« L’épicerie d’art », boulevard Saint-Marcel, photo Alina Reyes
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« Je puis dire, moi, vraiment, que je ne suis pas au monde, et ce n’est pas une simple attitude d’esprit. » Antonin Artaud, Correspondance avec Jacques Rivière
Ce constat à résonance évangélique – « je ne suis pas du monde », dit Jésus selon Jean – écho également de Rimbaud en sa Saison en enfer – « nous ne sommes pas au monde » -, porteur de nuances diverses selon les locuteurs et les situations, dit de toutes façons une non-appartenance au monde, qu’elle soit originelle et assumée ou comme accidentelle et désespérée. Pour Jésus il s’agit de replacer ses disciples, comme lui-même, dans la Vérité, dont ils doivent renaître. Pour Rimbaud, il s’agit d’une dérive poétique et existentialiste. Pour Artaud, il s’agit, dit-il dans la même lettre à Rivière, d’ « une inapplication à la vie », d’ « une maladie qui touche à l’essence de l’être », et dont il travaille à extraire une pensée.
Antonin Artaud, comme Arthur Rimbaud, comme Jésus de Nazareth, comme tous les prophètes, sont fondamentalement des errants, des « fils de l’homme n’ayant pas où reposer leur tête », comme le dit de lui-même le Christ. L’homme qui est au monde vit dans l’éternelle répétition et capitalisation de lui-même. Ce qu’il vit, il le revit, ce qu’il fait, il le refait, d’un bout à l’autre de son existence, avec des variations qui ne sont que de surface. Sa vie repose sur l’oreiller qu’il s’est fait, qui lui a été plus ou moins fourni par le monde quand il est arrivé au monde et qu’il continue à rembourrer et à entretenir par sa vie cumulative, cumulative de mort. Or seuls ceux qui ont leurs racines au ciel, et non pas dans le monde, sont quittes de l’aliénation de l’homme au monde, et reçoivent du ciel l’autre sève, la source vive que les hommes qui sont au monde ne cessent de vouloir enterrer, par peur de se voir eux-mêmes déterrés, démasqués, avec leurs chaînes au cou et aux chevilles.
Tout poésie n’est pas libératrice, loin de là. Cherchez les libérateurs, ceux qui vous renversent comme Paul fut renversé de son (hypothétique) cheval.
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