Retour sur mon nouveau premier jour de cours

Hier j’ai vu quelque chose que je n’avais jamais vu. Une élève qui, sans être « première de la classe », veut travailler tranquillement, a pris l’habitude de s’asseoir juste face au prof pour pouvoir l’entendre, mais avec des boules Quiès dans les oreilles pour amortir le bruit de la classe.

Pendant la première heure, après leur avoir exposé ce qu’étaient selon moi le cours de français et la littérature, je leur ai demandé, plutôt que l’habituelle fiche de présentation, d’écrire un texte personnel sur le ou les textes qui les ont marqués. Après m’avoir posé beaucoup de questions intéressées, ils se sont mis au travail dans un calme parfait jusqu’à la fin de l’heure.

Après la pause, durant laquelle j’ai aéré, nous sommes passés à un travail à l’oral, et là ils se sont lâchés. Cela commence par des paroles échangées assez discrètement, et très vite le volume monte, ils parlent d’autant plus fort que le bruit ambiant augmente et qu’il faut parler plus fort pour se faire entendre. Toutes les cinq minutes il faut les rappeler au calme. Les quelques-unes et quelques-uns qui voudraient travailler tranquillement souffrent visiblement sans rien dire. Malgré leurs bavardages, les bavards participent, répondent aux questions posées ; ils ne sont pas mal intentionnés, c’est seulement que leur façon d’être est ainsi, expansive et sans contrôle. J’ai demandé à l’un des bavards de venir au tableau gérer les réponses de ses camarades, il s’en est acquitté avec plaisir et sérieux, nullement dérangé par la cacophonie. Ce sont surtout des garçons qui font régner leur sans-gêne, dans un schéma patriarcal trop connu – au point qu’on en viendrait à regretter la mixité des classes. À la fin du cours ils me disent au revoir poliment, me souhaitent bon week-end, ils n’ont aucune mauvaise intention, ni vraiment le sentiment de mal se comporter. L’un de mes fils qui était lycéen il y a dix ans me dit que les lycéens d’aujourd’hui sont formés à se mettre en avant sur des réseaux comme TikTok. Je pense aussi que c’est l’ensemble de la société qui pousse à l’individualisme – et le macronisme n’a fait qu’aggraver beaucoup cette tendance.

Il y a une trentaine d’années, alors que j’avais juste une licence et aucune expérience de l’enseignement, j’ai fait, plusieurs mois durant, des remplacements de prof, dans un collège puis dans un lycée professionnel. Je n’ai alors rencontré aucun problème de discipline. Bien sûr les élèves sont toujours portés au bavardage, mais c’était alors assez simple à gérer. Jamais je n’aurais eu un tel volume sonore en classe, même au lycée professionnel, où les élèves n’étaient certes pas des adorateurs de l’école. Le problème ne vient pas seulement des élèves et de leur culture (réseaux sociaux, émissions de télé débiles sur les écrans familiaux…), il vient aussi d’en haut, des pouvoirs publics, de l’État, qui considère l’Éducation nationale et ses profs, de même que l’Hôpital public et ses soignants, comme ses larbins, aux ordres de ses directives aberrantes ; les enseignants sont les larbins de l’État, de la société, des parents. Comment susciteraient-ils le respect des élèves, sauf à se comporter en flics, reproduisant ainsi le système vicieux de l’État qui ne sait maintenir l’ordre qu’à coups de matraques et de LBD ? Ou bien par l’emprise psychologique, avec des méthodes de néo-gourous ? C’est ce à quoi je me refuse, et c’est pourquoi je m’en vais. Si j’avais encore toutes mes forces je tenterais quelque chose, comme je l’ai fait avec bonheur il y a quatre ans dans mon précédent lycée, mais hier en rentrant j’ai juste eu la force de me coucher jusqu’au soir, avec une migraine. Or j’ai besoin de toute ma tête, pour tout ce que j’ai encore à faire, à créer.

Je dois ajouter que la situation de ce cours d’hier était aggravée par l’étroitesse de la salle où nous étions entassés, si petite qu’elle ne me permettait pas de circuler entre les trente élèves. En pleine pandémie, pas sûr que nos masques suffisaient à nous protéger. Très vite l’air était saturé, ma gorge devenait douloureuse. Aérer ne suffisait pas à assainir l’air, et supporter l’air froid quand on est immobile n’est pas non plus la meilleure solution pour ne pas tomber malade. Dans les toilettes, il y a bien un panneau détaillant la façon dont il faut se savonner les mains, entre les doigts, dans les ongles, etc., précisant que si on ne dispose pas de savon il faut utiliser un gel hydroalcoolique, mais il n’y a ni savon ni gel, et on en ressort avec ses microbes à distribuer sur tout ce qu’on touche, et qui est déjà contaminé par d’autres mains qui n’ont pas pu non plus se laver. Voilà comment ça se passe, dans l’un des bons lycées de Paris.

*

alinareyes