Calasso, les désespéreurs et le mal-être

J’ai trouvé sur le site de la FNAC cette merveilleuse critique du dernier livre de Roberto Calasso, en voici la capture d’écran :

Puis j’ai lu les vingt premières pages du livre en ligne. L’innommable actuel est en quelque sorte le nom donné par Calasso au diable, dont Internet ferait partie, mais tant pis, je l’utilise volontiers – utiliser le diable contre lui-même est une façon de réduire sa nuisance. Dans ces vingt premières pages, le terrorisme islamique, comme il dit, est le grand souci de l’auteur. J’ignore s’il parle ensuite des autres maux du monde actuel, mais peu importe, il est bien en droit de se concentrer sur celui-ci et sur Internet, qu’il y associe. Ce que je sais, c’est que je n’achèterai pas son livre. Parce que l’un des maux que je rejette en ce monde, il le pratique : la désespérance de l’humain.

Plus précisément, Calasso comme tant d’autres intellectuels vivant très confortablement en ce monde, bourgeois ayant bénéficié et continuant à bénéficier, pour ceux qui sont encore vivants (Calasso est mort), de tous les avantages du monde d’hier et du monde actuel, des privilégiés à tous égards, ne manquant de rien, menant une vie aisée, à l’abri de tout besoin matériel, couverts de reconnaissance voire d’honneurs, plus précisément donc, Calasso s’emploie à désespérer tous les Neuilly et tous les Saint-Germain-des-Prés du monde. Tandis que d’autres de ses confrères, notamment universitaires, tout aussi bon bourgeois jouissant sans entraves du monde actuel, s’emploient à désespérer les amphis, laissant désormais aux populistes le soin de désespérer les ex-Billancourt et leurs ex-patrons.

Tous ces propres-sur-eux, dotés de capacités intellectuelles qu’ils ont pu faire fructifier grâce à ce monde qu’ils s’emploient tant à critiquer, et à seulement critiquer, essaient sans doute de se racheter de leurs privilèges en se faisant les hérauts du désastre et de la mort. Mais le désastre qu’ils entendent dénoncer, ils y participent en salissant le monde de leur regard. Ne dépeindre que les faces sombres du monde, sans jamais montrer aussi sa beauté, ses lumières, c’est faire le même jeu que les populistes qui s’emploient à désespérer aussi les populations, voire que les aveugles terroristes. Il y a un fossé entre les activistes, les intellectuels ou les simples citoyens qui combattent le mal pied à pied, au quotidien et en faisant preuve de volonté de vivre et d’amour de la vie, et ceux qui ne font que ressasser, brillamment ou pas, leur haine. Sans beauté et sans amour, le discours, tout discours, n’est qu’une nuisance de plus – et de taille.

Sans doute beaucoup d’humains dont la vie est trop aisée, ou bien trop inconsistante, éprouvent-ils le besoin de se torturer pour se sentir exister. Ne perdons pas de vue leur motif, ni le fait que se torturer c’est aussi torturer autrui, et ne nous laissons pas avoir par leur mal-être.

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