Chaque fois que je trouve un cèpe, mon cœur bondit. Je lui souris, je lui parle. Je le coupe avec amour, je le porte à mon grand nez pour humer son odeur exquise et puissante, je le porte à mes lèvres pour les poser sur son chapeau ferme, tendre et doux, je lui donne un baiser, je le regarde, je lui dis qu’il est beau.
De retour à la maison, je prépare les plus petits, ceux qui sont en bouchon, pour les déguster crus. Je les nettoie doucement avec un chiffon de tissu ou de papier humide, je les fends en deux. Si leur chair est indemne, blanche, exempte de tout parasite, je la coupe en lamelles, l’arrose de jus de citron et d’huile d’olive, ajoute un peu de sel, éventuellement du poivre, de la ciboulette, mais alors en très petite quantité, pour laisser se déployer le goût et le parfum sauvages du champignon.
Retrouver dans la bouche ses caractéristiques puissantes, alliées à la structure fine, légère, aérienne des lamelles, c’est manger la forêt et le ciel réunis, célébrer les noces de la terre et de l’air.
Les cèpes plus gros sont nettoyés et émincés de la même manière.
Si la récolte est abondante, j’en fais sécher une partie. Je fais ça à ma façon : je mets des feuilles de papier au fond d’un ou deux plateaux, et j’aligne dessus les lamelles de champignons. Je laisse sécher au soleil, plusieurs jours durant.
S’il se met à pleuvoir, je rentre les plateaux dans la grange. Très vite une odeur si forte se répand qu’on a l’impression de vivre à même le sous-bois, entre les troncs et les feuilles mortes. Dès que le soleil revient, je les remets dehors.
Dans les premières heures on voit les vers, fort marris, sortir de leur trou et s’en aller en gondolant, tout blancs sur le papier blanc. Certains s’échappent du plateau et finissent je ne sais où ni comment, d’autres sèchent en même temps que leur demeure et nourriture.
Une fois que tout ceci a pris la consistance du papier, je peux ranger les lamelles de champignons dans une boîte en fer ; les bestioles, elles, auront pour sépulture les pages que je froisse autour de leurs minuscules dépouilles, avant de m’en servir pour allumer le feu dans la cheminée.
Les cèpes trop véreux, je les rejette dans la forêt – qu’ils y reposent en paix ! Pour ceux qui le sont un peu et que je veux faire cuire tout de suite, j’essaie de les débarrasser d’abord de leurs habitants. Il en reste toujours un peu, tant pis, ils apporteront leurs protéines dans le plat… Je les fais sauter à la poêle, pas trop longtemps et sans trop de condiments.
Comme je ne descends pas souvent au village, les jours où j’ai seulement des œufs au frigo, je monte un moment dans la forêt, juste pour trouver de quoi garnir une omelette.
Si des amis se présentent à l’improviste, comme je suis heureuse de les voir et de les inviter à ma table, et comme, d’un autre côté, je suis aussi sauvage qu’un cèpe ou qu’une fraise des bois, je concilie les plaisirs de la solitude et ceux de l’hospitalité en partant aussitôt, tandis qu’ils prennent un verre à la maison, arpenter les bois et cueillir en leur honneur baies, champignons et herbes.
Les cèpes, comme on le sait, accompagnent merveilleusement les viandes et entrent dans toutes sortes de préparations.
Mon ami Antoine m’a donné sa recette pour le risotto : une partie des cèpes est lentement réduite en compote avec un peu de bouillon ; une autre, plutôt les pieds, est cuite avec le riz selon la délicate méthode habituelle ; la troisième, poêlée. On sert le risotto dans l’assiette, surmonté de la compote et des cèpes frits : une merveille !
Quand il y a du monde à la maison, pour un repas sur le pouce, je fais des quiches ou des cakes aux cèpes poêlés, un luxe tout simple qui se mange avec les doigts.
Si j’en cueille beaucoup pendant l’été, pour garder jusqu’à Noël je fais aussi quelques pots de cèpes cuits dans l’huile d’olive. Je remplis jusqu’en haut de champignons (choisis fermes et sains) et d’huile, je ferme le couvercle quand ils sont encore tout chauds, puis je les range simplement au frais. Quand on ouvre le pot, on dirait qu’ils viennent d’être fraîchement cueillis et préparés. Une réserve de joie d’été pour les jours gris de novembre et décembre.
Les cèpes séchés sont parfaits pour les cuissons en sauce, je les trouve bien plus parfumés que les cèpes conservés dans l’eau. On peut aussi les utiliser pour des veloutés, avec une pointe de curry, une carotte et un peu d’oignon, ça titille les papilles !
…
extrait de Cueillettes. Bonne cueillette si vous pouvez, bon appétit !