*
Une journée au lycée tout entière adorable, avec un ou deux ou trois moments tout spécialement adorables. Celui où cette élève qui a tant de difficulté à écrire, celle qui redoutait le plus cet exercice « atelier d’écriture » au début, a bondi de joie en voyant le sujet du jour, s’y est jetée avec enthousiasme, puis a manifesté vivement sa hâte de lire la première le texte qu’elle avait écrit (alors qu’à la première séance elle m’avait suppliée de ne pas lire). Et puis cet autre élève en difficulté, qui fait toujours le réfractaire, qui après ses deux heures de cours de l’après-midi avec moi (où il clamait au début n’avoir absolument pas le temps de venir, sinon quand irait-il faire ses activités sportives ?), et qui vient me voir après le cours en prétendant qu’il ne savait pas s’il avait encore cours avec moi, s’il devait rester pour le prochain cours avec l’autre groupe – alors qu’il savait parfaitement qu’il venait de faire son atelier d’écriture avec son groupe, le premier, et qu’il avait donc fini sa journée, comme chaque semaine.
Le matin quand j’ai donné les questions du devoir en classe aux Première, nouvelle révolte des élèves, qui se sont récriés que ce n’était pas comme ça, qui se sont mis à m’instruire sur la façon dont je devais leur faire des contrôles, sur les normes que je devais respecter, et à répéter qu’ils ne comprenaient rien à ce que je demandais, etc. Complètement formatés tout au long de leur scolarité, ils se sentent comme devant un abîme dès qu’on les conduit sur d’autres modes de pensée. Bien entendu ils ont quand même fini par faire le travail, et près de deux heures après, quand ils m’ont rendu les copies, je leur ai expliqué pourquoi je les faisais travailler ainsi : imaginez, leur ai-je dit, un prof de sport qui vous ferait faire sans cesse le même et unique exercice, par exemple soulever cinquante kilos avec le bras droit, et rien d’autre. De quoi auriez-vous l’air, au bout de quelque temps ? Eh bien c’est pareil avec le cerveau. Les exercices qu’il faut savoir faire pour le bac nous nous y entraînerons, mais il faut d’abord assouplir l’intelligence. Bon, tout s’est bien fini, ils se sont inscrits pour préparer des exposés sans problème. Je les adore tous, et c’est comme si chacune de mes classes était, dans son ensemble, un Rimbaud, que j’anime. Faisant ces cours, je fais de la littérature vivante, extraordinairement vivante.
photos Alina Reyes
*