l’aube vue du train, photo Alina Reyes
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En travaillant je retrouve cette page de mon Journal d’il y a neuf ans… qui m’amuse, maintenant que je vis en ermite depuis des années… La vie est changeante et elle continuera à changer, tout en demeurant la même.
27-9-05
Le but du voyage
Bientôt minuit. Devant moi une reproduction d’un Radeau de la méduse par le peintre des rues Jérôme Mesnager, ses silhouettes blanches effondrées ou qui lèvent les bras vers le ciel noir.
Je devais passer la journée à écrire, mon portable s’est mis à sonner et n’a plus arrêté. Demandes de rendez-vous je réponds oui je réponds non ou bien plus tard plutôt, un à qui je dis oui un autre qui veut qu’on se rencontre prendre un verre avec moi me déclare que je suis un grand écrivain je lui dis Houlà doucement !, ah c’est un baroudeur je pars en Algérie me dit-il je te rappelle jeudi en attendant je t’envoie mon livre oui rappelle-moi jeudi moi aussi ça me fera plaisir
un autre encore veut aussi je lui dis Je suis en retard dans mon travail c’est affreux rappelez-moi dans un mois aux autres je dis peut-être si je suis là je ne sais pas on verra je vous rappelle
et puis des dizaines de lettres et de mails auxquels je n’ai toujours pas répondu c’est comme ça que le voyage en Italie est tombé à l’eau par exemple il faudrait quand même que je pense à dire oui à l’invitation pour un colloque aux Etats-Unis j’ai déjà oublié dans quelle ville si j’attends trop ce sera trop tard
et puis de l’argent qu’on me doit ici et là et que je néglige de réclamer alors qu’à découvert je n’ai pas encore payé mon loyer ce mois-ci sans parler du reste le bizarre est que ça n’arrive même pas à me tracasser un peu
Roger Grenier m’a appelée aussi Gallimard finalement ne prend pas mon essai trop de citations bon c’était justement mon enjeu écrire en citations tant pis je verrai ailleurs sans doute on continue à parler il est si adorable il me raconte qu’il part à Pau faire le discours inaugural à l’Université je lui demande s’il est prêt oh oui dit-il je vais dire des conneries genre j’ai l’habitude après on parle de la Vierge Marie et du Diable à Lourdes
enfin voilà la journée passe j’apprends que « Sept nuits » est déjà traduit en quatorze langues ici en France pas un écho dans la presse sur ce livre des petites merdes banales ou qui se veulent érotiques ou des pastiches à la mormoilnoeud ont droit à une mention dans Le Monde mais pas mon livre élégant sur plus de vingt livres pas un seul article dans Le Monde un journaliste à qui je disais ça n’arrivait pas à y croire en dix-sept ans j’ai tout eu les quotidiens les hebdos les mensuels les radios les télés, à l’étranger aussi la presse et des télés et des travaux universitaires sur mes livres mais depuis Le Boucher jamais le Monde qui osera me dire que c’est normal
et alors mon livre vendu un peu partout dans le monde avant même Francfort ici en France les libraires le planquent
je fais des lessives des courses les devoirs avec les enfants le dîner la vaisselle tout en chantonnant tout le temps là aujourd’hui l’air de Couperin qui sert de sonnerie à mon portable évidemment à force de l’entendre
je refais le lit des enfants les draps et les housses de couette ont juste eu le temps de sécher depuis ce matin voilà bisous bonne nuit bientôt dix heures enfin du calme,
une cigarette, fenêtre ouverte,
tout en faisant un tour sur internet
Et puis ce petit livre en marge de mon grand roman après quelque silence ça y est je m’y mets j’écris le titre dans un cahier rouge les premiers mots la première phrase deux pleines pages jubilatoires et c’est parti, la nouvelle aventure.