-mêmes et des communautés dans lesquelles nous vivons. C’est un besoin particulièrement pressant dans le contexte de l’Égypte contemporaine, qui continue de traverser une période sensible de transition. Les événements de l’année passée, et même des deux dernières années, soulignent l’absolue nécessité de maintenir l’unité nationale dans notre pays bien-aimé. D’âpres débats politiques ne doivent pas nous détourner de cet impératif primordial.

Peut-être la question la plus importante qui doit être abordée en Égypte aujourd’hui est-elle la promotion de l’harmonie interreligieuse. Ce n’est pas un secret que nos frères et sœurs chrétiens ont eu parfois à se sentir mal à l’aise, dans une période instable. C’est pourquoi j’ai fait un effort particulier, durant cette période de Noël, pour féliciter publiquement toutes les églises chrétiennes d’Égypte pendant leurs jours de fête. Dans un communiqué, j’ai prié pour que l’esprit des fêtes religieuses prévale, et que tous les citoyens du pays – de fait, tous les citoyens du monde – renforcent leur détermination à œuvrer pour la propagation de l’amour, de la paix sur Terre, de la bonne volonté et de la fraternité de tous.

J’ai aussi profité de l’occasion pour préciser que le fait de présenter des vœux aux chrétiens pour la naissance du Prophète Jésus (la paix soit sur lui) est en vérité une action louable et encouragée dans l’Islam, car c’est l’expression verbale d’un désir de promouvoir des relations pacifiques et harmonieuses entre voisins, concitoyens et frères et sœurs en humanité. En effet, les naissances des prophètes sont des événements historiques marquants. Elles représentent une soudaine floraison d’hommes divinement inspirés, qui viennent sur Terre précher la paix et la sécurité, et répandre un message de bonheur et de guidance à l’humanité dans son ensemble. Ainsi que je l’ai prié à l’occasion de Noël, « j’implore Dieu d’augmenter notre précieuse Égypte en sentiment fraternel, amour, relations solides et bonté, et de garder notre terre bénie comme un symbole de paix et de sécurité à jamais. »

Puis j’ai souligné l’importance pour tous les citoyens de prendre part aux occasions de fête les uns des autres en leur présentant leurs vœux et en les félicitant, car nous sommes aujourd’hui dans un besoin urgent de répandre des sentiments de fraternité et d’unité nationale, et de lutte contre les divisions. Musulmans et chrétiens sont pareillement encouragés à transformer des sentiments de solidarité en une vraie unité dans la recherche du bien-être pour l’Égypte, et non dans des buts d’avancement individuel ou d’intérêt sectaire. Il est crucial que nous puissions laisser aux futures générations une culture pluraliste et humaine, fondée sur la vraie foi, un engagement pour la justice et l’amour entre les peuples de ce grand pays.

 

 

La crainte de la division est aussi ce qui doit nous inciter à rejeter les appels à imiter d’autres sociétés et cultures. Récemment, il y a eu des appels à instituer un comité pour la « promotion de la vertu et la prévention du vice ». Certains craignent que cela ne revienne à un peu plus qu’une police morale, qui exerce une autorité illégitime pour forcer les gens à adopter les comportements qu’ils ont estimé les plus appropriés. Mais l’Égypte est une société complexe. Ici rivalisent différentes visions de la religion et de la vie bonne. Alors que bien sûr nous respectons les limites de notre culture et de notre héritage, c’est précisément notre héritage qui reconnaît cela [le comité de promotion de la vertu…] comme une imposition étrangère sur notre culture et notre mode de vie. Cette sorte d’idée idiote est de celles qui cherchent à déstabiliser plus encore ce qui est déjà une situation tendue. Les savants religieux d’Égypte ont longtemps guidé les gens dans les voies conformes à leurs engagements religieux, mais n’ont jamais estimé que cela nécessitait quelque type que ce soit de police invasive.

En outre, ces savants auto-proclamés et amateurs non formés qui prétendent émettre des fatwas, ne doivent pas être considérés comme des savants authentiques. Leurs fatwas sont plutôt des déclarations non fondées sur la science, mais sur leurs caprices et désirs ; et elles n’ont aucun poids dans la science juridique de la fatwa. C’est un abus de langage d’employer le terme fatwa pour ces opinions non savantes, qui vont à l’encontre à la fois des principes de la Sharia et de la science établie de fatwas, qui toutes deux insistent sur les qualifications académiques des mufti impliqués.

La tradition religieuse de l’Égypte est ancrée dans une vision modérée et tolérante de l’Islam. Nous croyons que la loi islamique garantit la liberté de conscience et d’expression, dans les limites de la décence ordinaire et de l’égalité des droits pour les femmes. Et en tant que représentant pour l’Égypte de la jurisprudence islamique, je maintiens que l’établissement religieux est attaché à ces valeurs.

Le paradigme de ces sages érudits est au mieux représenté par l’Université Al-Azhar, dont la tradition humaine d’apprentissage et de service demeure la seule sauvegarde pour une Égypte tolérante et modérée.

La promotion de l’harmonie fut la première leçon des grands prophètes qui nous ont laissé de nobles valeurs et des principes pérennes pour vivre ensemble dans la coopération, en tant qu’êtres humains. C’est maintenant à nous de prendre cet exemple au sérieux et de nous abstenir de l’inutile division, pour le bien de notre pays. Toute tentative de semer la discorde entre les gens de ce pays doit être combattue dans les termes les plus fermes possible. Je n’ai aucun doute que les forces qui  cherchent à diviser les Musulmans égyptiens et les Chrétiens égyptiens – et les Musulmans et Chrétiens égyptiens entre eux – finiront par échouer. L’Égypte a été un symbole de coexistence pendant des siècles, et continuera à l’être, par la grâce de Dieu. L’Islam aura une place dans la démocratie égyptienne. Mais ce sera comme pilier de tolérance et d’harmonie, jamais comme moyen d’oppression.

traduit d’un article paru sur Reuters le 8 janvier 2013

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