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À vingt ans, dans la maison sur la dune, aux pieds de l’océan, des semaines durant je construisis minutieusement, en bois, puis peignis et équipai de voiles, l’une des trois caravelles dans lesquelles Christophe Colomb aborda le Nouveau Monde. Elle devait faire une trentaine de centimètres, j’aimais beaucoup faire de mes doigts des choses toutes petites, voire minuscules – des pliages en papier, de la dentelle au crochet extrêmement fine… toutes choses faisant ressentir l’immensité de l’univers dans sa fractalisation. Pour exercer ma sensibilité je fermais les yeux et parcourais de l’index les grilles de mots croisés dans les journaux afin d’identifier, au toucher, les cases noires. Et je marchais sans me lasser le long de la plage sans fin, les pieds sur le sable mouillé. En ce temps-là j’étais avec un nouveau-né, l’aîné de mes quatre fils. Je vivais dans un grand dénuement, absolument bienheureuse. Comme lorsque, enfants, mes frères et moi, preux chevaliers aux épées de bois faites de nos mains, courions à travers les hautes herbes du pré de monsieur Dieu, notre voisin, nous retrouvant pour faire le point sur nos aventures au creux du château fort qu’était le vieux hangar vide au bout du terrain. Comme, plus tard, je trouvai partout le paradis, du balcon du HLM d’où je contemplais les oiseaux à la montagne où j’eus ma grange. Voilà la joie que je veux rendre aux hommes, la joie des pauvres, voilà la joie des Pèlerins, qui n’ont rien et ne manquent de rien, puisqu’ils ont tout en Sa béatitude. Irénée le bien-nommé l’a dit, la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Traversons les apparences, un autre monde nous attend.
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