Le Déluge, Le lâcher de la colombe, par Gustave Doré
*
Dans la onzième tablette de l’Épopée de Gilgamesh, l’un des tout premiers écrits de l’humanité, datant du dix-huitième siècle avant notre ère, le déluge est raconté de façon admirablement spirituelle, poétique et humaine. Gilgamesh s’entretient avec l’immortel Um-Napishtim dans une proximité touchante, et ce dernier lui révèle le mystère du déluge. Quand les dieux le décidèrent, Ea le sage était présent.
Ea répéta leurs paroles à une hutte de roseaux :
« Hutte de roseaux, hutte de roseaux,
Et toi, mur, et toi, mur
Écoute-moi bien, hutte de roseaux
Comprends bien, mur ! »
Puis Ea prévient le narrateur de faire de sa maison un bateau pour sauver sa famille et tout ce qui vit. Les instructions pour la construction de l’arche, le détail de sa construction sont donnés précisément, comme ils le seront beaucoup plus tard dans la Bible. Une fois l’arche achevée, l’homme, qui parle à la première personne, y embarque toute sa famille et sa parenté, tous les artisans, ainsi que toutes les espèces vivantes. Puis le déluge se déchaîne.
Le septième jour
Les tempêtes du déluge
Qui telle une armée
Avaient tout massacré sur leur passage
Diminuèrent d’intensité.
La mer se calma, le vent s’apaisa,
La clameur du déluge se tut.
Je regardais le ciel, le silence régnait
Je vis les hommes redevenus argile
Les eaux étales formaient un toit.
J’ouvris une petite fenêtre
La lumière tomba sur mon visage
Je m’agenouillai et me mis à pleurer
Les larmes coulaient le long de mon visage,
Je regardais au loin les horizons des flots
Je vis une bande de terre.
Au pied du mont du Salut le bateau accosta.
Sept autres jours passent, puis, comme repris mille cinq cents ans après dans la Bible, l’homme lâche à plusieurs reprises des oiseaux, colombe, hirondelle et corbeau, pour savoir quand il peut ouvrir son bateau et lâcher « aux quatre vents » tout ce qu’il contient. Ensuite vient le temps des offrandes au ciel, où les dieux débattent. Au terme de ce débat, l’homme de l’arche et son épouse sont élevés au rang de dieux : c’est avec cet homme devenu dieu que Gilgamesh s’entretient.
Dans un autre texte mésopotamien, moins ancien, Enouma Elish, le déluge est présenté comme la conséquence du bruit fait par les hommes : Le pays était bruyant /comme avec des taureaux beuglant. Dans la Bible, il est présenté comme la conséquence de la méchanceté des hommes : Dieu vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre (Genèse 6). Dans le Coran, l’insistance est mise sur le mensonge des hommes. Les messagers de notre Seigneur sont venus avec la vérité… Et ils le [Noé] traitèrent de menteur (7, 53 et 64) ; Les notables de son peuple avaient mécru et traité de mensonge la rencontre de l’au-delà (23, 33) ; Ceux qui ne croient pas disent à ceux qui croient : « Suivez notre sentier, et que nous supportions vos fautes ». Mais ils ne supportent rien de leurs fautes. En vérité ce sont des menteurs… Puis le déluge les emporta alors qu’ils étaient injustes. (29, 12 et 14).
L’Esprit signale ainsi dans le temps l’aggravation de la faute des hommes. De bruyants (on dirait aujourd’hui médiatiques), ils deviennent méchants (par égocentrisme), et de méchants, menteurs, tricheurs (par calcul et opportunisme).
Quant au déluge, il est éternel : il signifie que les mauvais ne demeurent pas dans l’éternité, ni dans l’histoire (sinon à la limite comme mauvais), tandis que les bons, occultés dans l’arche, finissent par accoster au mont du Salut, avec tout leur chargement.