En fait je me demande ce que je vais faire avec la Divine comédie. Dans ma jeunesse, au temps où j’ai rêvé une nuit qu’il me fallait la traduire (ou décharger un train de marchandises précieuses, ou écrire sur le café et le chocolat dans un gâteau nommé duchesse – haha, j’ai déjà fait tout ça, en quelque sorte), en ce temps-là donc, je la lisais comme pure poésie, sans me soucier vraiment du sens. J’avais sans doute raison, mais maintenant que j’ai un peu étudié la question des systèmes spirituels, je ne peux pas éviter de voir que sur bien des points je ne suis pas du tout d’accord avec Dante. Or ma façon de traduire, c’est de me mettre à l’unisson de l’auteur, mentalement. Là, ce sera impossible. Donc, soit je traduis quand même, car poétiquement c’est un magnifique défi, et je publie avec un commentaire bien personnel, soit je traduis les passages que je préfère et j’en fais quelque chose qu’il me reste à inventer, soit je traduis en faisant comme si j’étais Dante et en cherchant, non pas le sens qu’il a voulu donner à son texte, mais le sens que je lui donnerais, moi, si c’était moi qui l’écrivais, ce qui sera en partie le cas, comme traductrice – en avertissant bien sûr lectrices et lecteurs de ma démarche. Nous verrons. J’ai le temps d’y penser, puisqu’il faut d’abord que je finisse de traduire l’Iliade, puis que je commence l’Énéide.
J’ai commencé à traduire l’Iliade le 1er août dernier, et le 4 septembre, hier, j’avais déjà traduit les six premiers chants. Si je ne m’étais pas imposée de terminer mes vers par des assonances ou rimes, j’irais à toute vitesse, car maintenant, après au moins seize ou dix-sept mille vers d’Homère traduits depuis septembre de l’année dernière, je comprends le texte très vite et le rythme poétique me vient comme je respire, sans avoir à le chercher. La contrainte des rimes ou assonances est un jeu très intéressant pour observer la langue ; parfois sur des passages entiers, elles viennent aisément, et parfois, sur quelques vers, il faut chercher longuement le moyen de les y mettre sans se permettre d’être infidèle au texte grec ni d’abîmer le son du vers français. Déjà pendant les derniers mois de la traduction de l’Odyssée je m’étais mise à rêver en grec, à traduire en rêvant, c’était plutôt charmant. Mais là je n’avais pas cette contrainte de rimes, mes vers étaient plus libres. Depuis l’Iliade, et cette contrainte, donc, mes rêves sont devenus plus insistants sur le système de rimes, et un temps, cela m’est devenu un peu pénible, je ne me reposais pas vraiment en dormant puisque mon cerveau continuait à vouloir chercher. C’est aussi pourquoi j’ai un peu ralenti mon rythme de traduction, qui était au début, pour l’Iliade, de plus d’une centaine de vers par jour (cela m’arrive encore, comme hier, mais le plus souvent je suis entre 70 et 100 vers, je ne veux pas obséder mon cerveau). Maintenant j’ai réussi à raisonner mon cerveau, il rêve encore de traduction mais de façon plus légère, qui ne me pèse pas, et puis il rêve d’autres choses aussi.
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