Habiter les ruines, et reconstruire

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Cette idée commune à beaucoup de religieux de diverses traditions, selon laquelle les épreuves purifient l’être, ne tient pas dès qu’on la confronte au réel. Le mal fait du mal, il rend mauvais et violent, les délinquants et les criminels sont le plus souvent des gens qui ont subi trop d’épreuves, Primo Levi des décennies après les camps s’est suicidé. Et quand nous réussissons à surmonter une épreuve, pouvons-nous vraiment dire que nous en sommes purifiés ? N’avons-nous pas plutôt à espérer ne pas en avoir été trop abîmés ? Ne pas en avoir trop perdu notre fraîcheur ? Notre intégrité ? Ne nous trouvons-nous pas plus purs à mesure que nous reculons dans le temps ? Et si nous sommes arrivés à sortir des épreuves en gardant notre pureté, cette pureté n’est-elle pas désormais celle d’une ruine ?

Cette idée est une consolation que l’homme invente pour ne pas accuser Dieu des iniquités qu’il subit, mais elle est aussi le signe d’une relation incomplète avec Dieu. Dieu nous envoie des épreuves pour nous purifier, disent-ils, dans leur désir de trouver une excuse à Dieu (ce qui leur laisse tout de même un parfum de ressentiment enfoui envers Lui). Mais Dieu n’a pas besoin d’excuse. Car il ne nous envoie pas d’épreuves. Dieu ne nous envoie ni la maltraitance ni les camps de concentration ni les guerres ni les maladies ni les malheurs, Dieu simplement laisse sa création libre de suivre son cours comme il nous laisse libres. De rester dans le chemin de la vie (de la vérité, de la compassion), ou de prendre celui de la mort (du mensonge, de l’abus, de l’égocentrisme). Si nous n’avions pas cette liberté, nous ne serions pas des hommes, quand nous abdiquons cette liberté nous perdons notre humanité.

Dieu nous donne la vie. La vie est une expérience pleine d’expériences, dont beaucoup sont des épreuves. L’épreuve est consubstantielle à la vie. Naître et donner naissance sont déjà des épreuves. Elles ne sont pas destinées à nous purifier, ni à quoi que ce soit d’autre. Elles ne sont pas destinées, elles arrivent et passent, c’est tout. Elles n’ont pas d’être, seulement une existence. Seul l’être est destiné. Il n’a pas besoin d’épreuves pour accomplir son destin, mais seulement de conserver sa fraîcheur, sa grâce, son intégrité. Les épreuves ne sont que des obstacles et des accidents sur le chemin. On peut en rencontrer beaucoup, ou moins. On peut s’y casser les jambes et y rester. On peut aussi en réchapper. Mais les épreuves, au final, ne sont que des déchets. Les épreuves font partie des énormes déchets que produit la vie pour se maintenir comme création. Ce qui est écrit dans notre être depuis le commencement jusqu’à sa fin, c’est autre chose, cela vient d’ailleurs, c’est ailleurs, et immortel.

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