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À partir de 1659, La Pitié est dédiée à l’enfermement des petits garçons, et d’autre part des « femmes de mauvaise vie ». La Salpêtrière « accueille » quant à elle des femmes et des petites filles. En 1684, sous le « roi soleil », y est construite une véritable prison. Chaque année deux mille femmes y sont internées. Parmi ces prisonnières, beaucoup sont mariées de force, et déportées en vue de peupler les colonies du Québec, de la Louisiane et des Antilles.
« Dès les débuts de l’Hôpital Général, des locaux spéciaux avaient été prévus à la Salpêtrière pour les insensées, puis, à la fin du XVIIème siècle, on avait construit les premières « loges » pour les épileptiques et les aliénées. Il s’agissait de cellules fermées par une grille de fer, dotée d’un banc de pierre et munies de chaînes auxquelles on entravait les malades. Celles qui étaient particulièrement violentes et agitées avaient droit à de véritables cachots souterrains où elles étaient enchaînées, souvent toutes nues, et où elles recevaient la visite des rats qui, parfois leur rongeaient les pieds – sans compter les méfaits des gels hivernaux et des inondations de la Seine. » Paul-André Bellier, Revue d’histoire de la pharmacie, vol 80 (1992).
Les détenues étaient rouées de coups et souffraient de malnutrition. Contraintes à des travaux forcés, maltraitées au point que chaque année, sur environ six mille internées, cinq à six cents mouraient à la Salpêtrière, elles étaient cependant, pour leur salut, conduites de force, chaque matin à l’aube, à la messe en l’église Saint-Louis. L’autel se trouvait au centre de la rotonde, chœur visible des quatre chapelles et des quatre nefs où étaient réparties les différentes catégories de personnes internées. Ainsi l’enfermement et la surveillance panoptiques des internées se retrouvaient-ils inexorablement, et indépendamment de la volonté humaine, incarnés par cette disposition où, dans une inversion de la figure éclatait la vérité de la situation : dans l’iniquité et les souffrances faites à ces femmes, dans ce déni de leur humanité, c’était le Christ qu’au nom du Roi et au nom du Christ – plus tard au nom de l’État et de la Science – on torturait et assassinait.
En cet automne 2013, à l’occasion d’un hommage à Charcot, un des vétérans du réseau fera à la Pitié-Salpêtrière une communication intitulée : Faire l’amour avec Dieu. Sur l’autel une femme d’aujourd’hui, enfermée socialement pour son insoumission au système, sera une fois de plus exhibée devant la bonne société de son temps. Cependant la bonne société meurt et le Ressuscité vit.
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à suivre