Artaud dans La passion de Jeanne d’Arc, de Dreyer
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« Et qu’est-ce qu’un aliéné authentique ?
C’est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l’entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain.
C’est ainsi que la société a fait étrangler dans ses asiles tous ceux dont elle a voulu se débarrasser ou se défendre, comme ayant refusé de se rendre avec elle complices de certaines hautes saletés.
Car un aliéné est aussi un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités. »
« Et cela se passa avec Van Gogh comme cela se passe toujours d’habitude, à l’occasion d’une partouse, d’une messe, d’une absoute, ou de tel autre rite de consécration, de possession, de succubation ou d’incubation.
Elle s’introduisit donc dans son corps,
cette société
absoute,
consacrée,
sanctifiée
et possédée,
effaça en lui la conscience surnaturelle qu’il venait de prendre, et telle une inondation de corbeaux noirs dans les fibres de son arbre interne,
le submergea d’un dernier ressaut,
et, prenant sa place,
le tua.
Car c’est la logique anatomique de l’homme moderne, de n’avoir jamais pu vivre, ni penser vivre, qu’en possédé. »
Ainsi parlait Antonin Artaud, en 1947, dans Van Gogh le suicidé de la société. Artaud qui avait écrit en 1925 une « Adresse au Pape » où l’on pouvait lire notamment :
« Du haut en bas de ta mascarade romaine ce qui triomphe c’est la haine des vérités immédiates de l’âme, de ces flammes qui brûlent à même l’esprit. (…) Nous ne sommes pas au monde. O Pape confiné dans le monde, ni la terre, ni Dieu ne parlent par toi. »
Vingt-et-un ans plus tard, en 1946, il réécrivait son « Adresse au Pape », qu’il nous semble également judicieux de citer dans notre travail sur l’un de ces lieux d’enfermement dont la chrétienté et l’Église, nous l’avons vu, sont à l’origine.
« Or j’ai été arrêté, emprisonné, interné et empoisonné de septembre 1937 à mai 1946 exactement pour les raisons pour lesquelles j’ai été arrêté, flagellé, crucifié et jeté dans un tas de fumier à Jérusalem il y a un peu plus de deux mille ans.
Il y a dirai-je d’ailleurs beaucoup plus de deux mille ans.
Car ce chiffre de deux mille ans représente les 2000 ans de vie historique écoulés depuis la mort du crucifié du Golgotha jusqu’à aujourd’hui. Historique, c’est-à-dire officiellement recueillis, repérés et inventoriés. Car en fait le temps ce jour-là a fait faire aux choses un saut terrible, et je me souviens parfaitement bien, Pie XII, que sorti du tas de fumier où j’avais séjourné trois jours et demi dans l’attente de me sentir mort pour me décider à me lever, non tellement le souvenir de la douleur, mais celui de l’obscène insulte d’avoir été déshabillé publiquement puis flagellé sur l’ordre spécial des prêtres, celui des gifles, des coups de poing sur la face, et des coups de barre dans le dos venus de l’anonyme populace qui sans autre raison avouable ne me haïssait que parce que j’étais Antonin Artaud (et c’était mon nom il y a deux mille ans comme aujourd’hui), l’épouvantable mémoire donc de tant de mains abjectes battant ma face, qui les ignorait et ne leur avait rien fait, me donna un tel haut-le-cœur, que je sentis en éclater, physiquement en éclater ma poitrine, et l’histoire n’a pas conservé la mémoire de la période funèbre qui a suivi.
Or j’ai été empoisonné à mort de 1937 à 1940, sur l’ordre aussi bien de la sûreté générale française, que de l’intelligence service, que du guépéou, que de la police du vatican. »
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à suivre