Aux quinzième et seizième siècle, Joachim de Flore inspire toujours, de près ou de loin, une multitude de mouvements millénaristes, sectes terroristes, hérétiques divers, catholiques kabbalistes, mais aussi des chercheurs plus profonds.
Nicolas de Cuse, par exemple, « professait que l’Église, corps du Christ, devait reproduire dans son histoire toutes les phases de la vie du Christ : après les misères présentes et les horreurs du temps de l’Antichrist, on devait donc attendre une période meilleure, correspondant aux quarante jours de la Résurrection à l’Ascension. Une porte était ainsi ouverte à un espoir même terrestre. » (p.171)
Et même, selon M.G. Scholem, « les trois âges cosmiques et trinitaires de Joachim de Flore ont retenti sur la doctrine des Shephiroth du Zohar ». (p.172)
Lubac décrit à l’époque de la Renaissance un « Humanisme italien célébrant la renovatio du monde, annonce d’un « siècle d’or », fièvre apocalyptique exigeant de réaliser la société idéale par les voies de fait, imagination des diverses « Utopies », exégèse ésotérique s’appliquant à découvrir la promesse d’une réconciliation des religions pour la naissance d’une humanité nouvelle, etc., il est rare qu’en tout cela… on ne rencontre pas l’ombre du calabrais [Joachim], mêlée aux nouveautés de la Kabbale, de l’hermétisme ou de l’alchimie. » (p.174)
La Réforme aussi eut à se réclamer de Joachim. « Dès le début de la « tragédie luthérienne », Joachim de Flore a été désigné, avec saint Bernard et quelques autres, comme l’un de ses initiateurs ». (p.174) Mais « il s’agit bien plutôt de deux mouvements de sens inverse : tandis que Joachim se tendait vers un dépassement dans l’avenir, les Réformateurs veulent un retour aux origines. » (p.175)
Contre le capitaine de l’une des sectes « des Libertins qui se nomment spirituels », eux aussi plus ou moins inspirés de joachimisme, Calvin écrit non sans drôlerie : « Au lieu que sainct Paul nous admoneste de vivre sainctement…, ce malheureux tasche d’embabouiner les simples, pour les attirer à sa spiritualité infernalle, qui est de constituer toute leur perfection à ne rien trouver mauvais ». (p.188)
Mais la plus belle postérité de Joachim de Flore ne s’incarne-t-elle pas dans le désir d’aborder au Nouveau Monde ?
« Colomb était l’ami des Franciscains, et les Franciscains partirent nombreux pour évangéliser le nouveau monde. Le courant « spirituel », mêlé dès son origine au joachimisme, connaissait alors chez eux, en Espagne, un puissant renouveau (…) L’enthousiasme de l’épopée missionnaire aux Indes occidentales provoqua l’explosion d’un néo-joachimisme tout à fait original, qui ne se fondait pas sur l’explication de l’Apocalypse mais qui reliait l’obsession de la fin du monde à la découverte du « nouveau monde » et à sa conversion.