Bus caillassés, bus supprimés. La police était là, le chauffeur nous a dit c’est une décision de la préfecture. Des bus ayant été caillassés, ils étaient supprimés pour la journée et depuis la veille au soir sur tout le tronçon restant. Il n’y avait plus qu’à finir à pied, sur des routes sans trottoir. Ce que j’ai fait, après une grosse galère en RER, la ligne étant perturbée par divers incidents, dont un malaise d’une passagère – il s’en produit de plus en plus, dans des transports bondés. Après que le train en gare y a stationné au moins une dizaine de minutes, tous les suivants ont été non seulement retardés mais de plus archi-pleins, si bien qu’on était obligé d’en laisser passer plusieurs avant de pouvoir monter à bord, ou plutôt d’arriver à s’encastrer dedans. Une fois arrivée en banlieue, j’ai dû attendre le bus un bon quart d’heure, et voici qu’après quelques arrêts il nous lâchait donc dans la nature, sur ordre de la préfecture. Bref, je suis arrivée au lycée deux heures trois-quarts après être partie de chez moi. Heureusement j’étais partie quatre heures et demie avant mon premier cours, et j’ai encore eu le temps de faire des photocopies et autres préparations pour les cours de la semaine prochaine. Ce soir la circulation était rétablie, j’ai mis seulement deux heures pour rentrer, comme d’habitude.
Au réfectoire j’ai raconté la chose, la suppression des bus pour cause de caillassage, aux profs qui étaient là. Certains l’avaient entendu dire par des élèves qui avaient dû marcher aussi. Et cela a réveillé des souvenirs d’autres violences, récentes ou anciennes. Le collège et l’école d’à côté obligés un jour de confiner leurs élèves à cause de tirs tout proches. Une prof du lycée poignardée (sans gravité) par une élève dont l’avocat avait ensuite fait organiser une collecte dans le lycée afin qu’elle puisse se payer ses services… Et autres histoires dans le genre.
Après ce trajet du matin légèrement harassant j’ai enchaîné des heures de cours malgré tout agréables. L’après-midi, pour l’atelier d’écriture, j’ai donné à mes deux groupes de Première un sujet de réflexion sur les modes de pensée, inculqués ou choisis. Cela leur a paru extrêmement difficile à traiter, mais après s’être finalement faits à l’idée qu’ils n’allaient pourtant pas y couper, ils ont comme toujours exprimé des choses vivement intéressantes. Sans les rapporter -cela leur appartient- je peux dire que les filles, de toutes origines culturelles et religieuses (de différents pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe) se sont montrées beaucoup plus libres et ouvertes d’esprit que les garçons, beaucoup plus conscientes. Comme d’habitude chacune et chacun a lu son texte et ainsi tous ont pu profiter des réflexions de chacune et chacun. Et voilà, tout le travail que je leur fais faire c’est aussi beaucoup de travail pour moi, entre les préparations et les corrections, mais je suis contente, je sais que ça avance même quand ça ne saute pas aux yeux. De manière générale, pour les contrôles aussi ils trouvent, autant les Seconde que les Première, que ce que je leur demande est beaucoup trop difficile. Mais je préfère tirer la classe vers le haut plutôt que de l’attraper par le bas ; ainsi les meilleurs peuvent donner leur mesure, et ceux qui ont plus de difficultés sont appelés à se dépasser, et y arrivent même si cela reste imparfait. Surtout je ne les culpabilise absolument pas quand c’est maladroit ou très faible, au contraire je les encourage, je redis toujours qu’on n’est pas là pour se juger mais pour progresser, je les débarrasse de la honte en leur faisant lire leurs textes et en leur montrant que quel que soit leur niveau d’expression tout le monde apprécie ce qu’ils ont à dire – et ce n’est pas une façon de parler, la disposition mentale que j’ai mise en place le prouve, tous sont attentifs à la parole de l’autre.
ce soir, du RER, photo Alina Reyes
*